En ce mois d’avril où le Rwanda se consacre au souvenir des victimes du génocide des Tutsis –un million de morts en trois mois, on ne le rappellera jamais assez- le petit livre clair et incisif de Dominique Celis « gêneurs de survivants » (1) vient à son heure. L’auteur, comme bien d’autres avant elle, retrace l’enchaînement du malheur, la montée en puissance du Hutu Power, la préparation puis le déroulement des massacres, leur mode opératoire et l’intervention du Front patriotique rwandais qui mit fin aux tueries et installa un autre pouvoir le 4 juillet 1994. Tout cela, mis en perspective en termes précis, est connu, mais mérite d’être rappelé sans complaisance. Cependant, l’intérêt de l’ouvrage est ailleurs : loin des circonlocutions et de l’équilibrisme, l’auteur, dès l’introduction, abat ses cartes. Le propos est clair : « ce livre a été écrit pour qu’il soit pris acte d’un fait : en 1994, les Tutsis ont été exterminés par les extrémistes hutus, avec la collaboration de la France, la complicité directe de la Belgique et la complicité indirecte du reste de l’humanité. Par stratégie négationniste, des inexactitudes ont été répandues sur le régime rwandais mis en place depuis 1994 et j’ai décidé de les relever. »
A l’heure où, à Bruxelles et ailleurs, des messes sont dites en mémoire des Hutus qui auraient été victimes d’un « deuxième génocide », à l’heure où des révisionnistes désireux d’occulter les crimes de 1994 concluent des alliances contre nature avec des politiciens et des généraux en rupture avec Kagame pour des raisons diverses (dont des charges de corruption), ce livre remet les pendules à l’heure.
En Belgique, qui accueille une diaspora nombreuse et dynamique, forte d’au moins 40.000 personnes, ce type de discours est rare. Bien souvent, c’est dans le silence sinon la honte que les rescapés sont amenés à croiser des membres éminents de l’Akazu, des dignitaires ou des tueurs ordinaires rentrés dans l’anonymat.
L’auteur ne nie pas, loin s’en faut, les difficultés de la reconstruction d’un Rwanda nouveau, les aléas d’une cohabitation exceptionnellement difficile -dans quel pays au monde a-t-on vu bourreaux et victimes être obligés de se croiser sur les mêmes collines ?- voire les critiques que suscite le régime dans plusieurs franges de la population. Mais le « brouillage de la vérité des faits » est énergiquement dissipé : il apparaît de plus en plus que le négationnisme se cristallise sur les critiques adressées à la gestion, ou à la personne du chef de l’Etat, le président Kagame, accusé de dérive autoritaire voire criminelle dans sa gestion de la presse et de ses opposants. Or « c’est du génocide des Tutsi dont il est question, et non d’apprécier ou non Paul Kagame, cela importe peu. »
Au passage, l’auteur égratigne les « donneurs de leçons » occidentaux, qui « participent d’une logique ethnocentriste, selon laquelle l’Occident continue d’être la référence ultime en matière d’organisation de la société civile et de l’ Etat ». Elle suggère qu’au Rwanda précisément, l’Occident a perdu tout droit de donner quelque leçon que ce soit et s’étonne du crédit dont jouit l’opposante Victoire Ingabire, qui a ouvertement collaboré avec des groupes génocidaires et propagé une idéologie, celle du « peuple majoritaire » qui est dorénavant interdite par la loi.
A travers ce petit livre sec et incisif, on sent aussi une douleur qui affleure, celle des survivants. Entre les lignes, on devine le chagrin de ceux qui ont perdu des familles immenses et se demandent pourquoi ils ont été épargnés. On lit la demande de ceux qui voudraient qu’on les comprenne, qui souhaiteraient qu’avant de juger, on essaie de mesurer les défis immenses auxquels est confronté un régime qui a essayé de briser le cycle de la haine et de l’exclusion, qui a misé sur la citoyenneté.
Dominique Celis, Gêneurs de survivants ! La question du génocide des Tutsi, collection « Liberté, j’écris ton nom » 10 euros
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Posté par rwandaises.com