En France, les quelques jugements des génocidaires, n’ont pas atténué les profondes interrogations quant au rôle de ce pays au Rwanda, avant, pendant et après le génocide contre les Tutsi. Par Pascal Plas*

Le 18 mai 2017, Damien Roets, professeur de droit privé à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Limoges est revenu, lors d’une conférence tenue dans le cadre du séminaire annuel de l’IiRCO (Séminaire Conflits, droit, mémoires), consacrée à « La France et le génocide des Tutsi du Rwanda : quelle justice ? », sur la question des relations entre Paris et Kigali. Durant cette manifestation il a conforté une analyse qu’il avait livrée à l’Institut en 2015 et que l’on peut trouver sur le site de l’IiRCO
On ne reviendra pas sur le génocide perpétré par les Hutu en 1994 lesquels ont éliminé pratiquement un million de

Tutsi en 100 jours, évènements de mieux en mieux connus aujourd’hui. Ces tueries ont eu lieu alors même que l’ONU avait une force in situ depuis décembre 1990 — la MINUAR (Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda) — et que la France était présente à plusieurs reprises à travers des missions spécifiques telles que l’opération Noroît (octobre 1990) et l’opération Turquoise (juin 1994).
Plus de vingt ans après, cette présence rend l’affaire des relations entre la France et le Rwanda singulièrement complexe.
Il y a certes en France la volonté de lutter contre l’impunité des auteurs de ces crimes. En juillet 2016, la Cour d’assises de Paris a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité deux anciens maires rwandais Tito Barahira (65ans) et Octavien Ngenzi (58ans) pour génocide et crimes contre l’humanité. Les deux hommes étaient jugés depuis 8 semaines à Paris en vertu de la compétence universelle de la France. Il leur était reproché d’avoir agi comme « donneurs d’ordres » à la suite d’attaques dans la commune de Kaborondo au cours du mois d’avril 1994, où ils ont exercé successivement leur mandat.
Mais, bien que les parties civiles aient salué ce jugement, cela n’atténue pas les profondes interrogations quant au rôle des responsables hiérarchiques français au cours du massacre,
En effet, le 29 novembre 2016, le Rwanda a décidé de mener une enquête criminelle sur une vingtaine de personnalités françaises, militaires ou politiques accusés d’être « impliqués dans le génocide en tant qu’auteurs ou complices ». Bien que la tension soit palpable entre les deux Etats, la justice rwandaise espère la coopération de l’Etat français… Richard Muhumuza, le procureur rwandais a refusé de donner des noms en estimant que « certains sont cités dans le Rapport de la commission nationale de lutte contre le génocide ». Le Rapport, datant du 31 octobre 2016 recense plus exactement 21 militaires. On y retrouve l’ancien chef d’état-major des armée le général Christian Quesnot ainsi que des officiers ayant œuvré au Rwanda avant ou pendant le génocide dans l’opération « Turquoise ».
Paul Kagame a encore rappelé, le 22 mai 2017 « le rôle de l’Etat français dans les massacres ». Lors d’une interview accordée à l’hebdomadaire Jeune Afrique, il a déclaré à la suite de la question « La France a un nouveau président, Emmanuel Macron. Avez-vous un message à lui transmettre, un conseil à formuler pour que les relations entre Paris et Kigali sortent enfin de l’ère glacière ? » que « l’attitude de la France vis-à-vis du Rwanda ne changer[ait] pas tant que l’attitude de la France vis-à-vis de l’ensemble de l’Afrique n’aur[ait] pas changé. Les deux sont liés. Nous attendrons du président Macron quelque chose de nouveau, l’impulsion d’une nouvelle dynamique et une vraie rupture avec des décennies de confusion. Vingt-trois ans de politique négative à l’égard du Rwanda et soixante ans de politique africaine statique dont les Africains n’ont tiré aucun bénéfice, c’est cela qu’il faut mettre sur la table ».
Ces propos s’inscrivent dans la droite ligne de son discours du 7 avril 2017, prononcé à l’occasion de la commémoration du génocide ; Paul Kagamé avait fustigé : « ceux qui ne sont pas au clair avec le génocide des Tutsi » et cherchent « à déformer l’histoire », précisant que « plus tôt la France sortira des manipulations judiciaires pour enfin accepter de se confronter à son rôle dans cette tragédie, mieux ce sera ».
Déjà le 6 avril 2014 les relations entre les gouvernants s’étaient envenimées lorsque le même journal Jeune Afrique avait publié un entretien avec le président au cours duquel il avait affirmé que « des soldats français auraient été complices et acteurs des massacres ». Ces accusations avaient été réitérées le lendemain dans un second discours. Les responsables politiques français s’étaient dit alors « choqués » par les déclarations du président rwandais. Plusieurs d’entre eux étaient intervenus dans la presse comme l’ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira qui avait déclaré que les propos du président étaient « en contradiction avec le processus de dialogue et de réconciliation engagé depuis plusieurs années ». Alain Juppé était également intervenu en raison de son rôle de ministre des Affaires étrangères à l’époque du génocide au Rwanda en 1994 et appelait François Hollande à « défendre l’honneur de la France », face à ce qu’il qualifiait d’ « inacceptable mise en cause de la France ». Il avait par ailleurs ajouté qu’il « serait aujourd’hui intolérable que nous soyons désignés comme les principaux coupables. J’appelle le président de la République et le gouvernement français à défendre sans ambiguïté l’honneur de la France, l’honneur de son armée, l’honneur de ses diplomates ».
Cette déclaration semblait alors en totale contradiction avec une déclaration de l’ancien président de la République française, Nicolas Sarkozy, faite lors d’une conférence de presse commune avec le président du Rwanda à Kigali le 25 février 2010 allant dans le sens d’une reconnaissance du génocide et de l’éventuelle implication française : « Ce qu’il s’est passé ici est une défaite pour l’humanité. Ce qu’il s’est passé ici a laissé une trace indélébile (…). Ce qu’il s’est passé ici oblige la communauté internationale, dont la France à réfléchir à ses erreurs qui l’ont empêchée de prévenir et d’arrêter ce crime épouvantable ».
President Sarkozy visiting genocide memorial in Kigali

Le dossier semble aujourd’hui enlisé ; alors que Paul Kagamé est candidat à sa réélection, les présidentielles devant se tenir dans trois mois, la France n’a toujours pas de représentant diplomatique à Kigali depuis le 30 septembre 2015.
Dans le même temps, les choses se débloquent à Rome alors même que les relations entre le Saint-Siège et le Rwanda étaient particulièrement difficiles, les excuses présentées à Kigali par l’évêque Philippe Rukamba ayant été estimées comme « profondément inadéquates ». Le Pape François a reçu brièvement le lundi 20 mars 2017 le président rwandais ; tous deux ont échangé sur le génocide des Tutsi et le rôle de l’Eglise catholique. Bien que le Pape n’ait pas présenté d’excuses officielles au nom de l’Eglise, le souverain pontife a exprimé des mots forts à travers un communiqué du Vatican, il a « imploré le pardon de Dieu pour les péchés et manquements de l’Eglise et de ses membres » et a exprimé « sa profonde tristesse, et celle du Saint-Siège et de l’Eglise, pour le génocide perpétré contre les Tutsi » ainsi que « sa solidarité avec les victimes et ceux qui continuent à souffrir des conséquences de ces tragiques évènements ». Même si ces paroles n’ont pas provoqué un total assentiment, il semble que le gouvernement par la voix du ministre des Affaires étrangères y ait vu « un pas positif pour l’avenir de la relation entre le Rwanda et le Saint-Siège basée sur une compréhension honnête et partagée de l’histoire du Rwanda et du combat impératif contre l’idéologie génocidaire ». Manifestement la France est loin d’être considérée comme pouvant franchir le même pas.

*Pascal Plas, directeur de l’IiRCO, Université de Limoges