Séta Papazian Présidente Collectif VAN a pris la parole à l’occasion de la 18e Commémoration du génocide des Tutsi du Rwanda. Cette cérémonie émouvante s’est déroulée samedi 7 avril 2012 sous l’égide d’Ibuka France et de son président Marcel Kabanda, en présence de nombreuses associations et de l’ambassadeur du Rwanda en France, M. Jacques Kabalé qui a fait référence au génocide arménien et à la Shoah. Contrairement à la commémoration de 2011, l’Ambassade de Turquie n’avait, cette année, pas envoyé de représentant devant le Mur de la Paix au Champ-de-Mars à Paris… Il faut dire que les discours de tous les intervenants l’année dernière évoquaient en termes forts le génocide arménien, et que, comment dire, cela avait légèrement indisposé la diplomate turque, venue soi-disant, se recueillir en souvenir des victimes d’un génocide… 7 avril 2012 – Mur de la Paix au Champ de Mars à Paris. 18e Commémoration du génocide des Tutsi du Rwanda Ibuka France Discours du Collectif VAN Condamnation des génocides : ni juste milieu, ni complaisance De deux choses l’une. Soit un génocide est une chose positive, un idéal à poursuivre et à exécuter à chaque occasion avec application, en glorifiant ses auteurs et en leur dressant des mausolées. Soit, c’est le pire des crimes, la pire des abominations, celle qui vise l’anéantissement physique, intentionnel, systématique et programmé d’un groupe ou d’une partie d’un groupe en raison de ses origines ethniques, religieuses ou sociales. Et dans ce cas-là, il faut poursuivre sans répit ceux qui l’ont perpétré et ceux qui perpétuent le crime par sa négation. Mais il ne peut y avoir de juste milieu et il ne peut y avoir de complaisance. Je suis ici en tant que petite-fille de rescapés du génocide perpétré en 1915 par le gouvernement Jeune-Turc contre les citoyens arméniens de l’Empire ottoman, l’actuelle Turquie. Je suis ici en tant que descendante des morts sans sépultures, pour témoigner, non pas de ce que j’ai vécu, mais de la permanence du combat contre l’oubli et la négation. Je suis ici en tant que Française, riche d’une double identité, arménienne et française, si mélangées qu’il me serait bien difficile de cerner les contours de l’une ou de l’autre. Mais néanmoins, je sais, sans conteste, que ce qui m’amène ici à commémorer avec vous le 18e et triste anniversaire du génocide des Tutsi, c’est la part d’humanité blessée que je partage avec vous. La sensibilisation aux génocides et à leur négation est au cœur du travail que mène le Collectif VAN, Vigilance Arménienne contre le Négationnisme, depuis sa création en 2004. Pour le lancement de notre association qui œuvre en faveur de la reconnaissance de tous les génocides ou crimes contre l’humanité et qui lutte contre tous les négationnismes, nous avions choisi le 8 mai, jour symbolique de la victoire contre le nazisme. Car il n’est pas possible de parler des génocides, sans parler de l’extermination industrielle des Juifs d’Europe : la honte portée par tous ceux qui ont permis cette abomination, la condamnation et la dénonciation de ce crime sans nom, sont les éléments fondateurs de l’Europe qui s’est bâtie depuis 1945. L’Europe s’est construite sur le respect de certaines valeurs essentielles. C’était du moins le sens du message « Plus jamais ça » qui a été martelé après la Shoah. Mais « ça » a existé de nouveau. Le 7 avril 1994, le Rwanda a basculé dans l’horreur. Plus de 800 000 Rwandais, en grande majorité Tutsi, ont été exterminés durant les trois mois qui ont suivi. Je suis ici pour vous dire, qu’en tant que Française d’origine arménienne, je me sens doublement concernée par ce génocide. Si je n’ai rien fait en 1994 pour empêcher que des nourrissons, des enfants, des femmes, des hommes, des vieillards connaissent à leur tour l’enfer génocidaire, si je n’ai pas dénoncé à l’époque la participation de mon pays, la France, au troisième génocide du XXe siècle, je peux, au moins, témoigner aujourd’hui de ma solidarité avec vous et contribuer, par le biais de nos actions et du site internet de notre association www.collectifvan.org, à sensibiliser l’opinion publique. Le génocide des Tutsi ne doit pas tomber dans l’oubli comme ce fut le cas trop longtemps pour le génocide arménien. « Qui se souvient de l’anéantissement des Arméniens ? » avait dit Hitler à ses généraux avant d’envahir la Pologne. L’oubli et l’impunité sont parmi les principaux facteurs qui rendent possibles toutes les dérives et tous les passages à l’acte. Il n’est pas normal que des responsables ou des complices du génocide des Tutsi aient trouvé refuge en France ou en Belgique. Il n’est pas normal que toute la lumière ne soit pas encore faite sur les responsabilités françaises au Rwanda. Il n’est pas normal que le président soudanais, Omar El Béchir, inculpé par la Cour Pénale Internationale, de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide au Darfour, n’ait toujours pas été arrêté et jugé : cette non-application d’un mandat d’arrêt émanant d’une juridiction internationale, l’autorise désormais à perpétrer ses crimes dans d’autres provinces du Soudan. Mais le combat contre les génocides ne s’arrête pas à la poursuite des criminels. Car ceux-ci, en parallèle de leur action génocidaire, mettent en place des arguments fallacieux qui leur permettent de nier le crime. Le négationnisme est un fléau car il est l’une des facettes d’un génocide. Il continue de tuer avec des mots, bien longtemps après le crime. Selon Elie Wiesel « la négation d’un génocide, c’est le double-meurtre ». Mais, à en croire certains intellectuels français, si le crime de génocide est condamnable, le double meurtre que constitue le négationnisme serait, lui, acceptable au nom de la liberté d’expression. Pourtant, il est urgent adopter les mesures qui s’imposent pour stopper la prolifération d’idéologies dangereuses pour la paix civile. Certes, on nous dira que la loi Gayssot n’a pas empêché l’assassinat des enfants juifs et de leur enseignant devant l’école Ozar Hatorah de Toulouse. A ceux-là, nous disons : « Aucune loi ne peut désarmer la main du fanatique qui se croit investi d’une mission d’un Dieu quel qu’il soit ». Mais la loi Gayssot peut par contre juguler l’extension de la haine, de l’antisémitisme et du racisme en contraignant les faussaires de l’histoire à mesurer leurs propos. Ce n’est pas le cas du négationnisme du génocide arménien et du négationnisme du génocide des Tutsi. Les débats qui ont agité la classe politique, le monde intellectuel et les medias ces derniers mois, à propos de la loi pénalisant la négation des génocides reconnus par la loi, et par conséquent du génocide arménien reconnu par la France en 2001, ont démontré la méconnaissance des véritables enjeux du volet pénal de la loi présentée devant les députés et les sénateurs. Il ne s’agissait, ni de demander au Parlement d’écrire l’Histoire, car elle est déjà écrite. Ni de brider la liberté d’expression. Premièrement, parce que le négationnisme n’est pas une opinion. C’est le prolongement du crime le plus terrifiant. Et deuxièmement, parce que la Loi Boyer, votée le 23 janvier 2012 au Sénat, était destinée à protéger des citoyens français contre un négationnisme mené, ici, en France, par un Etat tiers, la Turquie, qui pratique un négationnisme d’une puissance inégalée à ce jour. Comme dans le cas du génocide des Tutsi, pour lequel certains utilisent à dessein une vision simpliste et infamante qui fait des Tutsi les responsables de leur propre malheur, où les victimes deviennent les bourreaux, où l’on parle de « double génocide » pour mieux semer le doute, les Arméniens de 1915 – et leurs descendants du XXI e siècle – sont présentés comme des terroristes ou au moins des ultranationalistes parce qu’ils demandent justice. La Turquie use et abuse de pressions économiques, diplomatiques, universitaires, juridiques, militaires et politiques autrement plus inquiétantes pour l’indépendance de la France. Elle aligne des moyens médiatiques, financiers et logistiques contre lesquels il est impossible de lutter avec des moyens purement académiques. Elle distribue des récompenses honorifiques à des personnalités étrangères, dans le but à peine dissimulé d’en faire les émissaires de la liberté de nier dans le monde entier le génocide arménien. Personne ne doit être dupe de ces jeux indignes. Et surtout pas ceux qui appartiennent à des peuples victimes de génocides. J’appelle tous ceux qui comprennent l’éthique et le sens de notre combat, à défendre à leur niveau et dans tous leurs réseaux, un nouveau texte de loi pénalisant la négation outrancière du génocide des Arméniens, des Juifs et des Tutsi. Arméniens, Juifs et Tutsi de France, affirmons nos valeurs communes : si chaque génocide est singulier, nous n’avons pas vocation, ni les uns ni les autres, à faire jouer la concurrence mémorielle. Car c’est dans le partage des mémoires, qu’ensemble nous serons plus forts. Je vous remercie de votre attention. Je profite de l’occasion pour vous annoncer notre 8e Journée annuelle de sensibilisation aux génocides et à leur négation que le Collectif VAN mène avec de nombreuses associations partenaires, qui pour certaines sont présentes ici aujourd’hui. Cette action aura lieu le dimanche 22 avril 2012, de 10h à 20h, sur le Parvis de Notre-Dame de Paris. Comme le premier tour des élections présidentielles se déroule le même jour, votez avant de venir nous rejoindre !

Séta Papazian Présidente Collectif VAN [Vigilance Arménienne contre le Négationnisme] BP 20083 – 92133 Issy-les-Moulineaux – France Boîte vocale : +33 (0)1 77 62 70 77 Email: contact@collectifvan.org http://www.collectifvan.org

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