Par lefigaro.fr

Marc Trévidic
Marc Trévidic Crédits photo : FRED DUFOUR/AFP

Le magistrat antiterroriste français instruit tous les dossiers explosifs du moment: massacre de Tibéhirine, attentat de Karachi…Portrait d’un homme de combat.

Marc Trévidic refait parler de lui. Habitué des dossiers sensibles qui dérangent jusqu’au sommet de l’État, le juge anti-terroriste est revenu à la charge vendredi sur l’affaire des moines de Tibéhirine. Il veut se rendre en Algérie afin d’exhumer et d’autopsier les crânes des sept moines tués en 1996.

Mettre son nez dans les secrets d’État, c’est la spécialité de la vedette de la galerie Saint-Eloi, le siège de la justice antiterroriste au Palais de Justice de Paris. Les premières années de sa carrière ne présageaient pourtant pas de son devenir médiatique. Né il y a 46 ans à Bordeaux d’un couple de cadres supérieurs chez Renault, il passe son enfance en Bretagne et en banlieue parisienne. Il commence sagement comme juge d’instruction au Tribunal de Péronne dans la Somme, travaille un temps en Picardie puis à Nantes, avant d’atterrir au parquet de Paris, où il intègre la section anti-terroriste et se spécialise dans la menace islamiste. Il file à Nanterre comme juge d’instruction, puis, après quelques mois à la Réunion, il est appelé à remplacer l’adjoint de Jean-Louis Bruguière, le tout-puissant patron des juges antiterroristes qu’il admire tant, à l’époque.

«Le juge d’instruction est un emmerdeur ou il n’est pas»,

Tout bascule en 2007, lorsque Marc Trévidic succède à Bruguière et hérite de tous les dossiers potentiellement explosifs pour le pouvoir: l’assassinat des moines de Tibéhirine, celui du président rwandais Habyarimana ou l’attentat de Karachi. Or le nouveau chef de la galerie Saint-Eloi n’a pas la même approche que son prédécesseur. «Bruguière incarne le juge de la raison d’Etat, quand Trévidic conduit ses enquêtes sans se préoccuper des intérêts qu’il peut mettre en cause», résume l’avocat Patrick Baudoin. «Le juge d’instruction est un emmerdeur ou il n’est pas», confirme Trévidic dans son premier livre, Au cœur de l’antiterrorisme, paru l’année dernière.

De fait, l’ensemble des enquêtes en cours prennent un tournant majeur sous l’instruction de Trevidic. Dans l’affaire de l’attentat de Karachi qui a coûté la vie à onze Français en 2002, là où Bruguière avait repris la version des services pakistanais, imputant l’action à al-Qaida, Trevidic réoriente l’investigation sur une piste politico-financière, faisant le lien avec l’arrêt du versement de commissions au Pakistan. Il va même jusqu’à interroger son prédécesseur Bruguière, soupçonné d’avoir enterré le rapport d’autopsie de l’homme censé avoir été le kamikaze, une pièce déterminante qui invaliderait la thèse islamiste. Et c’est sa découverte de l’existence de «rétrocommissions illicites», qui débouche sur l’ouverture d’une autre information judiciaire sur le financement illicite présumé de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur.

Le rapport qu’il commandite sur l’assassinat en 1994 du président rwandais hutu Juvenal Habyarimana, à l’origine du génocide des Tutsis, apporte également des éléments nouveaux qui redirigent radicalement l’enquête. Il s’avère en effet que l’avion qui transportait Habyarimana a été abattu par des missiles tirés depuis un camp militaire tenu par les loyalistes hutus. Sans s’être jamais rendu sur place, Jean-Louis Bruguière avait impliqué le Front patriotique rwandais (FPR), le mouvement rebelle d’alors, un groupe majoritairement tutsi conduit par Paul Kagamé et désormais à la tête du Rwanda. Une version qui était moins embarrassante pour la France, dont l’armée était très impliquée dans les années 90 aux côtés des forces armées rwandaises dans leur combat contre le FPR.

Enfin, en ce qui concerne le massacre de Tibéhirine, le magistrat explore la piste d’une possible bavure des militaires algériens, alliés des services secrets français, alors que Bruguière s’était contenté de la thèse officielle d’une attaque du Groupe islamique armé (GIA) islamiste.

Brimades et mesures vexatoires

Il n’est guère étonnant que ce juge peu conciliant avec le pouvoir se dise victime de harcèlement et de mesures vexatoires. Celui qui s’est également illustré dans son combat, en tant que président de l’Association française des magistrats instructeurs, contre la suppression du juge d’instruction voulue par Nicolas Sarkozy, a même saisi en janvier l’USM, le principal syndicat de magistrats. Il s’est notamment plaint d’avoir été interdit de se rendre au Niger pour une formation, alors que toutes les autorisations avaient été délivrées. Une interdiction vécue comme «une mesure de rétorsion», selon l’USM, du fait de ses déclarations très critiques après la mise en cause des magistrats par Nicolas Sarkozy dans l’affaire Laetitia, la jeune fille assassinée à Pornic par un récidiviste. Marc Trévidic avait alors reproché dans une interview au président de la République d’être un «récidiviste» de la mise en cause injuste des juges, et suggéré de lui appliquer «une peine-plancher». Le premier président de la cour d’appel de Paris, Jacques Degrandi, a de son côté récusé toute «intention d’empêcher» le juge Trévidic d’instruire.

Ces «brimades» auront-elles raison de la persévérance du juge Trévidic? «C’est un homme visiblement affecté, fatigué, pour ne pas dire épuisé», confie à Marianne Gilbert Tiel, autre juge du pôle antiterroriste. A sa tâche difficile «s’ajoute une politique de harcèlement misérable pour le faire trébucher, voire pour l’inciter à partir». Déjà dans son livre, le juge Trévidic disait avoir le sentiment qu’il n’avait plus la confiance de sa hiérarchie parce qu’il avait «commis le péché capital dans la magistrature, le péché de la médiatisation».

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Posté Par rwandanews