Face à la tragédie rwandaise, il faut sortir du déni
« Jusqu’où peut-on aller dans la reconnaissance de la responsabilité de la France ? Pour moi, un grand pays a toujours intérêt à reconnaître ses fautes. » Ces propos sont ceux d’un socialiste, l’ancien député Pierre Brana, rapporteur de la mission d’information parlementaire de 1998 sur le Rwanda, qui s’exprimait en janvier 2014 lors d’un colloque à Sciences Po Paris.S’il l’avait voulu, François Hollande aurait pu les reprendre à son compte, vingt et un ans après le génocide des Tutsi du Rwanda. Mais le président de la République a fait un autre choix, le 7 avril 2015, en annonçant en fin de journée par un simple communiqué : « la déclassification des archives des documents de l’Elysée relatifs au Rwanda entre 1990 et 1995 ».Cette déclassification a été présentée comme un geste d’ouverture sans précédent. L’Elysée assure qu’il s’agit pour « la France » de « faire preuve de transparence » et de « faciliter le travail de mémoire sur cette période ». Sur le principe, la démarche n’est pas critiquable. Ouvrir des fonds d’archives, même si leurs modalités d’accès peuvent toujours constituer un barrage, est un geste qu’il faut saluer dans notre pays qui a tant de mal à regarder les pages sombres de son Histoire en face.Mais « la ficelle » est un peu grosse. Car, en réalité, de quoi parle-t-on ? De 80 documents, selon la porte-parole du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), interface entre les services de renseignement et l’exécutif, chargé de piloter le processus. Quatre-vingts documents, alors même que des dizaines de notes de l’entourage de François Mitterrand circulent depuis dix ans parmi la communauté de chercheurs, d’historiens, d’associations et de journalistes qui travaillent sur le sujet. De nombreuses archives ont également été dévoilées par la mission d’information parlementaire, en 1998.Mais surtout, que disent ces notes de l’Elysée qui s’étalent pour la plupart sur la période allant de 1990, date de l’entrée en guerre contre la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR), au printemps 1994, qui vit l’élimination systématique d’un million de personnes, Tutsi et Hutu opposés aux extrémistes, en une dizaine de semaines ? Elles montrent la terrifiante compromission de l’Elysée et de l’état-major militaire auprès d’un régime criminel, celui du président rwandais Habyarimana contre les Tutsi du FPR, ces « Khmers noirs » considérés comme des « ennemis de l’intérieur ».

Entreprise de longue haleine

Ces notes racontent, mois après mois, la mainmise d’un groupe de militaires, de diplomates et de hauts fonctionnaires sur la politique menée au Rwanda dans le plus grand secret par François Mitterrand, « au nom de la France ». En notre nom à tous. Cette politique est un soutien sans failles au régime de Juvénal Habyarimana. Autrement dit, au régime génocidaire, car ce génocide n’a pas soudainement germé le 7 avril 1994 au matin dans le cerveau de quelques esprits malades. Ce projet génocidaire s’est développé sous les yeux de responsables français qui étaient aux premières loges, puisqu’ils soutenaient à bout de bras un régime indéfendable.

Un vrai génocide – et celui-ci n’y échappe pas – est une entreprise politico-militaire de longue haleine. Il commence par la définition de « l’ennemi », se poursuit avec la formation, l’entraînement et l’armement des milices interahamwe, puis le quadrillage de la population, la création de listes de cibles politiques et civiles et la mise en place de l’infâme Radio des Mille Collines appelant au meurtre.

Il continue par des manipulations de l’opinion afin de déclencher des massacres de masse. Enfin, il se conclut par une véritable « guerre sur les arrières » du front – où toute distinction entre civils et militaires s’efface –, outil de prédilection des forces spéciales lorsqu’elles ont affaire à une rébellion. Tout cela, les hommes du président Mitterrand le savaient, l’entretenaient et le stimulaient. Jour après jour.

Et pourtant, tous n’ont pas « consenti » au pire. Tous n’étaient pas d’accord avec les décisions prises dans le secret de l’Elysée. Des diplomates ont contesté cette politique. Un général, patron de la Mission militaire de coopération (MMC) et socialiste, a mis sa démission dans la balance.

« Transparence »

Des analystes de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ont tenté de promouvoir d’autres solutions, contre l’avis de leurs collègues de la Direction du renseignement militaire (DRM) et du Commandement des opérations spéciales (COS). Un ministre socialiste de la défense, Pierre Joxe, a même tenté de sonner l’alerte auprès du président Mitterrand. En vain. Tout cela est connu. Pourtant, la France ne veut toujours pas le reconnaître.

En fait, si François Hollande veut réellement faire œuvre de « transparence », il faut surtout qu’il permette l’accès aux archives de la défense, du Quai d’Orsay, de la Coopération et des services de renseignement, comme l’ont fait depuis longtemps d’autres pays comme la Belgique…

Si le chef de l’Etat veut réellement « faciliter le travail de mémoire », il faut qu’il permette aux juges d’instruction qui enquêtent sur le rôle de la France au …

Lemonde | Par Lemonde

Posté par rwandaises.com