Un rapport remis vendredi 16 février au gouvernement et à l’Élysée incite à valoriser les recherches comparatives développées en France depuis une vingtaine d’années. Par Béatrice Bouniolsur
C’est l’aboutissement d’un long travail mené sous la direction de l’historien Vincent Duclert par une cinquantaine de chercheurs. La Mission d’étude sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse, instituée en 2016, rend ce vendredi 16 février son rapport aux ministres de la recherche et de l’éducation nationale et au président de la République.
Les auteurs y invitent l’État à prendre conscience des avancées de la recherche française. Ils souhaitent la rendre plus visible sur la scène internationale, notamment par la création, en France, d’un Centre international de ressources pour les génocides, les crimes de masse, les violences extrêmes et les esclavages (Cire).
Pour saisir l’ampleur des travaux comparatifs accomplis depuis les années 1990, il faut revenir à trois événements de cette décennie : la guerre en ex-Yougoslavie, la « décennie noire » en Algérie, le génocide au Rwanda. Ces théâtres de violence ont fait émerger d’autres questionnements sur la Shoah. Longtemps suspectée d’effacer les spécificités des génocides et de nourrir une forme de relativisme, la comparaison s’impose définitivement comme le moyen d’aboutir à une meilleure compréhension.
« Il s’est passé une forme de collision avec le temps présent, explique Henry Rousso, historien de la Seconde Guerre mondiale et vice-président de la mission. Ce qui se déroulait sous nos yeux nous permettait de mieux saisir le passé. Les événements en ex-Yougoslavie entraient en résonance avec la Shoah, tout comme l’indifférence qui accompagnait le génocide au Rwanda ».
« Un lien qui n’existe nul part ailleurs »
Les processus qui conduisent à l’extermination avaient déjà fait l’objet d’études croisées, tant ils suivent une trame redoutablement similaire : racialisation de l’ennemi, négationnisme, long conditionnement et rapidité de la mise en œuvre… À côté de ces similitudes, les chercheurs investissent alors de nouveaux domaines, aux croisées de l’histoire, de l’anthropologie et de la psychologie, comme l’étude des gestes et des pratiques de violence. Se constitue ainsi une « école française » sur le génocide des Tutsis rwandais, qui se distingue par l’attention qu’elle porte aux victimes.
Comme souvent, les controverses qui naissent dans la société française à ce moment-là encouragent la jeune génération à s’emparer du sujet dans une démarche d’emblée comparative. « Ce lien entre débats publics et développement de la recherche, déjà perceptible au sujet de la collaboration, n’existe pas ailleurs avec une telle intensité, complète Henry Rousso. En ce qui concerne les crimes de masse liés à l’esclavage et au colonialisme, la polémique sur “le rôle positif de la présence française outre-mer” et les lois mémorielles en 2005 attisent de même l’investissement des historiens ».
Autre spécificité hexagonale, le lien entre l’enseignement supérieur et secondaire – que la mission invite d’ailleurs à renforcer – favorise les rencontres informelles entre chercheurs. « Le premier espace d’échanges que j’ai expérimenté, c’est le cycle de formation proposé par le Mémorial de la Shoah aux enseignants du secondaire, qui met en avant des éléments d’analyse communs aux génocides du XXe siècle », confirme Hélène Dumas. Spécialiste du génocide rwandais, cette historienne dialogue avec sa collègue Anouche Kunth, qui s’intéresse aux trajectoires individuelles des rescapés du génocidearménien.
Mettre en réseau les initiatives et données existantes
Sur ces expériences humaines, matérielles, parfois infimes, s’organise aussi depuis une dizaine d’années un autre partage de connaissances. « L’errance des orphelins après la Shoah résonne avec le vécu des enfants arméniens, même si l’histoire factuelle est très différente, souligne Anouche Kunth. Et l’étude des souffrances psychiques des rescapés rwandais permet de lire autrement les symptômes décrits dans les archives de l’Entre-Deux-guerres, à un moment où les traumas ne sont pas encore bien identifiés. »
Le Centre de ressources recommandé par les auteurs du rapport aurait vocation à mettre en réseau les initiatives et données existantes, permettant de dépasser le péché français de la spécialisation. Une manière de souligner la place et la diversité de cette recherche, nourrie des études en sciences sociales et humaines comme des travaux des juristes et magistrats. Le regain actuel des discours révisionnistes comme la propagation de théories complotistes et négationnistes en fait un enjeu politique autant que scientifique.
http://www.rwanda-podium.org/index.php/actualites/education/2596-genocides-des-chercheurs-francais-renouvellent-l-etude-des-genocides
Posté le 17/02/18 par rwandaises.com