Par AFP, publié le

Arusha (Tanzanie) – Après 20 ans de travail et 61 condamnations, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) se prépare à fermer ses portes sur un bilan en demi-teinte: une justice insuffisante, mais qui aura eu le mérite d’exister.

Génocide au Rwanda: bilan en demi-teinte pour le Tribunal international

Danielle Nyirabazungu, gardienne du mémorial, devant les crânes de victimes du génocide, le 27 février 2004 à Nyamata

afp.com/Gianluigi Guercia

Au final, le Tribunal aura « quand même fait son travail » résume Bonaventure Higaniro, gardien du mémorial du génocide de Kamonyi, à une trentaine de kilomètres au sud de Kigali. L’homme aurait préféré que l’ancien maire de la commune, Jean-Paul Akayesu, premier condamné du TPIR, et les accusés suivants, soient jugés au Rwanda.

A l’époque du génocide, la localité de Kamonyi s’appelait Taba, et M. Akayesu, condamné depuis à perpétuité, était alors son édile.

« Cela aurait été mieux qu’il soit jugé ici (…) car ici les gens le connaissaient et auraient pu donner plus d’informations« , glisse Bonaventure. Mais, reconnaît-il, sans le TPIR, l’ancien maire, qui avait fui en Zambie après le génocide, et bien d’autres n’auraient jamais été arrêtés.

« Ceux qui ont tenté de fuir, le TPIR a mis la main dessus, et les a jugés.« , ajoute-t-il.

Créé par l’ONU en 1994, le TPIR devait fermer le 31 décembre, mais la date a été repoussée de quelques mois pour la tenue d’un dernier procès en appel.

En 20 ans, le TPIR a mis en accusation 92 personnes, surtout des hauts responsables politiques ou militaires en fonctions au moment du génocide qui, en trois mois en 1994, a fait au moins 800.000 morts selon l’ONU. 61 d’entre elles ont été condamnées, dont sept attendent encore leurs procès en appel.

Justice lente, coûteuse, mal au fait de la réalité rwandaise, pas assez proche des victimes, qui n’ont pu y intervenir qu’en tant que témoins et n’ont jamais pu obtenir réparation… le TPIR s’est attiré de nombreuses critiques.

Le Rwanda n’avait pas voulu du Tribunal sur son sol. Il était en désaccord avec son mandat, qui couvrait aussi d’éventuels crimes commis par la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR) – alors menée par Paul Kagame, devenu depuis chef de l’Etat – lors de son offensive ayant mis fin au génocide.

Kigali a aussi systématiquement fustigé les acquittements qui y ont été prononcés.

Aujourd’hui encore, le procureur général rwandais, Richard Muhumuza, regrette « le petit nombre de suspects » jugés à Arusha. Et le président de l’association des rescapés Ibuka, Jean-Pierre Dusingizemungu, que neuf accusés, dont l’argentier présumé du génocide Félicien Kabuga, soient encore en fuite.

D’autres estiment qu’en ne jugeant que les responsables du génocide et aucun cadre du FPR, le TPIR – comme les juridictions rwandaises – est passé à côté du rôle réconciliateur qu’il aurait pu avoir.

Une critique que le procureur actuel du TPIR, Hassan Bubacar Jallow, balaie, expliquant avoir dû « se concentrer » sur les crimes de génocide par souci d’efficacité.

En 20 ans, le Tribunal n’a jamais tranché la question de la planification et de la préparation du génocide. Son mandat débutait d’ailleurs au début de l’année 1994 — ce que dénonçait aussi Kigali, pour qui le génocide avait été préparé dès 1990, voire même dès les premiers pogroms antitutsi des années 50.

Mais tous reconnaissent qu’il aura au bout du compte réalisé un travail colossal en décortiquant le déroulement du génocide et en produisant des montagnes d’archives.

Et qu’il aura permis, comme son jumeau le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie (TPIY), de mettre fin à l’impunité dont bénéficiaient jusque-là hauts responsables politiques et militaires coupables des crimes les plus graves.

« Le TPIR et le TPIY ont eu le mérite d’exister 50 ans après Nuremberg« , le tribunal international qui jugea les dirigeants nazis après la guerre, estime Pascal Besnier, de la Division des services judiciaires et légaux du TPIR.

Première – et à ce jour seule – juridiction internationale à avoir jugé, en Afrique, des crimes aussi graves, le TPIR n’est cependant pas nécessairement un modèle à répliquer, estiment ses principaux acteurs.

Le problème d’une telle juridiction est qu’elle « est coûteuse et porte en elle ses propres limites« , estime son greffier, Bongani Majola: privé de police propre, le TPIR reposait exclusivement sur la coopération, pas toujours évidente, de pays tiers pour arrêter les fugitifs.

Pour le greffier, l’avenir sera sans doute davantage à des procès organisés aux niveaux national ou régional, « où il y aura peut-être plus de coopération » entre Etats, à l’exemple de la juridiction spéciale créée en 2012 à Dakar par un accord entre l’Union africaine et le Sénégal pour juger l’ex-dictateur tchadien Hissène Habré.

La justice internationale aura cependant toujours « un grand défaut« , estime Carla del Ponte, ex-procureur du TPIR écartée, dit-elle, pour avoir tenté d’enquêter sur des responsables du FPR: elle a beau constituer « le bon chemin« , elle dépendra toujours « de la volonté politique de la communauté internationale« .

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