Procès pour génocide au Rwanda: la curieuse «clause de conscience» d’une magistrate

Photos de personnes tuées lors du génocide rwandais en 1994, exposées au Mémorial de Gisozi à Kigali.

Photos de personnes tuées lors du génocide rwandais en 1994, exposées au Mémorial de Gisozi à Kigali. Photo:Radu Sigheti.Reuters

C’est une décision aussi surprenante que rarissime : à la veille de l’ouverture à Paris d’un procès historique, une magistrate codésignée comme avocate générale invoque «la clause de conscience» pour se désister brusquement. Une décision d’autant plus surprenante qu’Aurélia Devos, chef du pôle crimes contre l’humanité au parquet de Paris, est une jeune magistrate aguerrie et spécialisée dans les questions qui seront abordées lors du procès d’Octavien Ngenzi et Tito Barahira, deux anciens bourgmestres (maires) d’origine rwandaise, réfugiés en France et accusés d’avoir participé au génocide qui s’est déroulé au Rwanda en 1994.

Malgré le nombre élevé de plaintes déposées depuis plus de vingt ans en France (une trentaine) et visant des ressortissants rwandais accusés de crimes contre l’humanité (en vertu de la compétence universelle qui s’applique aussi à la justice française), les procès ont, jusqu’à présent, été très rares. Il n’y en a même eu qu’un seul : celui en 2014, de Pascal Simbikangwa, ex-haut responsable des services secrets rwandais. Lors de ce procès Aurélia Devos représentait déjà le parquet général. Un choix évident au regard de ses compétences et de sa connaissance du complexe dossier rwandais.

Pourquoi alors a-t-elle choisi de se désister à deux semaines du procès, alors qu’elle était encore présente lors d’une réunion préparatoire organisée le 21 mars au palais de Justice de Paris ? Aucune explication officielle n’a été fournie pour justifier cette décision rarissime. Mais certains s’interrogent sur le «binôme» qu’elle était censée former avec l’avocat général Philippe Courroye, désigné lui aussi pour représenter le Ministère public dans ce procès prévu pour durer plus d’un mois (du 10 mai au 1er juillet).

 

«Les candidats au parquet général ne se sont pas bousculés au portillon», note un connaisseur des arcanes du Palais de justice. Philippe Courroye, lui était donc partant. On ne présente plus le magistrat mêlé à l’affaire Bettencourt comme à celle des fameuses «fadettes du journal Le Monde», réputé proche de Nicolas Sarkozy. «C’est cependant un vrai pro, qui a aussi une vraie rigueur», le défend un avocat lui aussi familier du Palais de Justice qui ajoute : «Même s’il ne connaît rien au Rwanda, c’est un bosseur et il bénéficiera de l’aide d’assistants spécialisés.»

Oui mais. Courroye a aussi un avocat. A titre personnel, ce qui est son droit bien sûr.

Or cet avocat, Me Jean-Yves Dupeux, est réputé pour assurer la défense de plusieurs Rwandais accusés de génocide (évidemment pas ceux qui comparaissent à partir de mardi). C’est presque une des spécialités de son cabinet. Il fut également le défenseur du journaliste Pierre Péan lorsque ce dernier a été accusé de «négationnisme» et «haine raciale» en raison d’un ouvrage polémique sur le génocide au Rwanda. Enfin, l’avocat de Philippe Courroye est aussi celui de plusieurs enfants de l’ex-président Juvenal Habyarimana dont la veuve fait également l’objet d’une plainte pour «complicité de génocide».

Son avocat à elle ? Me Philippe Meilhac qui défend Octavien Ngenzi, l’un des deux accusés, au procès qui s’ouvre mardi. Sans Aurelia Devos (déjà remplacée par Ludovic Hervelin-Serre) qui a curieusement décidé de s’abstenir de ce procès historique.

Par Maria Malagardis
http://www.liberation.fr/planete/2016/05/04/proces-pour-genocide-au-rwanda-la-curieuse-clause-de-conscience-d-une-magistrate_1450601
Posté le 05/05/2016 par rwandaises.com

 

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