Kigali: Ce vendredi 20 octobre 2017, la Chambre du Conseil auprès du Tribunal de Première Instance de Bruxelles a rendu une décision qui permet le renvoi devant la Cour d’Assises de Fabien NERETSE, Ernest GAKWAYA et NKUNZUWIMYE Emmanuel, tous Rwandais, inculpés d’avoir participé au génocide des Tutsi et aux crimes de guerre commis au Rwanda en 1994.  Le Procureur Fédéral devra transmettre le dossier à la Chambre de Mises en Accusation, qui décidera sur le renvoi des trois inculpés devant la Cour d’Assises de Bruxelles pour répondre des charges qui pèsent sur eux.

Cette décision intervient suite à la demande du Procureur Fédéral de correctionnaliser les crimes et donc de renvoyer les inculpés devant le Tribunal Correctionnel au lieu de la Cour d’Assises, demande qui était alors contestée aussi bien par la défense que par les parties civiles.  Les débats devant la Chambre du Conseil avaient eu lieu à huis clos en dates du 29 juin et du 07 septembre 2017.  Le prononcé initialement fixé le 10 octobre avait ensuite été repoussé au 20 octobre 2017.

Refus de la correctionnalisation.

En vertu de la loi belge du 5 février 2016 modifiant le code pénal, il est possible de correctionnaliser tous les crimes en adoptant des circonstances atténuantes et ainsi, de faire juger ces crimes par le Tribunal Correctionnel au lieu de la Cour d’Assises.

Selon la Chambre du Conseil, il n’y a pas lieu de correctionnaliser les crimes dans ces affaires pour plusieurs raisons :

– Premièrement, le degré de gravité des faits est universellement reconnu et est tel que ces faits sont pris en compte par le droit international pénal, parfois indépendamment de leur incrimination en droit interne. De plus, les faits portent atteinte aux victimes, mais aussi au «fondement le plus essentiel de l’humanité».

– Deuxièmement, compte tenu du fait que les éléments de preuve contenus dans le dossier d’instruction sont composés « presqu’exclusivement de témoignages», la Chambre du Conseil estime qu’il est essentiel que ces témoignages soient soumis à la contradiction dans le cadre d’une procédure garantissant l’oralité des débats.

-Troisièmement, la Chambre du Conseil estime que la Cour d’Assises permet de bâtir une conscience sociale mondiale à travers le débat public et contradictoire, au sein duquel la parole est donnée à tous, tant victime, que témoin ou accusé. Dans un tel cadre d’exposition des vérités de chacun, le procès au sein de la Cour d’Assises «constitue la première étape de la mémoire».

La Chambre du Conseil a donc conclu qu’à ce stade de la procédure, il n’y avait pas lieu de retenir de circonstances atténuantes au bénéfice des inculpés et que leur appréciation doit être différée.

Sur la qualification de crime de génocide

La défense de l’un des inculpés avait contesté la qualification de génocide, se basant sur le principe de non rétroactivité de la loi pénale, le crime de génocide n’étant pas encore incriminé par la législation belge au moment des faits. Cependant, la Chambre du Conseil a retenu la qualification de crime de génocide. Elle estime en effet que l’acte constitutif du crime de génocide était clairement considéré comme criminel en vertu du droit international en 1994, car des instruments internationaux suffisamment accessibles aux inculpés le condamnaient déjà en 1948, notamment la Convention internationale sur la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 et qui explique de manière claire et précise les comportements constitutifs du crime de génocide.

Autres décisions à retenir :

•Jonction des dossiers

Ces affaires concernant des faits qui se sont déroulés dans un même contexte, dans un même pays et sur une période similaire,  la Chambre du Conseil a ordonné la jonction des dossiers NERETSE, GAKWAYA et  NKUNDUWIMYE, ce qui implique que ces affaires vont désormais être traitées comme un seul dossier.

• Délai raisonnable

L’un des inculpés avait invoqué le dépassement du délai raisonnable, comme les faits datent de 1994. Ce moyen a été rejeté par la chambre sur le motif de la complexité de la cause au regard des actes d’enquête devant être accomplis et sur le constat que l’inculpé n’a pu être localisé que de nombreuses années après les faits, car il s’était caché en France sous un patronyme différent, ce qui a retardé sa localisation et l’exercice des poursuites.

• Décès de BUTERA

L’action publique à l’égard du quatrième accusé, Jean-Baptiste BUTERA, décédé le 1er avril 2004, a été déclarée éteinte.

• Ordonnance d’arrestation des inculpés

Enfin, la Chambre du Conseil a ordonné l’arrestation des trois inculpés. Cette ordonnance ne sera a priori pas mise en œuvre avant le début du procès.

Les inculpés et les chefs d’accusation

Fabien NERETSE,  ancien homme d’affaire, est accusé d’avoir participé à la création de la milice  « Interahamwe »,  d’avoir organisé et participé à plusieurs massacres et d’avoir dénoncé des familles en fuite. Parmi ces familles, celle de la plaignante belge,  dont la sœur, son mari rwandais et leur fille ont été tués à Kigali le 9 avril 1994.  Fabien NERETSE a été arrêté en France et extradé vers la  Belgique, où il a été mis en détention préventive. Il se trouve actuellement en liberté provisoire.

Emmanuel NKUNZUWIMYE et Ernest GAKWAYA sont inculpés, dans le même dossier, de crimes de génocide et crimes de guerre, commis en tant que membres de la milice « Interahamwe », entre autres au stade de Nyamirambo. Ils ont été arrêtés en Belgique et ont également été remis en liberté provisoire après une période en détention préventive.

Suite à la jonction de dossiers décidée par la Chambre du Conseil, sauf changement en cas d’appel, les trois seront à l’avenir poursuivis dans un même dossier.

Suite de la procédure

Le Procureur Fédéral et les parties civiles pourraient interjeter appel contre cette décision devant la Chambre de Mises en Accusation auprès de la Cour d’appel, la défense uniquement pour certaines irrégularités spécifiques.

En tout état de cause, le Procureur Fédéral devra transmettre le dossier à la Chambre de Mises en Accusation auprès de la Cour d’Appel, qui décidera sur le renvoi des trois inculpés devant la Cour d’Assises de Bruxelles pour être jugés sur le fond. La décision de la Chambre de Mises en Accusation est, elle-même, ouverte au pourvoi en cassation.

En l’absence d’appel et de pourvoi en cassation ou en cas de confirmation de la décision de la Chambre du Conseil rendue ce 20 octobre 2017, le procès pourrait s’ouvrir au courant de l’année 2018, même si aucune date n’a pour l’instant été communiquée.

Il important de rappeler que cette note d’information est une communication du programme « Justice et Mémoire » qui vise à faciliter aux populations rwandaises la compréhension et la participation aux procès de génocide sur base de compétence universelle, et favoriser l’intégration des apports de ces procès dans la mémoire de la justice du génocide.

Ce programme est conduit par les organisations RCN Justice & Démocratie, PAX PRESS, Haguruka et Association Modeste et Innocent (AMI).  Ce programme entend suivre la suite de la procédure et informer sur le déroulement de ces procès.

Ce programme bénéficie du soutien financier de la Belgique à travers la Direction générale au développement (DGD).

http://www.rnanews.com/component/content/article/1-latest/13874-2017-10-25-13-23-01

Posté le 26/0/2017 par rwandaises.com