La France fut trop compromise dans les génocides de la fin du XXe siècle, en Rwanda et en Bosnie, pour qu’une loi anti-négationniste les concernant soit à l’ordre du jour. Dans le cas contraire, Jean-Marie Le Pen aurait peut-être davantage pesé ses mots face à Christophe Barbier sur i>Télé mardi 20 février.

Au journaliste qui, citant l’autobiographie de son ancien garde du corps, s’étonne de sa rencontre avec Radovan Karadzic, alors prétendument recherché en Bosnie, Le Pen répond : « Je ne suis pas chargé de traquer les criminels de guerre désignés par l’opinion publique. » C’est fin janvier 1997 que Jean-Marie Le Pen se rendit auprès de Karadzic à Pale – le QG des Serbes de Bosnie, surplombant Sarajevo. Afin de rétablir la vérité que les propos de M. Le Pen tentent de relativiser, rappelons-lui le fait qu’une « opinion publique » « désignant » le président autoproclamé des Serbes de Bosnie comme criminel de guerre n’a effectivement aucune conséquence juridique. Mais, qu’en l’occurrence, Karadzic a bien été inculpé dès le 25 juillet 1995 par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, pour génocides, crimes contre l’humanité et violations des lois ou coutumes de la guerre, avant que ne soit lancé à son encontre, le 12 juillet 1996, un mandat d’arrêt international – ce que le fondateur du Front national ne pouvait ignorer six mois plus tard.

« Quand je vais quelque part j’essaye de m’informer le plus directement possible, et rencontrer Karadzic, c’était une manière de se renseigner », ajoute Le Pen sur i>Télé. Nouvelle affirmation de son déni : s’il veut « [s]’informer », « [se] renseigner », c’est qu’il prétend mettre en doute les accusations énoncées et étayées par la haute instance juridique internationale qu’est le TPI.

« J’ai été à Pale, où j’ai rencontré aussi la présidente qui m’a reçu tout à fait courtoisement » ajoute M. Le Pen face à Christophe Barbier. Jusqu’en juillet 1996, l’inculpé Karadzic n’est pas en fuite et vit dans son fief de Pale. Tous les matins il se rend de son domicile à son bureau de la « présidence », en traversant des check points sans être inquiété. Tous les soirs il rentre chez lui. Même si des services, dont les français, le traquent afin de toujours le localiser, les forces internationales n’ont pas ordre de l’arrêter. Mais en juillet 1996, le scandale relayé par les medias est tel que le président autoproclamé des Serbes de Bosnie doit accepter les concessions imposées par la diplomatie internationale – notamment par le négociateur américain Richard Holbrooke, qu’il accusera dès son arrivée à La Haye, le 30 juillet 2008, d’avoir trahi leur deal. Une retraite dorée et la promesse de son impunité contre son retrait de la vie politique ? C’est la très « courtoise » Biljana Plavsic – que la femme de Milosevic qualifiait de « Mengele féminine », en référence au médecin nazi friand d’expériences sur les prisonniers – qui est élue à la tête de l’entité serbe de Bosnie. Responsable de dizaines de milliers de meurtres et d’innombrables déportations, inculpée par le TPIY en avril 2000 pour génocide, crimes contre l’humanité et violations des lois ou coutumes de la guerre, Plavsic se rend au tribunal de La Haye en janvier 2001. Elle négocie avec le procureur une peine minimale et le retrait du crime de génocide de l’acte d’inculpation contre un plaidoyer de culpabilité ainsi que l’accord verbal d’un témoignage à charge dans le cadre du procès de Milosevic – qu’elle n’honorera pas. Avec le soutien du ministre suédois des affaires étrangères Carl Bildt, Biljana Plavsic bénifiera le 27 octobre 2009 d’une libération anticipée de la prison suédoise où elle a purgé les deux-tiers de sa peine de onze ans. Voyageant dans un jet affrété par le gouvernement de Belgrade, elle y fut accueillie telle une héroïne par le premier ministre de l’entité serbe de Bosnie.

La raison du voyage en Bosnie de M. Le Pen en janvier 1997 est son chimérique projet d’une « Internationale du Front national » autour duquel il désirait probablement réunir ses homologues étrangers. Deux mois plus tard, début mars, il conviera au congrès du FN à Strasbourg un autre criminel, qui doit alors lui sembler plus aisément fréquentable. Car Vojislav Seselj qui, avec sa milice d’égorgeurs et de nettoyeurs, a semé la mort et la terreur dans de nombreuses municipalités de Croatie et de Bosnie (Vukovar, Zvornik, Sarajevo, Mostar…) ne sera inculpé par le TPIY de crimes contre l’humanité et de violations des lois ou coutumes de la guerre que début 2003. Sesejl ne pourra cependant se rendre à l’invitation de Le Pen au congrès d’avril 1997, sa demande de visa ayant été déboutée par le Quai d’Orsay.

Questionné quinze ans plus tard sur un témoignage de son ex-garde du corps, c’est bien dans une posture négationniste que Jean-Marie Le Pen persiste à défendre ses amis génocidaires. On peut se demander s’il n’aurait pas apprécié davantage encore leur courtoisie s’il s’était rendu à Pale durant le siège de Sarajevo – toujours dans le but de s’informer et de se renseigner. A l’instar de l’écrivain russe target= »_blank »>Edouard Limonov en avril 1993, peut-être aurait-il alors été convié par un affable Radovan Karadzic à choisir une cible dans Sarajevo et, derrière une mitrailleuse, à faire un carton sur la ville martyre.

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Posté par rwandanews