Castro

Un vieux révolutionnaire s’est tu. L’annonce en a été faite vendredi soir 25 novembre, peu avant minuit. « Le commandant en chef de la révolution cubaine est décédé à 22 heures 29 », a annoncé son frère, le président cubain Raul Castro, à la télévision nationale. La mort de Fidel Castro n’a sans doute pas surpris les Cubains qui savaient l’ancien colosse rattrapé depuis longtemps par l’âge et une santé défaillante. Sa dépouille devait être incinérée dès samedi, aux premières heures de la journée, a précisé le président en exercice, « conformément à la volonté exprimée par le camarade Fidel ». Raul Castro a conclu son allocution en reprenant le slogan de l’ancien guérillero : « Hasta la victoria, siempre ! » (« jusqu’à la victoire, toujours »). Neuf jours de deuil national ont été décrétés par les autorités cubaines. Les funérailles se tiendront le 4 décembre à Santiago de Cuba. Durant cette semaine d’hommages divers à Cuba, une procession avec les cendres de l’ex-président cubain traversera le pays pendant quatre jours.

Les adieux à celui qui fut le père de l’indépendance de Cuba avant de se transformer en son garde-chiourme, selon ses adversaires, seront sans nul doute empreints de la nostalgie d’un rêve resté inaccompli. La « révolution » a bien survécu à la mise à l’écart forcée de Fidel Castro, en 2006, grâce au relais assuré par son frère, mais son bilan laisse à désirer. Maître incontesté du pays depuis une décennie, Raul Castro, à 85 ans, peut difficilement incarner l’avenir.

Alors que l’île continue de pâtir d’une situation économique critique, le régime s’est engagé avec réticence dans une libéralisation comptée, sans rien céder par ailleurs de son contrôle sur le pays, comme l’ont montré les conclusions du dernier congrès du Parti communiste cubain, en avril. Cette incertitude est renforcée par l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Son arrivée à la Maison Blanche, le 20 janvier, pourrait en effet modifier substantiellement les nouvelles relations avec Washington engagées spectaculairement le 17 décembre 2014.

Fidel Castro approuvait-il la normalisation avec son vieil ennemi américain engagée par son frère ? L’ancien révolutionnaire qui ne s’exprimait plus guère publiquement a gardé ses dernières flèches publiques pour « l’empire » honni.

Tout d’abord en mars, juste après la visite historique à La Havane de Barack Obama, la première d’un président américain depuis 1928. Contrairement à plusieurs responsables européens, M. Obama n’avait pas souhaité alors rencontrer l’ancien tribun anti-impérialiste. Ce dernier avait riposté par une missive amère publiée une semaine plus tard par l’organe officiel du Parti communiste cubain, Granma. Il avait alors administré l’une de ses leçons personnelles d’histoire en partant de la tentative d’invasion manquée de contre-révolutionnaires soutenus par les Etats-Unis, dans la Baie des Cochons, en 1961.

Cinq mois après, à l’occasion de son quatre-vingt-dixième anniversaire, Fidel Castro avait récidivé, assurant avec superbe que l’île n’avait pas besoin des Etats-Unis et rappelant les tentatives d’assassinat prêtées à Washington. « J’ai presque ri face aux plans machiavéliques des présidents américains », avait-il grincé une dernière fois. Le « comandante » avait pu compter sur la présence, ce 13 août, du fidèle Nicolas Maduro, le président du Venezuela. Sans doute en n’ignorant rien, cependant, des affres de la « révolution bolivarienne » qui ont affaibli cet allié stratégique pour Cuba.

En se rendant sur l’île, M. Obama avait voulu rendre « irréversible » la normalisation engagée après le constat d’échec d’un demi-siècle d’embargo. Il a prolongé cette ambition en septembre par la nomination d’un ambassadeur, Jeffrey DeLaurentis, puis par de nouvelles mesures d’allégement en octobre de l’embargo imposé à l’île, avec la suppression de restrictions d’importation visant les cigares et le rhum cubains.

Cette irréversibilité est cependant désormais en question. Comme l’a fait remarquer en septembre celui qui était alors le candidat républicain à la présidentielle, Donald Trump, au cours d’un meeting à Miami, en Floride, le bastion des exilés cubains, cette normalisation a été conduite par le biais exclusif d’executive orders – des décrets présidentiels. Ce qu’a fait M. Obama, M. Trump sera en mesure de le défaire.

De même, M. Obama espérait que le Congrès, dominé par le Parti républicain, finirait par se rendre à ce qu’il a fini par considérer comme une évidence : l’inefficacité d’un embargo vieux de plus d’un demi-siècle. Rien ne dit que le Grand Old Party, triomphant au soir des élections du 8 novembre, partage cette conviction. Les critiques les plus virulents de M. Obama, à commencer par le sénateur de Floride Marco Rubio, estiment que Washington a lâché du lest sans rien obtenir en retour de La Havane.

Il y a fort à parier, tout d’abord, que les élus entravent la nomination de M. DeLaurentis, qui doit obtenir l’aval du Congrès. Le Sénat a d’ailleurs fait languir de longs mois l’architecte discrète de cette normalisation, la diplomate Roberta S. Jacobson, avant de la confirmer en mai comme ambassadrice au Mexique. Quant à la levée totale de l’embargo, qui dépend de la seule volonté du Congrès, elle ne semble pas d’actualité alors qu’elle est considérée par les observateurs internationaux présents sur l’île comme essentielle pour permettre un atterrissage en douceur de l’ouverture esquissée par le régime.

Au cours de la course à l’investiture républicaine, M. Trump s’était montré moins sévère que ses adversaires vis-à-vis de la normalisation avec l’île, semblant partager lui aussi le constat de l’échec de l’embargo. Il a changé de ton avant la présidentielle, sans doute avec des arrière-pensées électoralistes, pour s’attirer un vote cubain naguère fidèle au Parti républicain mais qui a évolué au cours de ces dernières années. Peu disert sur ce qui pourrait constituer sa politique étrangère, M. Trump a montré qu’il n’était pas rebuté par des pouvoirs autoritaires, au moins dans certaines parties du monde. Sans que l’on sache cependant si cela pourrait englober La Havane.

La nomination de son prochain secrétaire d’Etat pourrait donner une indication à propos de la future politique américaine pour Cuba. Soutenus par les milieux d’affaires, les avocats de relations renouvelées avec Cuba peuvent cependant s’appuyer sur l’opinion publique américaine. Elle a massivement soutenu l’initiative conjointe des deux présidents.

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/11/26/fidel-castro-est-mort-cuba-survit_5038533_3222.html#B1i6Mw888wBrKLYo.99

Posté le 26/11/2016 par rwandaises.com