Certaines expériences méritent d’être partagées autour de soi, avec le gra nd public, à cause de l’impact positif qu’elles pourraient avoir sur les comportements. Dr Chika Eze anya en a vécu une lors de son séjour au Rwanda où elle avait séjourné dans le cadre d’un projet de développement. Cette histoire que vous vous apprêtez à lire mérite d’être racontée. Elle semble à la fois surprenante et atypique, prise dans un contexte africain. C’est aussi le témoignage que dans un pays, lorsque l’élite dirigeante est sérieuse, consciente de ses obligations et montre par l’exemple qu’elle est soucieuse du bien-être du peuple, ce dernier n’attend pas avant de se mobiliser pour jeter les bases de son avenir. Le Rwanda que raconte Chika semble, en la matière, un cas rare en Afrique. C’est un pays qui ne s’est pas couché dans son histoire et qui, sous l’égide d’un leadership éclairé, digne et ambitieux, veut servir d’exemple au reste du continent.
« Etes-vous Nigériane ou Américaine »? Les deux, ai-je répondu à cet interlocuteur ougandais que j’ai rencontré à Kigali dès mon premier jour de travail sur le site du projet qui m’a conduite de l’Amérique au Rwanda. Tu vas préférer ton pays d’origine, le Nigéria ou encore le mien par rapport à ici, commente l’Ougandais. J’étais intriguée et me suis contentée d’une vague réaction : Réellement ? Et pourquoi ?
Le monsieur qui a visiblement des choses à reprocher au fonctionnement du Rwanda enchaîne : « J’avais travaillé dans ton pays (Nigéria) et le système est comparable à ce que nous avons en Ouganda. Dans nos deux pays, tout comme dans la plupart des pays africains où mes activités professionnelles m’ont conduit, il n’y a pas de goulot d’étranglement comme ici; vous avez tout ce que vous voulez, où et comment vous le voulez. Il suffit de savoir manipuler ou graisser les pattes ». Est-il en train de me parler de la corruption, me suis-je demandé avant de lui répondre courtoisement : vous êtes amusant !
Embarrassée, j’ai changé de sujet pour lui parler du projet qui justifie notre présence dans la capitale rwandaise. « Ma sœur », continue-t-il avant que je n’essaye de dévier la conversation : « je travaille au Rwanda depuis deux ans et je peux vous dire combien j’ai hâte de retourner dans mon pays. En Ouganda, lorsque vous avez l’argent ou connaissez un haut-placé dans le cercle du pouvoir, dans l’Armée ou la police, tout marche pour vous comme sur des roulettes. Mais ici au Rwanda, au pays de Paul Kagamé, ce n’est pas le cas. Le système fonctionne sur la base du premier venu premier servi. Et tout le monde est soumis aux mêmes procédures. Il n’y a pas un système administratif ou judiciaire pour les riches et un autre pour les pauvres », s’est plaint l’Ougandais qui se dit fatigué des règles trop rigides et des régulations qui abondent ici.
J’étais trop nouvelle pour comprendre de quoi parlait mon interlocuteur qui, lui, vit dans le pays depuis deux ans. Après avoir assez longtemps séjourné à Kigali et suffisamment pratiqué le système, les paroles de « mon ami du premier jour » ont fini, rétrospectivement, par avoir un sens pour moi. Au Rwanda, vous ne pouvez pas corrompre ou influencer des gens pour bénéficier de privilèges indus dans aucun système, aucune organisation ou institution. D’abord, mon premier choc à part la propreté de la ville de Kigali et la discipline dans le comportement des habitants, a été ma visite au service de l’immigration pour me mettre en règle avec ce département. En bonne africaine, bien que venant fraichement des USA, j’ai soigneusement arrangé dans mon sac à main des billets de banque destinés à soudoyer les agents auxquels j’aurai à faire, histoire de ne pas m’entendre dire qu’il faut revenir le lendemain ou dans une semaine. Le phénomène est commun dans plusieurs pays sub-sahariens; je dirai même que c’est plutôt ça la règlementation. En tout cas, dans mon pays d’origine, le Nigéria, et dans d’autres endroits que j’avais eu à me rendre (Caméroun, Togo, RDC, Sierra Léone, Guinée Conakry, Zimbabwe, Kenya …, c’est une pratique courante, parfois incontournable pour les nationaux et les visiteurs qui veulent boucler leurs affaires dans un délai raisonnable.
Dans ces pays, peu importe si vos transactions sont légales, vous êtes ouvertement rançonné par des agents qui sont pourtant payés par leur administration pour le service qu’ils vous rendent. Le fonctionnaire, lorsqu’il vous sourit, attend en retour le sourire mais en somme d’argent. La dernière fois que j’ai été au service des passports à Abuja, Nigéria (2009), c’était un jour entier d’attente, dans de longues files. Au même moment, des gens venus bien plus tard sont servis parce qu’ils savent utiliser le système. Je peux dire qu’en tant que Nigériane, j’ai eu honte quand j’ai vu ce qui se passe au Rwanda. Suis-je toujours en Afrique ?, me suis-je demandé quand je suis allée au service de l’immigration de Kacyiru, Kigali. Je ne pouvais pas en croire mes yeux.
D’abord, c’est une boîte électronique qui me donne un ticket, montrant que je suis le numéro 5 dans le rang. Incroyable. Mon tour arrivé, je me suis présentée devant un officier de sécurité poli, sans arme, souriant. Les premières formalités faites avec diligence, une jeune et aimable dame, dans une parfaite attitude de respect, me prend en charge. Elle prête attention à tout ce que je lui disais et prend note au fur et à mesure que je parlais. En l’espace de dix minutes, ma situation est résolue et un papier portant des instructions claires sur mon séjour au Rwanda m’a été tendu. Pour me dire que je suis maintenant en règle et, comme pour mettre l’étrangère que je suis en confiance, la fonctionnaire, avec manière et politesse, me congédie, en des termes dont les anglo-saxons ont le secret : « Merci beaucoup d’être venue, madame. S’il vous plaît, n’hésitez pas de contacter ce bureau chaque fois que vous aurez le moindre problème durant votre séjour chez nous ». J’étais tétanisée de surprise. La question, « suis-je toujours en Afrique ? » n’arrête pas de défiler dans ma tête. La dernière fois que j’ai reçu un si impeccable service d’une institution publique, c’était, quelques mois plus tôt, quand je devais enregistrer une organisation à Washington DC.
Le bureau d’immigration est-il privatisé au Rwanda ? Telle est la question que j’étais obligée de poser à des collègues rwandais, ne comprenant toujours pas pourquoi tout est différent ici. Ces collaborateurs se sont étonnés de ce que je puisse penser un seul instant qu’un état privatise ce service qui relève de sa de souveraineté. Je leur ai demandé de m’excuser de la question quand, sur leur visage, j’ai compris qu’ils étaient en train d’évaluer mon intelligence suite à cette question, il faut le reconnaître, un peu stupide. Qu’est-ce qui se passe dans cette partie de l’Afrique ?
Au fil du temps, je me suis habituée au Rwanda, le pays où les choses marchent comme il le faut, où les lois sont au service des habitants et les protègent, sans discrimination. Et, phénomène rare sur le continent, au Rwanda, vous pouvez, seulement en 24 heures, enregistrer votre business, en ligne, sans avoir à vous déplacer, sans avoir à vider votre poche au profit d’agents ou d’avocats corrompus.
Grâce à un système de « Cashpower » bien huilé, le courant électrique est moins cher et disponible au Rwanda. Il suffit d’adresser un simple SMS à son fournisseur préféré pour être servi. Au prix de 15 US dollars, une famille de 6 personnes dispose le courant pour la durée d’un mois. Il n’existe pas de tricherie, pas de dessous de table à verser aux officiels des corporations d’électricité. Ce n’est pas du tout le cas au Nigéria. Je me souviens avoir été dans une famille d’amis où le père, tout triomphant, m’informa qu’il ne paie plus les factures d’électricité depuis quatre ans : « nous avons la chance d’avoir dans notre rue un gars qui travaille au Power Holding Company; nous lui donnons un peu de sous pour sa poche et il nous fait connecter au réseau à travers la porte de derrière. A quoi sert-il de payer tout cet argent à l’état quand la plupart du temps, vous n’avez même pas le courant à cause des délestages et des pannes régulières. Autant utiliser cet argent pour approvisionner mon générateur que de le donner à ces voleurs du pouvoir ».
Travailler avec les agents de l’administration publique au Rwanda est une autre expérience remarquable qui fait la différence avec ce que j’ai vécu partout ailleurs en Afrique. Je dois confesser l’engagement populaire des Rwandais pour le développement de leur pays. C’est extraordinaire. Sept (7 :00) heures est l’heure d’ouverture de l’administration publique qui ferme à dix-sept (17 :00) heures. Le retard n’est pas toléré, moins encore les absences sans motif valable. Grâce à une organisation du travail à l’identique de ce qui se fait en Amérique, il est difficile, voire impossible à un agent de l’état de venir accrocher sa veste à sa chaise ou y déposer son sac pour aussitôt disparaître dans la nature pour le reste de la journée. Les travailleurs sont motivés, intéressés à leurs taches, excités d’avoir un job, désireux d’émettre des idées de projets à leur hiérarchie et de prendre une part active dans leur mise en œuvre.
Grâce à la transparence pratiquée depuis le sommet de l’Etat, il s’est construit un système qui fait qu’au Rwanda, les compagnies les plus qualifiées sont celles qui obtiennent les marchés publiques. Dans l’opinion, tout le monde est conscient que les exemples de bienséance, d’intégrité, du respect de la chose publique sont donnés au sommet. Il se raconte que le Chef de l’Etat, lorsqu’il se déplace, pour ses courses personnelles au magasin ou pour manger au restaurant, il se conforme, comme le rwandais ordinaire, à la règle du premier venu premier servi.
Il n’existe nulle part au monde une société avec un niveau de corruption zéro. Mais le Rwanda serait classé parmi les pays les plus développé sur l’index des perceptions de la corruption. Là-bas, lorsqu’on travaille sur un projet de développement, on a vraiment le sentiment d’aider, de faire impact sur des vies humaines, alors qu’ailleurs, à cause du phénomène de la corruption, l’impression dominante est celle qu’on a de jeter l’argent par la fenêtre. Dans tous les cas, vivre et travailler au Rwanda, faire des affaires dans ce petit pays pourraient être pour tout africain une valide expérience. Ce pays suggère au visiteur que l’optimisme doit être de mise lorsqu’il s’agit du futur du continent et de ses peuples.
Le 19/02/2012
Récit : Dr Chika Ezeanya
Traduction : Kodjo Epou
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Posté par rwandanews