Contrairement aux clichés confortables dépeignant l’événement sous les traits d’une guerre inter- ethnique « familière » au continent africain, les massacres du printemps 1994 sur les collines rwandaises ont répondu à un macabre projet politique, lui- même nourri par une idéologie raciste et mu par une utopie d’extermination dont témoigne la radicalité de sa mise en œuvre, que nous allons démontrer dans le détail dans cet article en nous référant aux résultats d’une recherche approfondie effectuée par Hélène Dumas, chercheuse à l’École de Hautes Études en Sciences Sociales [EHESS], à Paris, et publiée dans la revue L’Histoire no 396 de février 2014, pp. 48-57. L’éradication de l’ennemi intérieur- ENILe 1er octobre 1990, le Front Patriotique Rwandais [FPR], mouvement politico- militaire fondé quelques années plus tôt par un groupe de patriotes rwandais exilés en Uganda depuis 1959, comprenant notamment Tito Rutaremara [Mzee Tito le patriarche, comme on l’appelle familièrement encore aujourd’hui], Protais Musoni et Zénon Mutimura, lance, avec sa branche armée l’APR, commandée par Fred Rwigema, sa première offensive sur le Rwanda. Celle-ci, après être parvenue jusque dans la localité de Kabarondo non loin de Rwamagana et conquis presque toute la région orientale du pays, est repoussée par les ex- Forces Armées Rwandaises [ex- FAR] soutenues à la fois par des troupes françaises, belges et zaïroises.Cette offensive bien que jugulée ainsi et défaite passablement marque le début d’une guerre civile rwando- rwandaise qui ouvrira, bientôt, la voie à la préparation idéologique et matérielle d’un génocide. Dès cette date, le régime d’ex- président Juvénal Habyarimana, qui avait pris le pouvoir par un coup d’État particulièrement sanglant, en 1973, prend prétexte d’un conflit présenté comme une lutte de libération, rassemblant tous les patriotes rwandais de toutes les « ethnies » confondues, pour justifier une répression féroce contre les Tutsi de l’intérieur, d’abord, et plus tard, pour perpétrer leur extermination presque totale , en plus des massacres des Hutu modérés.

Dès la nuit du 4 au 5 octobre 1990, dans la foulée d’intervention belgo- franco- zaïroise, plusieurs milliers de personnes sont arrêtées, taxées de « complices » [Ibyitso] de l’ennemi : la majorité est tutsi. La presse internationale, en particulier belge et anglo-américaine, dénombra jusqu’à 10.000 le nombre des détenus, arrêtés arbitrairement sur simple délation et parqués dans les stades pendant des mois, sans jugement. Dans certaines régions proches des zones de combats, comme dans l’Umutara et Kibilira, les massacres systématiques de Tutsi se multiplient, sans que l’opinion internationale s’en alarme. Ces tueries, déjà massives, mobilisent quelques- uns des principaux dispositifs meurtriers que l’on retrouvera pendant le génocide de 1994 ; à savoir :

-  La conjonction entre les autorités administratives nationales, les élites locales et les « citoyens » ordinaires ;
-  L’usage d’un arsenal varié. Lire supra ;
-  Un système de filtrage de la population par la multiplication des barrages routiers ;
-  Et, déjà, la présence de certaines pratiques de cruauté raffinée comme les viols publics des femmes suivis par d’inévitables exécutions. Seuls, provisoirement, les lieux sacrés- églises et institutions religieuses- semblent alors encore retenir les tueurs.

Ainsi, dès le début de la guerre de libération, les civils tutsi sans défense [les ex-FAR étaient entièrement hutu] deviennent les victimes expiatoires d’un régime ethno- racial qui n’a alors aucune peine à présenter ces massacres, banalement, comme « des troubles interethniques » spontanés confortant les représentations encore en vogue dans les ambassades occidentales accréditées à Kigali.

Dans les années qui suivent, chaque réaction du FPR- mouvement, comme on a vu rassembleur, – même une simple contre- attaque défensive contre une offensive des ex- FAR combinées avec le soutien français donne lieu à des tueries de Tutsi dans le Bugesera, à Kibuye et un peu partout dans le pays. Et si les populations civiles tutsi sont soupçonnées de complicité avec le FPR, c’est toujours au nom d’une solidarité ethnique, primitive, dont nous avons démontré le long processus de construction ethno- raciale, datant d’époque coloniale germano- belge, dans nos précédents articles publiés en feuilleton dans l’hebdomadaire La Nouvelle Relève, en appui au programme en cours de « Ndi Umunyarwanda ».

D’emblée, l’idéologie extrémiste hutu convoque un racisme mêlant les rengaines de la pseudo- révolution sociale hutu de 1959, dont nous avons vu le caractère néocolonial, à l’occasion également de mes précédents articles sur « Ndi Umunyarwanda », aux couplets contemporains sur la perversité intrinsèque des Tutsi, en général, et de leurs femmes en particulier.

C’est d’abord sur le terrain de la guerre, au sein de l’État- Major général des ex- FAR, que l’on trouve la première définition formalisée de « l’ennemi », sous le nom de code ENI. Les documents qui l’attestent furent découverts dans une mallette abandonnée par le chef d’État- Major des ex- FAR, le colonel Déogratias Nsabimana alias « Castar » lors d’accident du véhicule qu’il conduisait.

Si la cristallisation de la figure d’ENI en Tutsi « revanchard » germe dans les cercles de l’État- Major, elle trouve un moyen de diffusion plus large par le biais des médias, indique Hélène Dumas, op.cit., p.49. Cf. aussi J.- P. chrétien [dir.], Rwanda- Les médias du génocide, Karthala 1995. Cet ouvrage écrit en moins d’une année après le génocide contre les Tutsi est devenu un classique de la critique des médias de la haine, qui pullulent au Rwanda depuis le déclenchement de la lutte de libération, en octobre 1990, jusqu’à son triomphe, en juillet 1994.

L’usage des médias de la haine non- professionnels

Dès décembre 1990, le journal bi- mensuel Kangura publie « Les 10 Commandements des Bahutu », décalogue dont les préceptes invitent les Hutu « à cesser d’avoir pitié des Tutsi » [8ème commandement] ; à se méfier de leurs femmes au charme vénéneux [premier commandement] et à rompre toute relation commerciale avec les Tutsi [4ème commandement], puisque ceux-ci sont foncièrement malhonnêtes.

Alors que tous les citoyens du Rwanda ont en partage depuis un millénaire et 7 siècles, au moins, un même espace géo- physique, les collines sur lesquelles ils cohabitent ensemble en symbiose depuis les temps immémoriaux, que leurs ancêtres adoraient un unique Dieu « Imana » avant l’avènement du christianisme et de la religion musulmane et, surtout, Hutu et Tutsi avaient tissé des alliances matrimoniales communes apparemment indissociables, et s’expriment, avec des Batwa, dans une langue vernaculaire commune, le Kinyarwanda.

Cependant les médias de la haine, formule désormais célèbre due au Professeur J.- P. Chrétien, éminent chercheur au CNRS à Paris, vont s’appliquer, malgré tout, à exclure les Tutsi de l’histoire nationale, voire de l’histoire générale de la région des Grands Lacs, avec l’aide du rédacteur en chef du périodique Kangura, Hassan Ngeze, un self made man quasi- analphabète, originaire de la banlieue de la ville Gisenyi, aujourd’hui condamné par le TPIR à Arusha pour avoir commis les pires crimes de génocide.

Un peu plus tard, les chaînes de radiodiffusion-notamment la tristement célèbre Radio Machette, RTLM, fondée en juillet 1993 par des proches du régime dictatorial du général Juvénal Habyarimana- serviront, mais cette foi- là avec l’aide des professionnels des médias, de porte- voix à leur discours de haine ethno- raciale exacerbée et relaient efficacement les rumeurs invraisemblables et fantaisistes sur les prétendus « complots tutsi » contre lesquels les Hutu sont appelés à se mobiliser.
L’appel au « peuple majoritaire » [ Rubanda Nyamwinshi »] pour défendre la nation menacée par une minorité sournoise n’est pas seulement rhétorique.

Un programme dit d’ « autodéfense civile » se déploie progressivement sous la responsabilité conjointe des autorités administratives locales et des officiers des ex- FAR en charge des secteurs opérationnels quadrillant tout le pays en guerre.

(*)L’auteur de ce texte est, au moment où il l’écrit, Député PSR au Parlement Rwandais. Il promet de le publier en entier en 5 parties successives.

http://fr.igihe.com/politique/les-tentatives-d-extermination-des-tutsi-du.html

Posté par rwandaises.com