Tous ceux qui n’auraient pas compris la signification du concept de la néo-colonisation  française,  dite aussi « Françafrique », et de sa pratique en Afrique, en ont, aujourd’hui, une illustration lumineuse, dans la tragique actualité du Mali.

Tout commence, il y a deux semaines, à Bamako, la capitale du Mali, par un coup d’état, bizarre et incompréhensible, perpétré par de jeunes sous- officiers, avec à leur tête, un jeune homme que  ses  camarades appellent leur capitaine.

D’abord, ces soldats maladroits se sont passés de leur hiérarchie pour commettre un acte grave et réellement criminel. En plus, ils ne semblaient pas redouter la moindre sanction. Pas même un simple passage devant une Cour martiale, requise en de telles circonstances.

Et paradoxe, ils ne paraissaient pas avoir l’intention de garder le pouvoir qu’ils venaient de conquérir, les mains dans les poches, sans un coup de fusil. On se serait cru en foire, s’il n’y avait de lourdes conséquences pour des centaines de milliers de civils.

Il est enfin étonnant que, pour des militaires, ces jeunes gens n’aient pas fêté leur victoire.

Le président sortant allait finir son dernier mandat

Plus incompréhensible et plus inquiétant dans ce coup d’état du 22 mars 2012, c’était 36 jours avant que le Président qu’ils ont renversé ne cesse définitivement ses fonctions. Effectivement, monsieur Amadou Toumani Touré ne se représentait pas à sa réélection.

Les électeurs et les électrices maliens, qui s’apprêtaient à aller aux urnes le 29 avril 2012, pour le premier tour de l’élection présidentielle, avaient, chacun, tels des turfistes, leur favori. Le  président AmadouToumaniTouré était non-partant, pour cause d’honneur et de respect de la Constitution.

Alors, pourquoi chasser un président, 36 jours avant son départ constitutionnel ?

Soldats sous influence

Que craignaient ces jeunes soldats, sans envergure et sans expérience, chez cet homme exceptionnel, unanimement réputé, au Mali, en Afrique et dans le monde, comme un homme démocrate, un homme indépendant et un homme de paix ? Lequel, redisons-le, partait en retraite, en laissant au Mali, des institutions solides, de longue durée et prometteuses d’avenir et de souveraineté ?

A quel ordre invisible ont-ils obéi  ces soldats perdus, légers dans leur crime, sans but politique avouable ou apparent, apeurés et honteux devant la situation très compliquée dans laquelle ils plongeaient leur pays et, en fin de compte, obligés de démissionner ?

Devant tant d’incohérences et de comportements aberrants, l’on a pu penser que les putschistes, politiquement immatures, incapables de s’exprimer devant un micro, ne maîtrisant rien dans leur communication, ont certainement obéi à un ordre invisible, étrange et, – pourquoi pas?- étranger.

Pour comprendre les tenants et aboutissants de ce putsch irresponsable, il faut revenir, non pas directement aux événements qui se passent au Mali, mais aux médias et aux déclarations  des responsables politiques français et africains, durant cette singulière et dramatique crise malienne.

Une option qui a les faveurs de Paris

Le premier qui nous a mis la puce à l’oreille d’un possible « coup » de Paris, dans le coup d’état de Bamako, est un journal toujours bien renseigné : « Le Canard Enchaîné ». Dans son numéro du 28 mars 2012, le rigoureux volatile écrit : « Selon les analystes de la Direction du renseignement militaire(DRM), qui suivent de près l’action d’Al-Qaida au Magreb islamique, ce putsch… compromet tout espoir de négociation avec les forces du Nord. Une option qui avait les faveurs de Paris ».

L’expression du Canard enchaîné, « les faveurs de Paris », s’appelle un euphémisme ou une prudence journalistique. Mais, pour un connaisseur de l’Afrique, cela se traduit par « Paris va agir dans le sens de ses intérêts, par tous les moyens ». Y compris par un coup d’état bidon. Puisque c’est Paris qui est maître dans ses colonies.

C’est cynique, mais cela a toujours marché. Depuis Pierre Messmer jusqu’à aujourd’hui.

Les non-sens dans les déclarations d’Alain Juppé

On connaissait le Juppé « droit dans ses bottes », on ignorait les paradoxes juridiques du diplomate.
Le ministre français, comme s’il était le vrai patron du Mali, déclare : « Il faut que la junte s’écarte et que, soit le président de l’Assemblée nationale malienne, soit quelqu’un d’autre, prenne le pouvoir constitutionnel et que ce pouvoir soit aidé pour stopper l’avance d’AQMI » (Le Monde 05/04/2012).

Question : « Comment peut-on écarter une junte pour remettre à « quelqu’un d’autre » le pouvoir constitutionnel ? Le seul moyen de « remettre le pouvoir constitutionnel » est, effectivement, de chasser la junte téléguidée, et de réinstaurer le président élu. Le président élu constitutionnellement n’étant ni mort, ni empêché, ni démissionnaire, ne peut être remplacé, constitutionnellement, par qui que ce soit, surtout pas « par quelqu’un d’autre », pas même par un Président de l’Assemblée malienne. Cela s’appelle la Constitution.

Je m’arrête à cette seule contradiction du ministre français qui fait la loi dans ses colonies. Pauvres maliens ! Y a-t-il quelqu’un pour leur éviter leurs deux malheurs : la Charia et la Colonisation ?

Peut-être des Maliens, fiers comme  le Président Amadou Toumani Touré pour construire une légitimité démocratique de longue haleine.

Le colonisateur a cassé, 36 jours avant son terme, un mandat et une histoire prometteurs.

Cette histoire qui aurait dû se prolonger, de mandat en mandat, en une durée suffisamment longue pour rendre irréversible une souveraineté acquise à force d’intelligence et de courtoisie malienne. Une histoire et une durée qui allaient assécher les ordres et les velléités coloniales.

Malheureusement, quelqu’un a interrompu la chaîne. Il a rompu le charme. On se croirait dans Sisyphe. Toujours recommencer.

Mais, il y aura en Afrique des ATTouré, des Mandela, des Sankara, des Kagame, et d’autres, pour croire en notre Afrique, en nos forces, en notre souveraineté. C’est notre destin.

Post-scriptum

Les chefs d’état de la CEDEAO, Communauté de l’Afrique de l’Ouest, ont entendu les ordres de Juppé. Ils ont remercié la junte. Ils ont nommé « quelqu’un d’autre » à la place du Président constitutionnel, monsieur Amadou Toumani Touré. Il s’appelle Dioncounda Traoré. Une nomination  «inconstitutionnelle ».

Mais Juppé pourra dire aux radios et télés : « Je peux serrer la main de cet homme ».

L. Laurent

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