Les délégués du Parlement Européen ont deux discours ; le premier très « complaisant » devant la presse rwandaise à Kigali, et le second, « acerbe » une fois de retour dans l’hémicycle européen.
Comment expliquer aux rwandais, ce revirement des députés de Bruxelles quelques jours seulement après la visite au Rwanda d’une délégation de députées européennes désireuses de « comprendre et d’apprendre » la politique du Rwanda dans le domaine de l’égalité des genres et des droits de la femme.
A Kigali, Iratxe Garcia – PEREZ, la Cheffe de la délégation européenne (et Présidente de la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen) déclarait qu’elle appréciait les efforts déployés par les autorités rwandaises pour arriver aujourd’hui à faire de ce pays, un exemple pour la promotion de la femme, sa place dans la société et le respect de ses droits.
A cette occasion, Madame Perez devait par ailleurs émettre des réserves sur des positions de dirigeants occidentaux qui sont hostiles au troisième mandat éventuel du Président Paul KAGAME : « Comme l’Union Européenne, nous croyons que les pays ont le droit de mener leurs affaires d’une manière qui garantit que les droits de chaque citoyen soient respectés. Nous ne sommes pas ici pour juger et enseigner quoi que ce soit, mais plutôt pour apprendre des autres » Ces mots allaient dans le sens d’une déclaration récente du Président, qui, lors du d’une intervention à l’Université de Yale, appelait au respect mutuel entre les pays comme un moyen d’assurer un bon développement.
Alors que les députées européennes avaient pour mission officielle de venir « apprendre » du Rwanda les progrès réalisés en matière d’égalité des genres et du droit des femmes, celles-ci avaient en réalité un « agenda caché » comme le révèle la résolution du Parlement européen N° 2016/2910 (RSP), dont le contenu n’a strictement rien à voir avec le but de la visite. On est en droit de se poser la question des vraies motivations qui se cachent derrière ladite Résolution.
Dans ce texte, les députés au Parlement Européen mettent en exergue la récente modification constitutionnelle (cette remarque est en totale contradiction avec les déclarations faites à Kigali par Mme PEREZ), le manque d’espace politique, la liberté des médias et… le fait de n’avoir pas pu rencontrer en prison, Victoire INGABIRE, à la tête d’une plateforme d’opposition mais proche d’un mouvement armé à l’extérieur du pays, le FDLR.
Pour quels motifs l’administration rwandaise a-t-elle refusé à la délégation européenne de rencontrer Victoire INGABIRE ?
C’est la première question à se poser. Elle est d’autant plus évidente qu’une délégation de députés néerlandais avait rencontré, quelques semaines plus tôt, Victoire INGABIRE. La réponse est simple lorsque l’on prend la peine d’écouter les raisons pertinentes qui ont provoqué ce refus
Comme l’usage et le droit le prévoient à Kigali comme dans l’UE d’ailleurs, toute visite à l’égard d’un détenu est précédée de formalités administratives. C’est ce que les députés du Parlement néerlandais devaient faire avant leur venue au Rwanda pour rencontrer Mme INGABIRÉ. Il est dès lors incompréhensible que la délégation européenne n’ait pas à son tour effectué les mêmes démarches. Cette négligence ou cet acte manqué devait entrainer un refus dont la délégation n’aurait pas dû se prévaloir ; sauf à vouloir tromper les autorités et saisir cette opportunité à d’autres fins que l’on retrouve dans la résolution précitée. Je doute fort que dans des conditions similaires pour une situation identique une telle disposition ait été inscrite à l’ordre du jour du capitole à Washington.
Qui est Victoire INGABIRE ?
Ce chapitre ne fait que reprendre ce qui a déjà été publié par des médias tels que RFI, ARTE et JEUNE AFRIQUE. (*)
-La mère de Victoire INGABIRE a été condamnée par contumace à trente ans de prison par une juridiction « Gacaca », au Rwanda, pour avoir participé aux massacres (Jeune Afrique).
-Son mari, Lin MUYIZERE, a été privé de la nationalité néerlandaise au motif que les Pays-Bas ne souhaitent plus servir de refuge aux personnes ayant commis des crimes internationaux (RFI – 14/10/2014).
– La chaine franco-allemande ARTE Selon l’enquête réalisée par les Pays-Bas, Lin MUYIZERE aurait été l’un des rouages du génocide (info.arte.tv – 21/10/2014).–
« Pour en revenir à Victoire INGABIRE, des documents saisis à son domicile aux Pays-Bas, détaillent la stratégie mise en place d’une « structure militaire » et ne laisse guère de doute sur le fait que l’opposante est partisane de la lutte armée face au gouvernement de Kigali. On y trouve notamment un organigramme de la future rébellion, annoté de sa propre main ainsi que d’autres documents qui expliquent une certaine stratégie pour passer à l’action : « On doit élaborer un document, un réquisitoire qui accuse le pouvoir démontrant que le régime actuel ne nous laisse pas d’autre choix que le recours à la force…ce mémo doit démontrer la raison pour laquelle nous avons choisi cette voie… ». Plusieurs de ces documents produits lors du procès, dont certains ont été saisis à son domicile par la justice néerlandaise, sont de nature à confirmer l’implication de la Présidente du FDU (une plateforme d’opposition politique), dans une tentative de création d’un groupe armé » (Jeune Afrique).
-« Depuis 2009, les services de renseignements rwandais enquêtent sur les plans de deux officiers du FDLR. Venus solliciter auprès des services de sécurité burundais une aide militaire contre le Rwanda, les deux hommes sont extradés vers Kigali. Au cours de leurs interrogatoires, ils révèlent leurs intentions de renverser le pouvoir en place. Parmi leurs soutiens, ils citent le nom de Victoire INGABIRE, appuyant leurs dires parmi des échanges de mail en apparence accablants. Deux autres officiers issus des FDLR, qui seront arrêté au Rwanda, viendront confirmer leurs dires » (Jeune Afrique)
-« Le 16 janvier 2010, Victoire INGABIRE décide de rentrer au Rwanda pour se porter candidate à la présidentielle. A peine a-t-elle posé le pied à Kigali, qu’elle se rend au mémorial du génocide perpétré contre les Tutsi, à Gisozi. Dans son discours, elle évoque clairement une entreprise d’extermination des Hutus, ce qui est interprété comme une volonté de réhabiliter le « divisionnisme » ethnique et la thèse du double génocide chère aux milieux négationnistes. Trois mois plus tard, elle est inculpée pour « négation de génocide » (Jeune Afrique).
Cela n’est pas très sérieux :
A peine rentrée en Europe suite à une visite de trois jours au Rwanda, la délégation européenne contribue à faire voter le 6 octobre dernier une « Résolution » à l’encontre du pays visité. Comment un dossier aussi sérieux et aussi complexe que celui du Rwanda et de Victoire INGABIRE a-t-il été bouclé si rapidement ? Oserait-on imaginer que le rapport ait été préparé avant ? Impensable mais tout cela ne me paraît pas sérieux !
Il n’en demeure pas moins que les Parlementaires Européens ont adopté, à la sauvette, une « Résolution » à l’encontre d’un pays africain, sur base des revendications d’ une plateforme d’opposition, (FDU dirigée par madame INGABIRE), et comme il est détaillé plus haut proche du Groupe armé des FDLR ( Partis dirigés par d’anciens dignitaires au pouvoir lors du génocide et toujours en quêtes de revanches ! plus de 20 ans après la fin des évènements). Certains membres de la Représentation européenne ont d’ailleurs aussi été en relation avec les responsables de la plateforme d’opposition du FDU. La « Résolution » dans un article 1 fait référence à ces divers contacts: (Article J) « considérant que, d’après FDU-Inkingi, le parti de Victoire INGABIRE, les conditions de détention de Mme IINGABIRE se sont gravement détériorées depuis avril 2016… ». Qu’il me soit simplement permis de souligner que les parlementaires n’ont pas rencontré Victoire INGABIRE, contrairement à leurs homologues néerlandais, et de constater qu’ils ont établi cette « Résolution » en prenant pour vérités des dires partisans sans se poser la question du point de vue contradictoire. Que tout cela me semble malheureusement léger !
LE CONTEXTE RWANDAIS :
Comment ne pas parler ici du contexte rwandais. Les députés européens ont-ils conscience qu’à deux pas du Rwanda, les soutiens extérieurs du parti de madame INGABIRE, sont à l’affut de toute opportunité leur permettant de rentrer en guerre pour réécrire l’histoire violente de ce pays. Si c’est encore aujourd’hui possible plusieurs décennies après c’est que les opérations de maintien de la paix au moment du génocide et en particulier « l’Opération Turquoise », avaient aussi donné lieu à la mise en place de « corridors » qui devaient permettre aux génocidaires, à leurs familles, à leur clans et aux populations dont ils géraient les localités de se transporter sans dommage à la frontière de Goma pour finalement être réarmées après la fin du génocide. Le témoignage d’un officier de l’armée française qui vient d’écrire une lettre ouverte (lien ci-dessous) est ici édifiant: « …je ne sais toujours pas expliquer les contradictions entre la version officielle servie à nos concitoyens d’une opération humanitaire et la réalité des missions militaires que j’ai menées là-bas, qui ressemblent à s’y méprendre à un soutien aux génocidaires. » Plus loin il confirme : « Alors que nous pouvions empêcher de nuire des criminels, nous leur avons permis de s’échapper et nous les avons réarmés dans des camps de réfugiés ».
Lire son témoignage ici source LE MONDE.
Les effets de l « opération Turquoise » sont encore vivaces aujourd’hui. Le Rwanda est exposé, à cause de cette menace de 10.000 combattants qui plane à sa porte. Le Rwanda est fragilisé par des discours selon lesquels le génocide n’aurait pas existé, le gouvernement devrait être suspecté dans une théorie du complot qui fait flores ou encore la réconciliation n’aurait pas été faite. Il l’est enfin parce que dans de nombreux pays et en Europe notamment des acteurs, des coauteurs, des complices, du génocide vivent impunément et s’activent contre leur pays d’origine. Certes des procédures ont lieu aux Pays Bas, en Allemagne, en France également, Des extraditions sont faites de plus en plus nombreuses en provenance de Suède, des Etats Unis, du Canada, de Norvège, Ils témoignent de l’importance de la « Réparation » au sens noble du terme et de la confiance qui est faite envers la justice du Rwanda. Ces menaces cumulées sont une épée de Damoclès sur sa stabilité, sur la paix intérieure, sur le pardon collectif (tribunaux Gaçaca) sur l’émergence économique et sociétale.
Il fut un temps ou l’Europe fut exemplaire en poursuivant ceux qui avaient été des acteurs, des coauteurs, des complices, du génocide. Elle en prend la mesure désormais pour le Rwanda mais je lance aujourd’hui UN APPEL AU PARLEMENT EUROPEEN pour qu’il exige de ses Etats membres la poursuite de tous ceux qui, résident sur leurs territoires et ont participé de près ou de loin au génocide d’un autre continent qui lui est aujourd’hui si proche.
*Sources :
ARTE : lien vers la page
JEUNE AFRIQUE : lien vers la page
Radio France Iinternationale : lien vers la page
Editorialiste reconnu, Alain BILLEN est un observateur de cette partie de l’Afrique. Fin connaisseur du Rwanda, il partage son temps entre Bruxelles et Kigali où il réside. L’édito est une tribune d’alain Billenabillen2@gmail.com
Blog d’Alain Billen – 19/10/2016 00:45:51
http://www.newspress.fr/Communique_FR_299208_6325.aspx
Posté le 19/10/2016 par rwandaises.com