Moïse Katumbi, ex gouverneur du Katanga, président de « Ensemble », principal opposant au président Kabila et candidat à l’élection présidentielle

Entre Johannesbourg où il a lancé sa plate forme « Ensemble », Kigali, où il a rencontré des milliers de ses compatriotes qui avaient traversé la frontière pour le rencontrer, Londres, Paris, Bruxelles, Moïse Katumbi, souvent présenté comme le principal adversaire, sinon la « bête noire » du président Kabila est un homme pressé. S’il a ses entrées dans toutes les capitales occidentales, il est toujours interdit d’accès au Congo, menacé d’être arrêté à la suite de charges judiciaires pensant contre lui tandis que même sa nationalité congolaise est contestée.
La levée de son bannissement de fait était l’une des « mesures de décrispation » prévues par les accords de la Saint Sylvestre mais elle est restée lettre morte. Malgré tout, confiant dans sa bonne étoile et surtout dans sa popularité, Moïse Katumbi garde le moral. De passage à Bruxelles, il nous a accordé une interview exclusive, assurant ne rien redouter du pouvoir en place, même si, avant son départ du Congo, il avait été la cible de plusieurs tentatives d’assassinat. .

Pourquoi le pouvoir ne vous laisse-t-il pas rentrer ?

Tout simplement parce qu’il a peur de

moi, je vais gagner les élections. Il sait que je suis réclamé par la population congolaise, partout j’ai été ovationné, au Bandundu, à Kisangani dans la Province Orientale, dans les deux Kasaï, le Sud et le Nord Kivu…Sachant ce que j’ai fait pour le Katanga les gens veulent que je fasse la même chose chez eux, améliorer le social, refaire les routes, les infrastructures, aider cette population qui est en train de souffrir. Notre plate forme est implantée un peu partout dans le pays, même dans l’Equateur.

Etes vous préoccupé par l’argument de votre double nationalité, italienne puis congolaise, ce qui vous empêcherait de poser votre candidature à la présidence ? (ndlr. la nationalité congolaise est exclusive, mais le détenteur d’une autre nationalité peut, le cas échéant, renoncer à celle-ci) ?

Chaque jour, on trouve de nouveaux arguments contre moi. Je n’ai pas besoin d’engager un directeur de la campagne… C’est la majorité présidentielle qui fait ma campagne : elle me rend responsable de tout, du fait que les militaires sont mal payés, que l’inflation augmente…. Peut-être même va-t-on dire que c’est moi qui ai propagé le virus Ebola (rire). Le problème de la nationalité, Kabila lui-même sait ce que c’est… Lors des premières élections, en 2006, moi en tous cas, j’avais ma carte d’identité du Zaïre. Chacun sait où j’ai grandi, où j’ai été à l’école… Utiliser de tels arguments, c’est trop bas. Beaucoup de chefs d’Etat ont connu de tels procédés, comme Alassane Ouattara, le président de la Côte d’Ivoire… (accusé de détenir la nationalité burkinabe). Pour moi, c’est un petit problème.
Contre moi, on utilise aussi un litige à propos d’une maison qui appartient à mon frère..

Avez-vous fait une démarche administrative par laquelle vous renoncez à votre nationalité italienne ?

Aujourd’hui, c’est la majorité qui m’attribue cette nationalité italienne, alors que je suis né au Congo, que j’ai été gouverneur durant neuf ans ! La majorité dit que je ne serai pas candidat, comme si elle était devenue juge. En réalité, tout cela est inspiré par la peur que j’inspire.
En juillet, lorsque le moment sera venu, je déposerai ma candidature. Je suis déterminé, je suis prêt même si la majorité veut tout faire me bloquer. Je veux pouvoir travailler pour mon peuple. Kabila a terminé son mandat, et sur ce sujet, la Constitution est très claire, l’accord de la Saint Sylvestre aussi. Il ne peut pas dépasser le 23 décembre 2018, s’il le fait, on ne sera pas d’accord…S’il veut rester au pouvoir, on le fera partir pacifiquement…On ne peut jouer ainsi avec l’avenir de tout un peuple…

Faire campagne depuis l’étranger ce ne sera pas facile pour vous….

En Afrique du Sud j’ai présenté mon programme, mon projet de société, bien définis, j’ai lancé la plate forme « Ensemble » Alors que j’étais gouverneur, on sait que je l’ai réalisé. Avec moi c’est le suivi et la rigueur…
Lorsque je suis arrivé au poste de gouverneur du Katanga, les recettes à la douane s’élevaient à 14 millions 600.OOO dollars et à la fin, nous récoltions un milliard 400 millions l’an. Après une année, le gouvernement provincial pouvait renvoyer deux milliards au gouvernement central, à Kinshasa. Le problème, c’était la rétrocession, récupérer un peu ce que nous avions envoyé à Kinshasa…Dans la province nous avions restauré l’autorité de l’Etat, lutté contre la corruption. Aujourd’hui par contre, il y a des massacres, du désordre un peu partout…
En fait je crois que Kabila ne veut pas aller aux élections. A sa place, j’aurais démissionné, mais il cherche comment tricher, comment changer la Constitution.
A cause de moi, Joseph Kabila ne dort pas, il sait de quoi je suis capable. Mais moi aussi je le connais….Il envoie des gens chargés de m’assassiner, même en Europe, même en Belgique.. Je suis sa cible. Mais tout cela ce n’est rien. Mon problème c’est le peuple congolais. Celui qui est au pouvoir est déjà « plafonné »,il a atteint ses limites. On doit aller aux élections, crédibles, inclusives et transparentes. Sinon, il y aura une transition sans Kabila…

Croyez vous qu’une solution pacifique soit encore possible ?

Aussi longtemps que Kabila sera là, je ne le crois pas. Avec lui, nous tendons vers une guerre civile. La sous région doit être consciente du fait que Kabila veut créer le chaos partout et que nous refusons cela. La population congolaise mérite mieux que la guerre civile. Si on est Congolais, si on aime son pays, comment peut-on laisser son pays dans un tel chaos ? Heureusement que nous avons un bon peuple… Il y a déjà eu une tentative de guerre civile dans le Kasaï, mais elle a échoué…Dans l’Ituri, les gens qui ont voulu allumer un conflit interethnique sont toujours là, mais la population n’est pas d’accord avec cette perspective de guerre civile.
Nous avons dit aux pays voisins et à l’Union africaine de faire très attention, car Kabila veut défier tout le monde. Je suis allé partout dans la région, pour expliquer qu’un accord avait été signé mais qu’il y avait ici un homme qui refuse d’organiser les élections, qui prépare le chaos et la guerre civile dans la sous région. Bientôt je serai aux Etats Unis et là comme en Europe je dénoncerai la « machine à tricher » (machine à voter) la « machine de la mort », dont l’usage va provoquer la contestation et la mort….…Le président de la Commission électorale Corneille Nangaa devrait lui aussi réfléchir au fait qu’il pourrait être tenu pour responsable d’éventuelles violences…Toute la sous région souffre de la situation : nous avons envoyé des réfugiés au Rwanda, en Tanzanie, en Zambie, en Angola. Le peuple congolais est devenu nomade dans son propre pays… Tous ces miliciens qui sèment la terreur sont armés, entretenus par Kabila…On appelle cela la stabilité alors que nous comptons plus de 5 millions de déplacés internes…Combien avons-nous eu de victimes, combien d’églises profanées, de morts jamais enterrés, de gens jetés dans le fleuve… Kabila refusant d’organiser les élections, ce qui va se passer c’est que la rue va le chasser. C’est tout à fait normal, c’est même prévu par la Constitution et là nous allons mettre de gros moyens pour dire à la population « trop c’est trop »…
A la face du monde nous déclarerons qu’à la tête de notre pays, nous avons un assassin…Le Procureur général de la République aurait du l’interpeller mais il ne l’a pas fait, car nous avons une justice à deux vitesses…Nous n’avons pas besoin d’un mouvement militaire, la mobilisation du peuple est totale. Tout l’argent a été volé, le pays est saigné, la population attend…
Le 31 décembre 2016, déjà tout le monde était prêt à descendre dans la rue. Nous avons pris patience mais le pouvoir n’a pas tenu ses promesses, les évêques eux-mêmes ont parlé de mascarade…Kabila croit qu’il nous a roulés mais cette fois ci, le peuple va répondre : la plus grande armée, c’est le peuple…Lorsque Mobutu est parti c’est parce que le peuple n’en voulait plus et elle a montré le chemin aux militaires de l’AFDL. Si cette fois ci on nous dit à nouveau qu’il n’y aura pas d’élection, on n’écoutera plus les conseils. Etre roulés trois fois, c’est trop…
Je le répète, si Kabila organise réellement des élections crédibles et demande aux divers partenaires (Union européenne, Monusco, organisation internationale de la francophonie) de nous assister, tout est encore possible, il pourra rester au pays. Mais il y a un temps pour tout… On a vu de grands chefs d’Etat être chassés… Il croit que le Congo lui appartient, comme propriété privée. Ce que nous souhaitons c’est que notre pays connaisse sa première alternance pacifique. Mais si Kabila prépare le chaos, il va tout perdre, il ne saura où aller…

Quelles seront vos priorités ?

Mon programme, c’est d’abord restaurer l’autorité de l’Etat, car aujourd’hui nous vivons dans la jungle. Construire les infrastructures, s’occuper de nos routes, de la santé, remettre nos enfants à l’école grâce à un enseignement gratuit… Bien payer les fonctionnaires, les militaires, créer une armée républicaine, veiller aux effets du changement climatique…

Comment se présente l’opposition ?

Nous sommes très unis. Félix Tshisekedi est un frère, et lorsque Kabila raconte aux autres chefs d’Etat qu’en septembre Félix pourrait le rejoindre, c’est tout à fait faux. Tout cela, c’est pour amuser la galerie. Nous sommes tous unis, le MLC (Mouvement pour la libération du Congo, dirigé par Jean-Pierre Bemba, l’UNC (Union nationale congolaise, présidée par Vital Kamerhe)…Aujourd’hui « traverser » c’est trahir le peuple congolais, se comporter comme Judas…Quant son ministre des Affaires étrangères déclare qu’il n’y a plus d’opposition, je réponds « si c’est vrai pourquoi alors ne libère-t-il pas l’espace politique ? » Hier encore à Kisangani on a tiré sur mes gens, membres de la plate forme « Ensemble ».. Pourquoi nous refuse-t-on d’organiser des meetings ?

Votre plate forme « Ensemble » et les autres partis de l’opposition sont ils prêts à aller aux élections ?

Nous sommes tout à fait prêts, c’est Kabila qui ne l’est pas. En mars les listes ont été déposées au Ministère de l’Intérieur, en tenant compte des règles comme le seuil de représentativité de 1%. Or jusqu’aujourd’hui, la CENI n’a jamais publié les listes des partis acceptés, comme s’il fallait encore attendre et pouvoir décréter que tel ou tel n’aurait pas le droit de participer…Pour moi, la CENI est incompétente et doit pouvoir être réformée.

Comment allez vous atteindre la population ?

Nous mettons les grands moyens. Partout, dans tout le pays, nos militants font du porte à porte. Via nos cadres, via les diverses organisations. Nous voulons une élection inclusive, transparente, à laquelle tous les Congolais pourront participer. Que le meilleur gagne. Mais on sait déjà que Kabila veut le chaos. Si c’est le cas, il faudra donc le chasser…
Rappelons tout de même qu’il aurait déjà du partir en 2016, mais là il y a eu un consensus. L’Union africaine nous adonné des conseils, l’Union européenne également, les Etats Unis nous ont dit « sauvons ce que nous pouvons sauver ». Kabila y a vu de la faiblesse. Mais nous cette fois ci nous n’allons pas écouter les conseils. Nous considérons que ceux qui nous donnent des conseils sont complices… Depuis 2016, Kabila aura fait trois ans sans mandat légitime. Et pendant ce temps là, il aura intimidé tout le monde, instrumentalisé la justice… Les juges devraient comprendre que quand le régime changera, ils seront tenus pour responsables de leurs actes, de tous ces gens qui auront été condamnés illégalement, des ingérences dans le processus de justice.
Dans mon programme la justice doit être est indépendante. Actuellement, on mélange tout : les ordres donnés au procureur général de la République viennent de Kabila !. Ici, les juges, les bâtonniers, le Procureur, c’est Kabila lui-même, une seule personne qui décide tout. Tel n’est pas le rôle d’un chef d’Etat…

Comment considérez vous l’attitude de la Belgique, en quasi rupture avec Kinshasa ?

L’attitude de la Belgique est très bonne, comme celle de tous les autres pays européens. Kabila croit que la Belgique est un petit pays, insignifiant. Mais il se trompe de cible. Pourquoi choisir la Belgique ? Mais parce qu’il n’a pas étudié au Congo, il est seulement en train d’apprendre l’histoire de nos relations avec la Belgique. Dès la deuxième année primaire on nous enseigne cette histoire…Mais lui, il a coupé le cordon ombilical et personne n’est d’accord avec lui… Nous, nous apprécions ce que font la Belgique et les autres partenaires de l’Union européenne, ainsi que les Etats Unis. Kabila aurait voulu créer une division au sein de l’Union européenne mais il a échoué. Voyez la fermeture de la maison Schengen : cette décision prive de peuple congolais de ses droits mais les autres Etats européens se sont montrés solidaires de la Belgique, qui n’a rien fait de mal, seulement défendre un peuple opprimé…
Kabila avait cru que la Belgique serait délaissée par ses partenaires, mais il s’est trompé…

Le Code minier vient d’être révisé, les sociétés minières devront payer plus. Si vous êtes élu, soutiendrez vous ces dispositions ?

Ce n’est pas aujourd’hui qu’il faut parler de cela…Les miniers pai

ent leurs taxes, leurs redevances, le Katanga a été longtemps le premier contributeur du pays. On a prévu de réviser le Code minier mais des « arrangements» sont prévus. Autrement dit des possibilités de corruption. En réalité, ce qui tue ce sont les tracasseries, la corruption, l’ingérence de la famille présidentielle dans les sociétés minières…Si on enlève la « clause de stabilité », comment imaginer que les miniers vont investir ? Dans mon programme il est prévu de discuter avec tout le monde, de publier toutes les dépenses sur Internet, de travailler en toute transparence…
Lorsque je suis arrivé au Congo je ne venais pas de nulle part : j’étais opérateur économique au Congo et en Zambie, je n’étais pas un demandeur d’emploi… Moi, je peux justifier ce que j’ai gagné, je ne suis pas arrivé pieds nus, sans même une boîte d’allumettes en poche…On me souvient de moi, de mes pêcheries le long du lac Moero…Moi, j’ai travaillé pour mon argent, je peux le prouver…

Avez-vous fait vos déclarations de patrimoine ?

Tout a été fait dans les règles, je n’ai jamais quitté ma maison pour vivre au gouvernorat. J’avais des biens et la population katangaise le sait. Personne ne peut effacer l’histoire. J’étais très crédible et j’ai fait des affaires avec des grosses boîtes… Par rapport à ce qui se passe aujourd’hui, Mobutu était un saint, il n’a pas fait tuer dans les églises ni égorger dans l’Est du Congo, le Kasaï était en paix, les gens vivaient tranquillement…Je le répète, nos neuf voisins ont des raisons de s’inquiéter.

http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/

Posté le 16/05/2018 par rwandaises.com