Publié par Faustin Kagame
Etrange tout ça, mais pas autant que les révélations de M. Prunier sur sa propre participation aux préparatifs d’une guerre dirigée par son ami Seth Sendashonga contre le pouvoir du Président Paul Kagame. Des révélations qui permettraient une lecture plus honnête de son livre, si l’auteur avait eu la bonne idée de les dévoiler en introduction, et non dans une sorte de post-face surajoutée. Car, « du génocide à la guerre continentale » – c’est le titre du bouquin – les événements rapportés n’auront pas le même intérêt ni le même degré de crédibilité, suivant que le lecteur apprend au début ou à la fin du livre, la participation revendiquée de M. Prunier aux tentatives de réarmement d’un groupe d’anciens soldats de l’armée génocidaire rwandaise établis dans les forêts congolaises.
Voici ce qu’on trouve à la page 366 :
« Environ 600 hommes et 40 officiers des ex-FAR s’étaient rassemblés derrière lui (Seth Sendashonga). Ils étaient prêts à le suivre, car ils ne pouvaient plus supporter ni le régime de Kagame à Kigali, ni leurs concurrents de l’ALIR, tous deux représentant à leurs yeux des formes opposées mais symétriques d’un racisme violent. La Tanzanie avait accepté d’accueillir ses camps d’entraînements mais il voulait du soutien auprès de la seule force décisive et progressiste de la région qu’est le régime de Museveni en Ouganda. Il m’a demandé de l’aider à discuter avec Kampala et j’ai arrangé les contacts qu’il fallait. Le dimanche 3 Mai 1998, il y eut une rencontre à Nairobi entre lui et Salim Saleh, le frère du Président Museveni. Le climat n’était pas au rose bonbon entre Kampala et Kigali, et Salim était assez ouvert à l’idée de soutenir une nouvelle force modérée pour qu’elle entre dans le jeu. Quelques jours plus tard, Seth fit la rencontre d’Eva Rodgers du Département d’Etat américain, à qui il exposa un briefing sur ses intentions. La réponse ne fut pas vraiment un net engagement, mais elle ne fut pas hostile non plus. Ce fut peut-être à ce moment que certaines personnes à Kigali décidèrent qu’il venait de passer la ligne rouge ».
Tout est dit. Selon M. Prunier, Seth Sendashonga fut victime de « certaines personnes à Kigali ». Mettez-vous à sa place. Sans la moindre preuve, vous auriez vous aussi pointé le doigt en direction de l’ennemi contre qui vous vous proposiez de lancer une invasion en règle. Simple logique de guerre pour ceux qui la font. Le lecteur lui, est obligé d’envisager d’autres hypothèses, au fil des pistes vers lesquelles l’activisme guerrier du professeur l’entraîne :
Comment ne pas songer aux génocidaires non « modérés » de l’ALIR par exemple, à qui Sendashonga a du se frotter dans les forêts congolaises, avant de leur piquer les 640 gentils censés démarrer sa croisade ?
Comment ne pas s’interroger sur ces Tanzaniens qui offrent des camps d’entraînement pour une invasion du Rwanda, et qui se voient finalement désertés au profit du régime de Museveni, juste parce que Sendashonga considère qu’après tout, celui-ci dispose de la « seule force décisive et progressiste de la région » ? Est-ce ainsi que ça se passe quand on a convaincu un pays de servir de base arrière pour l’invasion de son voisin ? Peut-on juste dire comme au restaurant : « finalement non merci, le menu est meilleur chez votre concurrent » ? Tant d’amateurisme et d’incohérences dans les choix, les décisions et les comportements de Seth et de son entremetteur auprès des Ougandais n’étaient-ils pas porteurs d’effets plus dévastateurs que toutes les cibles qu’on nous indique complaisamment ? Et dans ces tractations diverses, comment ne pas songer à un trésor de guerre sur lequel nous allons revenir au fil des révélations du professeur ?
Voici donc Seth devant Salim Saleh, frère du président Museveni dont M. Prunier se veut si proche qu’il lui recommande son ami avec la certitude que « Salim » lui fournirait de quoi équiper son armée. Imaginons un instant la scène. Seth Sendashonga, nouveau seigneur de guerre à la tête d’une armée de 640 recrues, reçu par le frère du président ougandais la recommandation d’un historien français à la main !
Vient ensuite Eva Rodgers du département d’Etat, qui fut la dernière à recueillir les confidences de Sendashonga avant son exécution, et que le professeur aurait pu interroger comme témoin à ce titre, au lieu de tuer le suspense en désigant prématurément les gens de Kigali.
Et qu’on ne nous dise pas qu’avant d’aller quémander les moyens d’une invasion du Rwanda auprès des alliés de Kagame, on n’aura pas fait le tour de tout ce que le monde des marchands de mort compte de trafiquants. Autant de contacts interlopes, autant de pistes possibles évidemment.
Les aveux d’un historien conteur d’histoires
Dans ce récit d’un historien conteur d’histoires, observons que les aveux sont omniprésents et leur étalage étonnant. Ainsi, en remontant les pistes que M. Prunier nous indique on tombe sur… M. Prunier lui-même. De son propre aveu, c’est lui qui « arrange les contacts qu’il fallait » avec Salim Saleh. Certes, « le climat n’était pas au rose bonbon entre Kampala et Kigali », mais quel amateurisme ! En effet, si M. Prunier croit sincèrement que pour attaquer le Rwanda, « Salim était assez ouvert à l’idée de soutenir une nouvelle force modérée » composée de dissidents de l’ancienne armée génocidaire, c’est que sa réputation de « spécialiste » est quelque peu surfaite.
En réalité, seul un partisan exalté de la cause peut évoquer – sans mourir de rire – cette fable d’une armée de 600 soldats et 40 officiers ex-FAR tous « modérés ». Des combattants recrutés pour leur modération dans les forêts congolaises au sein des futurs FDLR figurez-vous, comme dans le casting d’un film de guerre avorté. Une armée virtuelle, dont M. Prunier se garde d’indiquer le moindre indice matériel d’existence, ni le nom du moindre combattant à la modération reconnue. Une armée évaporée sans laisser d’autre trace que sous la plume de M. Prunier finalement, au risque de donner de la matière à la thèse des magouilles financières évoquées par les auteurs autoproclamés de l’attentat contre Sendashonga devant les tribunaux kenyans.
Et c’est ainsi que muni de la recommandation d’un professeur d’université et d’un dossier bancal, le pauvre Sendashonga est allé se présenter devant le commandant en chef de « la seule force décisive de la région » ! Pouvait-il passer pour autre chose qu’un dangereux charlatan dans ces conditions ? Climat « rose bonbon » ou pas, imagine-t-on que grâce au renfort d’une armée « modérée » conduite par un duo de guerriers en pantoufles comme Sendashonga et Prunier, le général Saleh et son frère allaient se lancer dans une guerre risquée contre une armée rwandaise devenue l’autre force décisive de la région ? Qui ne voit que les Ougandais n’avaient rien à gagner mais tout à perdre, dans l’instrumentalisation d’un bataillon de 640 criminels de guerre en déroute, dont la combativité ne s’est exercée que sur les populations congolaises vivant sous leur joug ?
« Quelques jours plus tard » écrit M.Prunier, « Seth fit la rencontre d’Eva Rodgers du Département d’Etat américain, à qui il exposa un briefing sur ses intentions ». Prunier ne dit pas si là aussi, il avait « arrangé les contacts qu’il fallait ». Toutefois, qu’il n’ait rien tenté pour dissuader le malheureux d’aller tout raconter aux Américains relèverait de la non-assistance à personne en danger, si M. Prunier pouvait se convaincre lui-même de la culpabilité de Kigali dans l’affaire. Tout au long de son livre en effet, Prunier s’attarde sur l’alliance sinon la complicité des Américains avec le régime de Kagame, qui les manipulerait comme des novices. Une alliance reposant selon lui sur la fascination de ces ploucs de Yankees frustrés de victoires, pour l’efficacité militaire du FPR. Et c’est à ces fans transis d’admiration pour Kagame qu’en toute connaissance de cause, le professeur Prunier laisse son ami « exposer un briefing sur ses intentions » belliqueuses !
En tout état de cause, M. Prunier a tort de croire qu’il lui suffit de marquer ses soupçons du sceau de l’évidence pour que sa réputation d’auteur fasse le reste. Dans ce genre d’affaires plus qu’en toute autre, l’exigence de lucidité est prégnante. M. Prunier en fait-il preuve en accusant les services de Kigali dans l’affaire ? Pas si sûr. De tout ce que lui-même avance, voici les conclusions qui s’imposent.
Oui sans doute, dans un accès d’aveuglement sinon de cynisme à peine croyable, Gérard Prunier a engagé son ami Seth à démarcher la mise sur pied d’une entreprise de guerre auprès de gens dont il n’ignorait pas les liens possibles avec le gouvernement qu’il s’agissait de renverser par la force.
Non, et c’est tant mieux pour son compte, il n’y a pas de lien automatique entre toute cette pantalonnade dont Prunier se vante et l’implication de ce gouvernement dans l’assassinat de Seth Sendashonga.
Non, la piste d’un crime lié à des disputes d’argent n’est nullement à exclure. Elle l’est d’autant moins que sa réfutation par Prunier finit par se retourner contre elle-même. A vouloir trop en faire dans l’éloignement de tout soupçon en ce domaine, le professeur évoque la constitution possible d’un trésor de guerre comme on va le voir.
L’argument le plus nul du siècle
Qu’en est-il des auteurs autoproclamés de l’attentat contre Seth au fait ? Prunier les traite de lampistes. Or, autant le lecteur peut concevoir que ces personnes arrêtées et jugées au Kenya aient pu mentir sur des détails de l’affaire, mais comment imaginer que dans un procès public, ils aient pu s’exposer à encourir la peine de mort en s’accusant faussement de meurtre ? Auraient-ils mis leur vie en péril sous l’injonction de leurs « commanditaires » siégeant dans quelque bureau de Kigali à 800 km de là ? Tant d’audace et de force d’âme seraient admirables, mais on est dans la vie réelle. Pas au cinéma. En réalité, l’héroïsme de ces justiciables kamikaze est d’autant plus improbable que Prunier nous décrit les relations entre le Kenya et le Rwanda comme étant exécrables à l’époque. Un contexte pas vraiment propice aux arrangements honteux en douceur, si les services rwandais étaient dans le coup. Sur ce point, le professeur Prunier ne dit pas où est l’astuce. Il se contente d’en rajouter en sortant l’argument le plus nul du siècle.
La preuve que Seth n’a pas pu tremper dans une affaire impliquant 54 millions de dollars, explique-t-il, c’est qu’en date du 4 novembre 1998, il m’a envoyé de Nairobi le courrier suivant : “Nous menons notre combat avec des moyens très limités… J’espère que tu poursuivras ta recherche de fonds et que tu pourras nous obtenir une petite aide. Je te prie de ne négliger aucun effort car nous sommes vraiment fauchés. Les choses en sont au point que nous avons à peine assez d’argent pour envoyer notre courrier”. Et Prunier de conclure : “Pas vraiment le discours d’un homme qui aurait trouvé le moyen de mettre de côté 54 millions de dollars”… Eh bien voyons ! La preuve qu’on n’a pas d’argent, c’est qu’on en demande. Joignez une lettre dans ce sens à votre déclaration d’impôt et vous serez exempté d’office. Comme on le voit, la candeur du professeur est confondante quand il veut s’y mettre. Il n’imagine pas que l’expression « mettre de côté 54 millions » puisse être pris dans son sens littéral. Et c’est avec ces arguments qu’il prétend laver son ami de toute compromission pécuniaire. Le professeur devrait le savoir pourtant : en forçant les arguments, il ne fait que renforcer les soupçons.
Puis, très accessoirement au passage, on apprend que dans cette guerre en gestation, M. Prunier tenait plus que le rôle de démarcheur en armements. Il devait aussi “poursuivre (sa) recherche de fonds” pour la cause. On l’aura bien lu, il s’agissait de poursuivre. Rien de ponctuel.
Un fauteur de guerre
Cela dit, qu’on me pardonne d’avoir volontairement négligé les 364 premières pages du livre. Il y a lieu de tout rattraper grâce à l’appréciation de quelqu’un d’autre. Cité par Prunier dans la bibliographie de son livre, Tom P.Odom écrit : “Pour avoir été témoin de certains événements relatés dans le livre, j’y ai trouvé de nombreuses erreurs factuelles, des analyses douteuses et des informations de source hasardeuse. Ma déception fut grande de ne pas retrouver ce que j’avais apprécié à la lecture de l’oeuvre antérieure de Prunier sur la tragédie rwandaise.
Contrairement à son ambition apparente, ce livre ne relève ni de la bonne conception de l’histoire, ni du bon journalisme. L’histoire repose normalement sur des faits, des témoignages, des documents publics, elle recourt à un minimum d’analyse équilibrée. Le journalisme implique d’écrire sans thèse partisane fixée par avance. Le livre de Prunier est marqué par le dévouement à Seth Sendashonga, l’ancien ministre de l’Intérieur exilé qui fut assassiné à Nairobi en 1998. Sendashonga, membre hutu du Front Patriotique Rwandais (FPR) a fui le Rwanda en attribuant au FPR des tueries défiant la crédibilité.
C’est à lui que la dédicace du livre de Prunier est consacrée. Si vous prenez la peine de lire l’appendice relatif à son assassinat, vous verrez que Prunier reconnait avoir mis Seth en contact avec des Ougandais semble-t-il désireux d’ouvrir un front contre Kigali à l’Est. Malgré cela, il essaiera de vous faire croire qu’il reste un auteur crédible sur le Rwanda”.
Plus loin, Tom P.Odom résume : “Pour Gérard Prunier, Paul Kagame est une réincarnation de Staline ou de Hitler, avec le génie militaire de Napoléon ajouté pardessus pour faire bonne mesure”. Serait-ce l’hommage du vice à la vertu ? Malgré cela, le professeur Prunier essaiera de vous faire croire que des oripeaux de crédibilité académique pendouillent encore de son personnage de terroriste aspirant, de fauteur de guerre, d’éminence grise pour invasion ratée.
Cet article a été publié en premier par l’Agence Rwandaise d’Information
Posté par rwandaises.com