Face aux graves violations des Droits de l’homme commises au Burundi, M. Gasana Ndoba, expert indépendant périodiquement consulté par les Nations Unies dans le domaine des droits de l’homme, ancien président de la Commission Nationale des droits de la personne du Rwanda, vient d’accorder une interview exclusive à IGIHE.

Il montre comment cette crise burundaise, si elle perdure, peut avoir un impact négatif sur ses voisins, en plus de ses graves conséquences internes. Il propose une voie de solution possible ; celle d’une intervention plus résolue du Conseil de Sécurité des Nations Unies, après une enquête menée par des experts indépendants et strictement impartiaux.

 

Ci après l’interview  :

IGIHE : M. Gasana Ndoba, vous êtes un expert indépendant périodiquement consulté par les Nations Unies en matière de droits de l’homme, comment voyez-vous la crise burundaise ? Entrevoyez-vous une voie de solution durable à la question ?

M. Gasana Ndoba : Commençons par préciser que je m’exprime ici à titre strictement personnel, comme un citoyen africain et du monde interpellé par une situation dramatique, et que mes propos n’engagent ni les Nations Unies, ni aucun autre organisme international, régional ou national avec lequel j’ai collaboré ou collabore encore.

La crise burundaise actuelle est inséparable de la controverse autour du troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza. Elle commence plusieurs mois avant la tentative infructueuse de modification de la Constitution pour rendre légitime ledit troisième mandat.

En guise d’alternative, les observateurs de la scène politique burundaise pensaient que le Président Nkurunziza allait soutenir la candidature d’une autre personnalité du CNDD-FDD pour briguer le fauteuil présidentiel.

Les choses se sont passées autrement. Le Président et la tendance qu’il représente au sein de son parti ont préféré recourir à la Cour Constitutionnelle. L’arrêt de celle-ci leur a donné raison, malgré l’opinion contraire du Vice-Président de cette même Cour, aujourd’hui en exil, et d’une bonne partie des experts qui se sont penchés sur le prescrit des Accords de Paix d’Arusha et de la Constitution burundaise.

Tout part des interprétations divergentes des articles 96 et 302 de la Constitution de la République du Burundi. L’Article 96 stipule que « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct renouvelable une fois ». Ici la Constitution est conforme au prescrit des Accords de Paix d’Arusha.

Quant à l’article 302, il introduit une disposition transitoire qui porte sur le premier mandat post-transition. Cette disposition est la suivante : « A titre exceptionnel, le Premier Président de la République de la période post-transition est élu par l’Assemblée Nationale et le Sénat élus réunis en Congrès, à la majorité des deux tiers des membres ».

Le débat achoppe sur l’interprétation de cette « exception ». Porte-t-elle sur le mode d’élection du Président (suffrage universel indirect, c’est-à-dire élection par les 2 Chambres réunies en Congrès pour le premier mandat du Président post-transition v/s suffrage universel direct en temps ordinaire), et sur le nombre de mandats (trois pour le 1er Président post-transition v/s deux pour tous les autres) ?

La Cour Constitutionnelle burundaise a manifestement opté pour l’application de l’exception au nombre de mandats aussi, accordant ainsi au premier Président post-transition un premier « mandat spécial » de cinq ans qui ne compte pas et un deuxième mandat, issu du suffrage universel, renouvelable une fois.

Force est de constater qu’au lieu de mettre un terme au débat sur le troisième mandat du Président Nkurunziza, cette interprétation a abouti à l’aiguiser. Depuis lors, les camps sont plus tranchés que jamais. Ce qui se traduit notamment dans le fait que le processus électoral organisé à l’issue de l’arrêt de la Cour constitutionnelle susmentionnée, en particulier la ré-élection du Président Nkurunziza pour un troisième mandat, fait l’objet d’une contestation qui ne faiblit pas de la part de l’opposition et d’une bonne partie de la société civile burundaise.

IGIHE : Y a-t-il un autre organe national burundais capable de mener l’arbitrage dans cette crise burundaise ?

Gasana Ndoba : Non ! La Cour Constitutionnelle ayant été contestée, d’une part, les organisations sous-régionales (East African Community et Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs) et régionale (Union Africaine) ayant échoué à ce jour, seul le Conseil de Sécurité des Nations Unies, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, pourrait imposer une solution contraignante vis-à-vis des parties au conflit, au regard des graves menaces contre la paix que représente aujourd’hui la crise dans laquelle le Burundi est plongé depuis une année entière.

A mon humble avis, cette solution devrait prendre appui sur un avis juridique formulé par une commission d’experts indépendants et impartiaux concernant la question du troisième mandat évoqué plus haut. Une fois adopté par l’ONU, cet avis devrait être consacré par une résolution contraignante du Conseil de Sécurité.

Les négociations politiques qui s’en suivraient, et dont l’objectif immédiat serait de mettre en place un gouvernement de transition où toutes les parties au conflit seraient représentées, auraient ainsi une assise solide, de nature à trancher définitivement le nœud gordien de la crise burundaise actuelle.

A défaut de cet engagement méthodique et résolu du Conseil de Sécurité des Nations Unies, toutes les autres tentatives de solution risquent de s’avérer improductives. Pour donner une chance à la paix et pour que cessent enfin les souffrances inutilement imposées au peuple burundais, cette piste mérite d’être explorée.

Propos recueillis par Jovin Ndayishimiye

http://fr.igihe.com/politique/gasana-ndoba-expert-en-droits-humains-propose-une.html

Posté le 19/05/2016 par rwandaises.com