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Le président Nkurunziza a fixé à ce samedi l’ultime délai pour la remise des armes en circulation. Des discours plus que menaçants alimentent les craintes de la population. Le vocabulaire rappelle celui utilisé en 1994 au Rwanda, à la veille du génocide…
Abreuvée de discours menaçants, réveillée chaque matin par les détonations et le souffle des explosions, Bujumbura s’enfonce dans la peur. Selon un journaliste local, joint par téléphone, les quartiers nord de la ville, fiefs de la contestation, se vident lentement : « Ballots sur la tête, les gens fuient. Ils craignent l’expiration de l’ultimatum fixé à ce samedi par le président
Nkurunziza qui, dans un discours à la nation, a ordonné que toutes les armes soient remises. »

Un autre interlocuteur confirme : « Il y a beaucoup d’armes dans les quartiers. Les opposants au régime sont désormais
organisés, bien armés, il est clair qu’ils sont approvisionnés depuis un pays voisin. Face à eux, l’armée et la police elles aussi ont été rééquipés en armes et sont prêtes à tout… »
Et de conclure : « La peur est permanente : on tire sur des cortèges funéraires, sur des corbillards, les morts s’additionnent et on ne sait pas vraiment qui est à l’origine de ces provocations. Pire encore que les grenades, les bombes, les détonations, nous vivons l’institutionnalisation du mensonge, de la manipulation : chaque partie commet des crimes qu’elle impute à l’autre, on ne sait plus qui est qui… Dans les deux camps, on recourt à la
violence… C’est la spirale de la terreur… »

Lorsque, le 20 août dernier, le président Nkurunziza avait prêté serment, investi pour un troisième mandat à l’issue d’élections violemment contestées, il s’était engagé à ramener la paix dans un délai de deux mois. Mais, depuis lors, les attaques contre les positions de la police se sont multipliées.

Le premier délai d’un mois accordé pour permettre la remise volontaire des armes entre les mains des civils ayant expiré sans donner de résultats, le chef de l’Etat, dans un discours solennel, a donné un dernier terme de cinq jours, qui expire ce week-end. Après quoi, a-t-il menacé, les forces de l’ordre recevront « tous les moyens » pour se défendre et désarmer les auteurs des attaques.

Au cours des dernières semaines déjà, les forces de sécurité à la recherche d’armes ont multiplié les descentes dans les quartiers, avec perquisitions, fouilles et parfois meurtres. Chaque matin, des corps étaient retrouvés dans la rue…

Rappelons que, lorsqu’en avril dernier le parti au pouvoir annonça que le président sortant, Pierre Nkurunziza (en violation de l’esprit des accords de paix d’Arusha), allait briguer un troisième mandat, l’opposition à ce projet dépassa largement le cadre ethnique : au sein même du parti majoritaire, des intellectuels hutus se dressèrent contre cette violation de la Constitution, et ces « frondeurs » furent exclus du parti. Un militaire hutu, le général Nyombare, mena une tentative de putsch, rapidement mise en échec, mais qui permit de détruire plusieurs stations de radio indépendantes et de durcir la répression.

A l’époque, au sein de la société civile comme parmi les manifestants, opposants hutus et tutsis se retrouvaient côte à côte, hostiles à un pouvoir dont ils critiquaient la corruption, l’inefficience et dont ils refusaient la reconduction à l’occasion d’un troisième mandat présidentiel.

Six mois plus tard, les « vieux démons » du Burundi semblent s’être réveillés et l’ethnisme, délibérément ranimé par le pouvoir, a refait surface : les dizaines de milliers de réfugiés qui ont afflué vers le Rwanda voisin sont essentiellement tutsis, et ils assurent avoir été menacés par leurs voisins. Mais surtout, des personnalités officielles, soutenant l’ultimatum lancé par le président Nkurunziza, n’hésitent pas à tenir des discours dont le vocabulaire rappelle les termes utilisés à la veille du génocide au Rwanda en 1994 – lire ci-contre. Il faut noter, de surcroît, que les menaces ne visent pas seulement les opposants et les Tutsi : comme au Rwanda en 1994, les Belges sont volontiers pris comme boucs émissaires, accusés de tous les maux qui ont frappé le Burundi, depuis la colonisation jusqu’à nos jours.

Face à cette détérioration rapide de la situation, la présidente de la Commission de l’Union africaine, Dlamini Zuma, a dénoncé dans un communiqué « la poursuite des actes de violence, ainsi que la multiplication des déclarations de nature à aggraver davantage la tension actuelle et à créer les conditions d’une instabilité encore plus grande, aux conséquences dévastatrices tant
pour le Burundi que pour l’ensemble de la région ».

A ce stade cependant, aucune action internationale concrète n’est encore envisagée. ■

COLETTE BRAECKMAN
Publié le 7-11-2015 – à 10:15′ par IGIHE

http://fr.igihe.com/droits-humains/la-peur-du-pire-au-burundi.html

Posté le 08/11/2015 par rwandaises.com