Gaël Faye

« Petit pays », prix du roman FNAC est sur la liste des prix Goncourt, Fémina, Médicis, Interallié, Académie française et désormais Renaudot ! Entretien sur pause avec l’écrivain-rappeur. On l’attrape au sortir d’un taxi, il court d’un studio (musique) à l’autre (télé, radio) et l’une à après l’autre enchaine les rencontres avec les lecteurs. Gaël Faye n’a pas pu rentrer comme prévu voir sa famille au Rwanda où il s’est installé à Kigali depuis plus d’un an. C’est la famille qui est arrivée. Il court après le temps, n’en revient pas du succès de son premier roman : « on dirait que mon livre a des pattes, il court et j’essaie de le suivre, j’ai l’impression d’être extérieur à ce qui se passe, mais je prends tout ce qui vient.

Comme il y a une bonne nouvelle après l’autre, on n’a même pas le temps de faire une fête, d’aller au restaurant avec les copains, voilà déjà une autre bonne nouvelle qui s’annonce », sourit le rappeur qui, s’il est inconnu des lettres françaises, joue pourtant depuis longtemps avec les mots en chansons, et avec quel talent ! Après son duo avec Edgar Sekloka dans « Milk coffee and sugar », il a rappé son autobiographie dans « Pili pili sur un croissant au beurre »,avant de s’en inspirer pour son « Petit pays ».

Elle commence au Burundi, où il naît en 1982, et qu’il va quitter en 1995 pour l’exil en France. Après une courte période dans le monde de la City londonienne où ses études le mènent, il laisse place à l’artiste en lui. Et s’installe à Kigali, pays de sa mère. C’est dans la capitale du Rwanda qu’il a fini de travailler à son manuscrit Petit pays, lauréat du premier grand prix de la saison littéraire et que s’arrachent depuis, l’un après l’autre tous les jurés littéraires de la saison. Gaël Faye s’est confié auPoint.frau début d’une tournée française qui prend des proportions inattendues.

Le Point.fr : Quand est né Gabriel, le héros de Petit pays ?

Gaël Faye : Un peu par hasard. J’avais envie d’écrire ce livre pour recréer mes après-midi d’enfance à Bujumbura, les jeux, les odeurs, les arbres ; envie de mettre en scène cette douceur-là, d’expliquer cette enfance presque en prenant la main à quelqu’un qui ne connaît rien du Burundi. Ni des Hutus, ni des Tutsis, même si sur ce chapitre, je suis incapable d’expliquer puisque je ne comprends pas moi-même… Je me disais que cette naïveté permettait peut-être d’entrer plus facilement dans cette histoire. J’ai tenté plein de choses, écrire au « Je », comme je fais dans le rap où je parle de moi mais où j’écris peu d’histoires ; je voulais me sentir à l’aise. Gabriel me permettait de faire en sorte que ce livre ne soit pas une autobiographie, ce n’est pas ma démarche. Il m’était plus facile de me mettre dans la peau d’un enfant, une manière pour moi d’avoir des balises.

Dans votre enfance marquée par le génocide rwandais voisin, aviez-vous la lucidité de votre jeune héros ?

Non. J’ai inventé le personnage que j’aurais voulu être à certains égards, et à une certaine période, après toutes ces années mises à comprendre. Gabriel, lui, comprend, moi je suis passé à côté de plein de choses, c’était comme un trou noir, un black out. Je n’arrivais pas à mettre les événements dans l’ordre, le coup d’État, le jour où j’ai vu mon premier cadavre… En écrivant, c’est comme si j’étais retourné dans mon corps de petit garçon, par un coup de baguette magique. Et puis Gabriel vit des péripéties qui ne me sont pas arrivées.

Vous peignez un milieu privilégié dans une capitale africaine, étiez-vous à ce point protégé ?

Je n’avais aucune conscience d’appartenir à un milieu aisé (du moins dans le contexte du Burundi). Je me suis rendu compte plus tard que c’est un pays pauvre. Petit, je ne voyais pas la misère environnante, c’était important de montrer cela dans le roman. Cet enfant préservé vit dans un monde différent du pays, il est dans son impasse, avec ses livres. Un vrai cocon. Qui a éclaté.

Quand cela ?

Pour moi, c’est l’arrivée en France, à l’âge de 13 ans, qui a représenté la fin de tout. Plus encore au moment où, croyant que j’allais revenir au Burundi, j’ai su que j’allais grandir en France. Ce fut le début des interrogations, de la crise identitaire.

Pourquoi avez-vous alors choisi le hip-hop plutôt que la littérature ?

J’écrivais beaucoup quand j’habitais dans la banlieue parisienne et j’avais un copain qui faisait de la danse hip-hop, le samedi après-midi. Voyant que des gars y écrivaient, il m’y a emmené. J’ai intégré un atelier de rap et c’est comme ça que mes textes se sont retrouvés en tempo, en musique. Dans ce groupe j’ai trouvé une famille, c’est pourquoi je me dis « fils du hip-hop ». Mais je me suis rapidement ennuyé, il n’y avait pas encore Internet à la fin des années 90 et tout était trop compartimenté. Maintenant, c’est devenu une qualité de mélanger les genres mais à cette époque, sur les thèmes de l’exil, du métissage que j’abordais, ça ne suivait pas musicalement. A cappella, en revanche, chez les slameurs, le public venait pour les mots. Et puis j’ai fait la rencontre de Guillaume Poncelet, un musicien venu du jazz, qui était ouvert sur tout. Je pouvais aller chercher un accordéon ou un chanteur congolais pour chanter en lingala, tout devenait possible.

Vous avez choisi de vivre au Rwanda : pourquoi ce retour sur le continent ?

Je ne connais pas du tout le Rwanda. C’est le pays de ma mère, j’ai cette nationalité, j’ai eu l’envie de connaître le pays. Quand on a des enfants, (Gaël Faye, qui vient de se marier, a deux petites filles, NDLR), on a peut-être encore plus envie de les ancrer dans un pays réel, pas celui que l’on décrit avec les souvenirs de ses propres parents, pas un pays fantasmé, car le Rwanda est à nous autant que la France. Nous vivions à Paris auparavant et nous sommes partis en juillet 2015, il y a un an. Par fantasmé j’entends cette image des pays africains qui est biaisée en Europe, parce que tout y concourt : certains médias, les clichés dans les discussions, et même une certaine littérature. Des Africains qui restent trop de temps sans rentrer dans leur pays d’origine peuvent aussi se fabriquer des images.

Parlez-vous le kinyarwanda ?

Malheureusement non, je partage cela avec le héros du livre, je ne maîtrise pas du tout la langue, j’ai un gros complexe par rapport à ça, et j’essaie de faire en sorte que mes enfants l’apprennent mieux que moi. C’est une langue très poétique avec une grammaire très compliquée, même pour la prononciation il faut aller chercher des sonorités. Le swahili est une langue que je maîtrisais davantage.

Dans quelle mesure êtes-vous engagé dans l’histoire rwandaise, et particulièrement celle du génocide ?

J’ai pris la décision de revenir quand, le 7 avril 2014, j’ai eu l’occasion de chanter lors de commémorations devant des chefs d’État, à Kigali. J’ai assisté alors à ces crises violentes de réminiscence où les gens rentrent dans les traumatismes collectifs. J’avais écrit un article dans Africultures tellement cela m’avait marqué, parce que j’avais la vision de ceux de la diaspora qui rentrent en été et sont décalés par rapport à la réalité ; je pensais que les choses allaient dans ce pays, que les gens avaient leurs traumatismes mais qu’ils étaient passés à autre chose. J’ai découvert une réalité beaucoup plus complexe. La vie était normale pendant l’année, mais pendant ces commémorations, toute la souffrance revenait. Le Rwanda est un pays dont même le paysan de base connaît le mot résilience. En même temps, ce peuple va de l’avant, garde le cap. Il fallait que je vive ça au quotidien : qu’est-ce que ça veut dire de vivre à côté des assassins de sa famille ? Il se passe ici quelque chose qui ne se passe pas ailleurs, et de manière égoïste aussi, en tant qu’artiste, je voulais comprendre cette chose-là qui touche à l’humain..

Dans quelle mesure êtes-vous engagé, avec votre épouse, dans le Collectif des parties civiles pour le Rwanda ?

Ce collectif me tient à cœur parce qu’il est à la jonction de mes propres origines, et qu’en tant que citoyen français, je ne peux pas supporter que des gens coupables de crime contre l’humanité vivent librement et tranquillement en France. On dit souvent que le devoir de mémoire est essentiel, oui. Mais sans la justice, comment associer mémoire et réconciliation ? Il y a encore des anciens bourreaux en liberté en France, protégés par des connivences politiques, des amitiés bien placées qui leur vaut le statut de réfugiés. Et je ne parle là que des « cerveaux », pas des petites mains… En France, cela fait des années que ce collectif défend les parties civiles et il vient d’obtenir un deuxième procès cette année avec deux condamnations à perpétuité.

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Posté le 04/10/2016 par rwandaises.com