Ce 24 juin, Marguerite Barankitse est l’invitée de la rencontre organisée au centre Notre-Dame-de-la-Justice, au sud de Bruxelles. Et la joie de celle qu’il faut appeler « Maggy » est apparemment contagieuse.

À l’aube de la soixantaine, cette Burundaise, qui a reçu depuis des années de multiples distinctions internationales pour son combat auprès des orphelins et son engagement pour la paix, continue de rayonner comme si rien ne pouvait entamer sa foi et son énergie.

Et pourtant, celle qui était appelée chez elle la « maman nationale » traverse l’une des épreuves les plus dures de son existence. La voici depuis des mois condamnée à l’exil, bannie, dénigrée par les autorités. « Satan l’a trompée », l’accusait encore, quelques jours plus tôt, le président Pierre Nkurunziza, à la tribune d’un meeting politique.

« Jamais je n’ai eu aussi peur »

Tout a basculé au printemps 2015, quand le chef d’État se représente pour un troisième mandat, violant les accords d’Arusha de 2000 qui avaient organisé un partage équilibré des pouvoirs entre Tutsis et Hutus. Les manifestions de rue des opposants sont alors violemment réprimées par les militaires.

« Je n’ai pas pris part aux manifestations, raconte-t-elle aujourd’hui. Mais j’ai vu un jeune de 15 ans à genoux se faire fracasser le crâne. Alors j’ai fait le tour des prisons afin d’identifier des jeunes arrêtés, pour qu’ils ne disparaissent pas. Le 13 mai, j’ai profité de la pagaille provoquée par une tentative de coup d’État pour évacuer 50 enfants vers le Rwanda… »

Maggy, que l’on pensait intouchable, devient alors une cible du régime. « Jamais je n’ai eu aussi peur », avoue-t-elle. Après s’être cachée des semaines à l’ambassade de Belgique, elle parvient, avec la complicité du personnel diplomatique, à tromper la vigilance de la police aux frontières et embarque dans un avion pour le Luxembourg, où son frère a déjà trouvé refuge.

Recueillir, soigner, éduquer

Depuis un an, Maggy intervient auprès de ses compatriotes dans les camps de réfugiés du Rwanda voisin. Recueillir, soigner, éduquer. Comme toujours. Mais dans son pays, c’est l’engagement de toute une vie qui est menacé.

« Ils ont coupé l’électricité de l’hôpital alors même que des bébés se trouvaient dans les couveuses. Ils ont fermé toutes les maisons, l’école d’infirmières, saisi les comptes de l’association et mes comptes personnels. »

Elle continue heureusement de recevoir des témoignages de « ses » milliers d’enfants qui attendent son retour. « Ce sont eux qui me donnent la force, depuis toujours. Les enfants me poussent à m’émerveiller malgré la souffrance », martèle de sa voix chaude cette femme dont la vie a pris un tour nouveau un jour de 1983.
Rattrapée par l’Histoire

Enseignante de français au collège de Ruyigi, elle est brutalement suspendue de ses fonctions, à 24 ans, pour avoir critiqué la discrimination scolaire qui touche les élèves hutus. Elle gagne son procès contre l’État puis, en 1988, grâce à une bourse, part en Suisse suivre des études administratives. De retour à Ruyigi, elle occupe un poste de secrétaire à l’évêché.

En 1993, l’Histoire la rattrape. Dans un climat de tensions ethniques exacerbées, des miliciens de la minorité tutsie tombent sur la ville en représailles à d’autres exactions de Hutus. Des voisins trouvent refuge à l’évêché, se cachent sous les faux plafonds. Ils sont découverts.

Issue d’une grande famille tutsie, Maggy est « épargnée » mais attachée nue sur une chaise dans la cour et contrainte d’assister au massacre des 72 hommes, femmes et enfants. « Une amie, tutsie, n’a pas voulu abandonner son mari hutu. Elle m’a fait promettre d’adopter ses deux filles et de les aimer. C’est comme ça que tout a commencé. »

Entre 20 000 et 30 000 enfants pris en charge

La jeune femme recueille une vingtaine d’enfants qui ont miraculeusement échappé au massacre. Avec le soutien d’un coopérant allemand puis de l’évêché, elle improvise alors l’impensable.

Élever sous un même toit des orphelins, hutus ou tutsis, sans distinction, dans un esprit de paix. Ce qui allait devenir Maison Shalom est né. L’association connaît un formidable développement. Avec le soutien de la Caritas allemande, les dons arrivent.

En 1997, un reportage publié dans le magazine Géo fait connaître son action dans le monde entier. Entre 20 000 et 30 000 enfants victimes de la guerre, de la misère, du sida ont depuis été pris en charge dans son réseau qui n’est pas un orphelinat.

« D’abord, on cherche toujours si on peut retrouver des parents proches ou un membre de la famille, même éloigné. On installe des fratries dans des maisons de village où ils sont pris en charge par un parent adoptif. Si on retrouve des terres familiales, on fait en sorte qu’ils puissent s’y installer pour travailler. » Un centre culturel, des écoles, une ferme, un hôpital…

Maison Shalom se développe. Maggy reçoit en 2005 la plus importante distinction du Haut-Commissariat pour les réfugiés et, en 2011, la Fondation Chirac lui remet son prix pour la prévention des conflits ; 100 000 € qui doivent permettre de développer un système de micro-crédits. Mais tout cela est aujourd’hui suspendu.
Un esprit rebelle

Après sa fuite pour échapper à la mort, les autorités burundaises ont lancé contre elle un mandat d’arrêt international. Pas de quoi arrêter Maggy. Forte de sa notoriété et d’un important réseau de soutien, elle est invitée dans le monde entier.

En mars dernier, la star américaine George Clooney lui remet un prix humanitaire à Erevan à l’occasion des commémorations du génocide arménien. Une tribune pour attirer l’attention sur son petit pays, l’un des plus pauvres du monde, dont le sort semble désespérément désintéresser les grandes puissances.

Charismatique, Maggy est devenue, avec le temps, une avocate avertie, une reine de la communication dont elle sait user sans y perdre son âme. Car elle reste habitée par un esprit rebelle, qui lui valut parfois de se mettre à dos des institutions ou des organisations internationales.

« Les dictateurs finissent toujours par tomber »

« Sans la foi, je n’aurais pas survécu », témoigne cette femme dont chaque journée commence par un temps d’action de grâce et se termine par la prière. Après une scolarité chez les sœurs, Maggy fit un long séjour à Lourdes, mais n’épousa pas la vie religieuse. Elle le dit sans méchanceté aucune, mais elle trouve les religieuses souvent trop tristes.

Celle qui avoue malicieusement avoir volé les rideaux de l’évêché pour tailler des culottes à ses jeunes protégés n’aurait jamais pu vivre sans ses habits de lumière. « Je n’ai jamais porté de noir de ma vie », assure dans un éclat de rire cette femme qui a peut-être aussi besoin de cette coquetterie pour tenir la mort à distance.

Les deux petites filles qu’elle avait adoptées en 1993, Lisette et Lydia, vivent aujourd’hui au Canada. Ce sont elles qui, au printemps 2015, l’ont convaincue de fuir le Burundi. « Maggy, sauve-toi, on ne veut pas perdre deux fois une maman. » C’est en pensant à elles, à tous ses enfants, que Maggy garde l’espoir. « Les dictateurs finissent toujours par tomber. Ils croient avoir la puissance, ce n’est qu’une illusion. »

Avec La Croix

http://fr.igihe.com/droits-humains/marguerite-barankitse-pleins-feux-sur-une.html

Posté le 19/09/2016 par rwandaises.com