Les preuves sur lesquelles se fonde l’ordonnance du juge Bruguière, pour lancer des mandats d’arrêt contre neuf personnes rwandaises, dont madame Rose Kabuye, ne sont pas fragiles, elles ne sont pas infimes, elles n’existent tout simplement pas.
Jean-Louis Bruguière ridiculise la justice française en l’instrumentalisant.
Dans son ordonnance du 17 novembre 2006, rendue 12 ans après les faits, le juge écrit que l’avion Falcon 50, abattu le 6 avril 1994, causant la mort de 12 personnes dont les présidents du Rwanda et du Burundi, et l’équipage composé de trois Français, possède deux réacteurs.
Tout un chacun peut vérifier sur Internet que cet avion, construit en France par Dassault, est propulsé par trois réacteurs. Ils sont toujours visibles, gisant près du mur de la propriété de feu le Président Habyarimana, à Kanombe près de l’aéroport de Kigali et du camp militaire.
De même que le juge n’a pas cherché de photos de l’avion Falcon 50 sur le web, il ne s’est pas déplacé à Kigali sur les lieux de l’attentat pour examiner les restes de l’avion, ce qui aurait été la première démarche d’une enquête de police scientifique. Il n’en a même pas fait la demande auprès des autorités rwandaises.
Cette recherche d’indices matériels n’aurait donc jamais été faite ? Dans les minutes qui ont suivi le crash, l’accès au site a été bloqué par la garde présidentielle rwandaise qui a refoulé les Casques-bleus belges, dépêchés sur les lieux par le général Dallaire, commandant la force de l’ONU, la MINUAR, envoyée au Rwanda pour aider à la mise en application des Accords de paix d’Arusha. Le commandant Grégoire de Saint-Quentin, qui habitait au camp militaire de Kanombe, à quelques centaines de mètres du point de chute, s’y est rendu immédiatement. À 21 h 30, il envoyait son rapport au COIA (Centre des opérations interarmées à Paris).
Il revient sur les lieux pour identifier les corps des trois membres de l’équipage. Dans les jours qui suivent, et vraisemblablement le 10 avril, il y retourne à nouveau avec d’autres militaires français pour rechercher des objets dans les débris de l’avion. Le juge n’en touche pas mot.
Le premier acte d’une enquête sur un accident d’avion est de rechercher la « boîte noire ». La note du 15 avril du ministère des Affaires étrangères du nouveau gouvernement rwandais, formé le 8 avril avec la caution de l’ambassadeur de France, Jean-Michel Marlaud, après l’assassinat de plusieurs ministres dont le Premier, déclare que la boîte noire est retrouvée et en cours d’analyse.
Le 27 juin 1994, l’ex-capitaine Barril convoque des journalistes à Paris et leur montre une soi-disant boîte noire de l’avion qu’il ramène de Kigali. Le journal Le Monde doit reconnaître qu’il s’est laissé abuser et que cette boîte noire n’en est pas une. La firme Dassault assure que l’avion, offert par la France au président rwandais en 1990, n’en n’était pas équipé.
Pourtant en 1998, le général Jean Rannou, dans une lettre non publiée par la Mission d’information parlementaire, reconnaît que l’avion était équipé des deux boîtes noires habituelles, le CVR (enregistreur des conversations dans le cockpit) et le FDR (enregistreur des paramètres de vol) mais ajoute que leur analyse « n’aurait pas été de nature à éclaircir les circonstances exactes » de l’attentat. Il est vrai qu’aucune information sur les auteurs de l’attentat ne pouvait en être déduite. Toujours est-il que certaines personnes ont jugé qu’il était préférable de les faire disparaître. Logiquement, ces personnes sont à rechercher parmi celles qui ont eu accès au site du crash.
Que sont devenues ces deux enregistreurs ? René Degni-Ségui, rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, réclame vainement la boîte noire de l’avion à la France et au Gouvernement intérimaire rwandais pendant le génocide. L’ambassadeur de France à Genève lui répond que son gouvernement n’avait pas la boîte noire. À Kigali, le chef d’état major le renvoie à la France.
Le juge Bruguière n’en touche pas mot.
De quelle preuve dit-il disposer ? Il semble que le juge n’ait pas fait un certain nombre d’investigations ou du moins que, s’il les a faites, il n’en a pas tenu compte dans son ordonnance de soit-communiqué. Il dit avoir fait expertiser l’enregistrement sur bandes magnétiques des conversations de la tour de contrôle avec les pilotes. Des bandes ont été exhibées par Paul Barril, le 27 juin 1994, mais n’auraient été remises par lui au juge que six ans plus tard ! En effet, les familles des victimes françaises de l’attentat, d’anciens militaires salariés d’une mystérieuse société SATIF pour le compte du ministère de la Coopération, subissent des pressions pour ne pas déposer plainte. L’ancien ambassadeur Georges Martres appuie, dans une lettre de 1995 à Alain Juppé, les réclamations de ces familles pour toucher les assurances vie, en rappelant que cet équipage l’informait de tous les déplacements du président Habyarimana. Ce n’est que 4 ans après, en mars 1998, suite à la formation d’une Mission d’information parlementaire, que le Parquet ouvre une information judiciaire qu’il confie au juge Bruguière.
Le juge dispose de numéros de lanceurs de missiles SAM-16 et de photos de l’un d’eux. Que valent ces documents ? La Mission d’information les a déjà analysés et les a jugés non probants. Les numéros des lance-missiles ont été fournis à Filip Reyntjens par l’avocat du colonel Bagosora, principal organisateur présumé du coup d’État et de l’éradication des [Ba]Tutsi.
Les photos ont été remises, selon Bruguière, au général Jean-Pierre Huchon, chef de la mission militaire de coopération, par le colonel Ephrem Rwabalinda qui est venu en mai 1994 à Paris solliciter une aide militaire de la France à l’armée rwandaise, plus occupée à massacrer les [Ba] Tutsi qu’à barrer la route à l’armée du FPR, seule force à s’opposer sur le terrain aux assassins. La Mission d’information, à qui Huchon disait ne plus se souvenir de la visite, fort gênante, de Rwabalinda, avait fait remarquer que ces photos transmises par l’armée rwandaise étaient celles d’un lance-missile SA-16 mais qu’on ne pouvait dire s’il avait servi ou non. La date et le lieu de la prise des photos n’ont pas été établis. Et si deux lance-missiles ont été trouvés pourquoi n’envoyer que les photos d’un seul ?
Le juge affirme que des missiles portant ces numéros ont été vendus par l’URSS à l’Ouganda où le FPR avait des bases. Il ne tient pas compte que la Mission d’information reconnaît que l’armée rwandaise disposait de SAM-16 « récupérés sur le FPR » et qu’une lettre en date du 17 janvier 1992 du colonel Serubuga, chef d’état-major adjoint de l’armée rwandaise, demandant l’achat de missiles SAM-16 a été exhibée au Tribunal pénal international sur le Rwanda (TPIR) en 2005.
D’autre part, puisqu’aucune analyse des débris n’a été faite et qu’aucun élément matériel probant n’a été apporté, rien ne permet d’affirmer que l’avion a été abattu par des missiles SAM-16. Paul Barril, dont le passé incite à considérer ses propos avec prudence, affirmait fin juin 1994 être en possession des lanceurs de missiles SAM-7 qui ont abattu l’avion ! Le juge parle de deux tirs, mais un témoin qu’il entend, Jean-Luc Habyarimana, fils du président, a vu trois tirs.
L’ordonnance du juge ne se fonde sur aucun fait matériel étayé pour accuser les neuf personnes visées par les mandats d’arrêt. Hormis les témoignages de personnes la plupart présumées coupables de génocide, dont certaines sont toujours recherchées par le TPIR, il ne se fonde que sur ceux de transfuges du FPR, attirés par la perspective de permis de séjour en Europe. Plusieurs d’entre eux ont protesté par lettre dès la publication de l’ordonnance du juge Bruguiére, contre les conditions plus que suspectes dans lesquelles il a obtenu d’eux des déclarations et les leur a fait signer. Le principal témoin, Abdul Ruzibiza, vient de reconnaître ces jours-ci qu’il avait menti.
Il n’expliquait d’ailleurs pas de manière crédible dans son livre, imprudemment cautionné par deux universitaires français, comment un commando du FPR aurait pu quitter son cantonnement qui était surveillé par la MINUAR et les milices extrémistes, franchir les barrages qui contrôlaient la zone de l’aéroport, du camp militaire et de la résidence présidentielle, tirer leurs missiles et s’enfuir sans encombre. À ce jour, deux autres témoins présentables du juge, autrement dit non suspects de génocide, Emmanuel Ruzingana et Deus Kagiraneza, affirment n’avoir jamais dit ce que Bruguière leur fait dire.
Le juge n’a construit son instruction qu’à partir des accusations des auteurs du génocide. L’assassinat du Président Habyarimana était la première phase d’un coup d’État déclenché par eux à partir du moment où, ce 6 avril 1994 à Dar es-Salaam, le président a accepté, sous la pression internationale, de mettre en place les institutions prévues par les Accords de paix d’Arusha qui attribuaient des portefeuilles ministériels au FPR et fusionnaient les deux armées, les extrémistes de la CDR étant exclus des nouvelles institutions. L’assassinat des politiciens favorables à ces accords, l’assassinat – annoncé par un informateur du général Dallaire –, de soldats belges pour pousser la Belgique à retirer ses Casques-bleus du Rwanda et le génocide contre les [Ba] Tutsi, au vu de leur carte d’identité, était la suite de leur programme.
Il n’a pas tenu compte de témoignages comme celui du colonel Vincent de la coopération militaire belge, bon connaisseur du Rwanda et de son armée, qui déclare : « L’attentat est l’affaire d’un groupe extrémiste proche du Président (pas F.P.R.). » Il ne l’a pas entendu. De même il n’interroge pas les médecins militaires belges, et les militaires belges de garde à l’aéroport, témoins de l’attentat. Il n’a pas pris en compte plusieurs témoignages qui disent que les tirs sont partis non pas de Masaka mais du camp militaire de Kanombe ou de son voisinage immédiat.
Il semblerait, d’après son ordonnance, qu’il n’a pas plus demandé au ministère français de la Défense de lui remettre les deux boîtes noires, les rapports du commandant Grégoire de Saint-Quentin et d’autres objets qu’il aurait pu prélever sur le site du crash. Il n’a pas interrogé ce dernier sur ce qu’il a fait le 6 avril et les jours suivants, il ne s’est pas inquiété des déplacements d’une batterie antiaérienne au camp de Kanombe, qu’il aurait ordonné la veille de l’attentat. Il n’a pas plus interrogé le lieutenant-colonel Jean-Jacques Maurin, conseiller du chef d’état-major de l’armée rwandaise, avant son décès le lieutenant-colonel Alain Damy, conseiller du chef d’état-major de la gendarmerie rwandaise et le major Erwan de Gouvello, officier des troupes de marine, aujourd’hui consul général de France à Lagos, qui s’est trouvé le 7 avril près des lieux où le Premier ministre Agathe Uwilingiyimana et les dix parachutistes belges ont été assassinés.
Le juge n’a pas interrogé les contrôleurs aériens présents dans la tour alors qu’une journaliste belge a pu en interviewer un qui reste tout à fait joignable encore aujourd’hui. Il ne semble pas s’être interrogé sur l’appartenance à la mouvance extrémiste CDR de plusieurs responsables de l’aéroport. Il ne fait pas référence à la conversation qu’une épouse d’un membre de l’équipage a eu par téléphone cellulaire (GSM) avec son mari. Il ne fait aucune allusion à l’emploi du temps de l’ex-capitaine Barril et ne semble pas l’avoir questionné sur les raisons de sa présence au Rwanda vers ce 6 avril 1994. La Mission d’information parlementaire n’a pas entendu l’ex-capitaine Barril.
Le juge ne s’est pas demandé pourquoi la Radio Mille Collines, qui a été la première à annoncer la mort du président dans l’heure qui a suivi, a accusé les Casques-bleus belges d’être responsables de l’attentat. Il n’a pas enquêté pour savoir pourquoi et qui, à l’ambassade de France à Kigali, mettait aussi en cause les Belges quand on téléphonait, le soir du 6 et le 7 avril, pour avoir des informations.
Enfin, il n’a pas enquêté sur la mort « d’origine accidentelle » par « le fait de balles d’arme à feu » de l’adjudant de gendarmerie française, René-Jean Maïer, le 6 avril dans l’heure qui a suivi l’attentat, comme le prouve le certificat du genre de mort signé à Bangui le 13 avril 1994 par le médecin-chef des E.F.A.O., Michel Thomas, ceci en contradiction avec le Journal officiel du 1er décembre 1994 qui date cette mort au 8 avril. De même le juge n’enquête pas sur l’assassinat de l’autre adjudant de gendarmerie, Alain Didot, spécialiste de transmissions radio, et de son épouse.
Les accusations du juge Bruguière, fondées sur des preuves qui n’en sont pas et de faux témoignages, semblent destinées à camoufler que la France fait la guerre aux Tutsi depuis la fin de l’année 1990 et se trouve, depuis, étroitement liée aux auteurs du génocide et de l’attentat.
À tel point que, comme d’autres suspects de génocide, le préfet de Gikongoro, Laurent Bucyibaruta, organisateur présumé de massacres qui ont fait au moins 60 000 victimes le 21 avril 1994, vit en France et que la justice française répugne à le juger alors que le TPIR lui en a fait la demande. C’est à l’école de Murambi à Gikongoro, à côté des fosses d’où suintait le sang des milliers de victimes, que l’armée française a pointé ses canons en juillet 1994 pour défendre les assassins contre le FPR. Forts de cette protection, la plupart d’entre eux ont pu fuir au Zaïre-Congo et continuent à semer la mort jusqu’à ce jour.
Afin d’épargner à la France le ridicule et l’opprobre, les juges Marc Trévidic et Philippe Coirre doivent reconnaître la forfaiture de leur prédécesseur, présenter leurs excuses à madame Rose Kabuye et commencer enfin la véritable enquête sur l’attentat du 6 avril 1994.
Georges Kapler (cinéaste), Jacques Morel (ingénieur CNRS à la retraite).
__
La lettre de Georges Martres à Alain Juppé du 9 avril 1995 où Martres déclare :
« Notre politique ainsi définie avait nécessité un contact très étroit de notre ambassade avec le Président Habyarimana.
A ce contact, l’équipage a apporté une modeste mais constante et très fidèle contribution en informant régulièrement l’ambassadeur et son attaché de défense sur tous les mouvements du Chef de l’État rwandais.
Les trois hommes de cet équipage ont payé cruellement de leur vie l’échec de nos efforts et de ceux de la communauté internationale pour éviter la catastrophe que nous pressentions depuis quatre ans. »
En clair, l’équipage français faisait du renseignement…
L’analyse complète de l’ordonnance du juge Bruguière par les auteurs est lisible dans La Nuit Rwandaise N° 1, http://izuba.info/Nuitrwandaise/spip.php ?article6
La Nuit Rwandaise N° 2 présente une analyse critique de Pierre Jamagne sur le livre de Abdul Ruzibiza, http://izuba.info/Nuitrwandaise/spip.php ?article112
Par Georges kapler et Jacques Morel
Posté le 23/06/2018 par rwandaises.com