Kigali: Le 31 octobre 2017, le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris confirmait la décision de ne pas faire entendre les deux plus hauts responsables de l’armée française pour leurs rôle présumé lors du génocide  contre les Tutsi du Rwanda

Il s’agit de l’amiral Jacques Lanxade, alors chef d’état-major des armées, et de son adjoint chargé des opérations, le général Raymond Germanos.

«Cette décision pourrait ouvrir la voie à un non lieu judiciaire sur les responsabilités politiques et militaires françaises dans le massacre de Bisesero», redoutent  l’association Survie, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), la LDH (Ligue des Droits de l’Homme) et d’autres parties civiles.

Survie, la FIDH, la LDH et les parties civiles accusent l’armée française d’avoir abandonné sciemment les Tutsi réfugiés dans les collines de Bisesero aux milices Interahamwe qui furent le fer de lance du génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994.

Le 28 août dernier, le juge d’instruction en charge de l’affaire avait une première fois refusé les auditions des deux haut gradés. Selon Survie, la FIDH, la LDH et les parties civiles, ce refus était en contradiction flagrante avec les attentes qu’il affichait dans son ordonnance :

«Concernant Bisesero, il s’agit de déterminer si le délai de 3 jours écoulé entre la première découverte des Tutsi et l’intervention de l’armée française auprès de ces derniers constitue une aide ou assistance sciemment apportée aux crimes de génocide et crimes contre l’humanité commis sur ces réfugiés par les Interahamwe et les autorités rwandaises».

Survie, la FIDH, la LDH et les parties civiles rappellent que le 27 juin 1994, une patrouille française de la force Turquoise croisait des survivants Tutsi rassemblés sur les collines de Bisesero, et traqués par des miliciens Interahamwe encadrés par des militaires des Forces Armées Rwandaises. Bien que la hiérarchie militaire ait été avertie le jour même, aucun ordre de porter secours à ces Tutsi en train d’être exterminés n’est donné.

Pendant trois jours, des centaines de civils sont massacrés par les génocidaires, alors que le premier détachement français ne se trouve qu’à quelques kilomètres. Si les rescapés de Bisesero sont finalement secourus par des éléments de l’armée française le 30 juin, ce sauvetage résulte de l’intervention de journalistes et de l’initiative prise personnellement par certains militaires, et non d’instructions venues du commandement militaire.

Dans ce dossier, l’association Survie, la FIDH, la LDH et les personnes parties civiles avaient déjà sollicité en 2015 que l’amiral Lanxade et le général Germanos puissent être entendus par le juge d’instruction en charge du dossier. Ces gradés ont en effet été informés dès le 27 juin du massacre en cours à Bisesero. Ils ont continué à en être informés les deux jours suivants, sans que l’ordre ne soit donné aux forces françaises présentes sur place d’empêcher le crime de génocide qui se perpétuait.

Le 31 octobre, le Président de la chambre de l’instruction a pris seul la décision de confirmer les motifs invoqués par le juge d’instruction dans son ordonnance.

Selon Survie, la FIDH, la LDH et les parties civiles, ces motifs se fondent sur une interprétation manifestement erronée de la chaîne de commandement de l’opération Turquoise.

En effet, le magistrat considère que le général Lafourcade, commandant de la force Turquoise, et ses subordonnés sur le terrain jouissaient d’une large autonomie, ce qui rendait superflu d’interroger de hauts responsables de l’état-major à Paris.

A cela s’ajoute l’affirmation que l’enquête la plus exhaustive possible a été menée, alors que nombre d’auditions demandées en 2015 par les parties civiles n’ont pas eu lieu et que des documents essentiels à la compréhension des événements n’ont pas été communiqués par le ministère de la défense.

En estimant que les auditions sollicitées, sujettes à questions et débats, ne méritaient même pas un examen devant la Chambre statuant collégialement, le Président de la chambre de l’instruction prive donc les plaignants et les associations parties civiles d’une audience et de la tenue d’un débat contradictoire.

«Ce refus de rechercher toutes les responsabilités éventuellement engagées y compris celles des plus hauts responsables de l’armée française compromet gravement l’enquête menée pour établir les responsabilités militaires et politiques dans le massacre des Tutsis de Bisesero », affirment les trois ONG françaises.

Selon les trois ONG qui soutiennent les parties civiles dans cette affaire, plus de 23 ans après les faits, l’objectif réel de l’opération Turquoise et l’établissement des responsabilités françaises lors du génocide contre les Tutsis de 1994 reste un sujet tabou en France. Et cela se ressent dans son traitement judiciaire. (Fin)

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Posté le 16/11/2017 par rwandanews