Ces derniers mois, plus que jamais, on n’en a parlé, du non respect des droits de l’Homme au Rwanda : c’était le fait de ceux qui voulaient discréditer la rwandaise Louise MUSHIKIWABO afin de lui barrer la route vers l’accession “au trône de la Francophonie” ! Le gros de la tempête médiatique étant passé, si l’on esquissait un bilan objectif de l’effectivité des droits humains au Rwanda, quelque 25 ans après le Génocide contre les Batutsi ? Une évaluation qui aurait comme grille de référence la Déclaration Universelle de 1948 et sa trentaine d’articles. On rappellera que le modèle occidental ne peut être universel, comme “incréé” : il revient à chaque peuple de traduire le texte et de l’actualiser en libertés et droits fondamentaux dans le respect de ses Valeurs fondamentales et de son Histoire. L’on veillera surtout à embrasser TOUT le spectre des droits fondamentaux, qui vont des droits socio-économiques, indissociables de la démocratie, aux droits civils et civiques. Sans oublier le pilier de tous les droits : le droit des peuples à la souveraineté nationale.


Par André TWAHIRWA, africaniste et élu local en Île-de-France

La Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 est la première traduction dans le droit positif international des droits fondamentaux, universels et inaliénables car attachés à l’être humain de par son appartenance à l’espèce humaine. Mais, si les valeurs sont universelles et universellement reconnues, elles n’ont pas le même « sens », la même « fonction » dans toutes les Cultures ou tous les sous-ensembles de Cultures ni à toutes les époques : ce sont les Cultures dans leur diversité qui constituent le Bien commun universel. Et c’est à chaque peuple qu’il revient d’aménager les droits fondamentaux en libertés publiques dans le respect de ses Valeurs et de son Histoire.

De l’impérieuse nécessité de tenir compte du contexte historique et culturel
Pour le Rwanda, il y a un avant et un après 1994 : le Génocide est l’Événement (tragique) de référence, celui dont procèdent les principes fondamentaux inscrits dans le Préambule la Loi fondamentale. Comme l’est la Guerre d’indépendance pour les États-Unis et, à la même période, la Révolution française pour la France. C’est en référence au génocide contre les Batutsi qu’ont été définis les principes pour la refondation de la Nation, principes puisés dans la “longue Histoire commune et les valeurs partagées par tous les Rwandais” : l’égalité et (donc) l’interdiction de toute discrimination, le dialogue à la recherche du consensus et la participation de tou(te)s au pouvoir sont les trois principes au cœur même de la Constitution de 2003, révisée en 2015, et donc au centre de toute la vie nationale. Ces principes imprègnent notamment l’ensemble des vingt-neuf libertés et droits fondamentaux inscrits dans la Constitution (Chapitre IV, articles 12 à 40).

Priorité aux droits socio-économiques et démocratie (à dominante) participative.
Les droits socio-économiques (santé, éducation et “environnement sain”), articles 25-26 de la Déclaration universelle, sont définis aux articles 20 à 22. Leur priorité, au sortir du Génocide, est affirmée dans le programme « Vision 2020 », résultat d’un long processus de consultations nationales qui ont duré plus d’une année (mars 1998-mai 1999). Aujourd’hui, le Rwanda est unanimement reconnu comme un des champions de leur effectivité. Et cela « parce que le processus de décentralisation et la mise en place les solutions endogènes vont de pair » selon la Banque Mondiale (Rwanda – Vue d’ensemble, 06 oct. 2015), dont le classement annuel sur la gouvernance place le Rwanda en tête de liste des pays africains.

En effet, un tel “miracle” ne peut pas avoir lieu sans une bonne gouvernance, sans surtout l’adhésion et la participation du peuple : c’est une des conséquences du choix du modèle politique de la démocratie (à dominante) participative et donc de la participation du peuple, le plus large possible, à la chose publique à travers les “solutions endogènes” c’est-à-dire « l’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d’augmenter l’implication des citoyens dans la vie politique et d’accroître leur rôle dans les prises de décision et dans leur réalisation ».

Au Rwanda, les droits socio-économiques et la démocratie sont donc indissociables. Et ils s’inscrivent tous dans la Tradition (« actualisée ») et dans le contexte post-génocide de la reprise en main du destin national. Il n’en est de même des droits civils, y compris des droits d’association et de liberté d’expression.

De l’effectivité des droits civiques au Rwanda de l’après-Génocide

Pour ce qui est des droits civiques et civils, le Rwanda est surtout reconnu comme exemplaire en matière d’égalité et de parité hommes/femmes. Dans le classement 2018, il est toujours 1er de la liste de la parité : Parlement à 61.3% (et, depuis octobre 2018, gouvernement à 50%) féminin. Il est monté à la 4ème place, avant la Suède et juste après la Finlande, sur la base sur quatre critères : l’accès aux soins de santé, l’accès à l’éducation, la participation économique (salaires, participation au marché du travail, fonctions dirigeantes) et la représentation politique. Mais, l’on connaît moins les grandes avancées dans le domaine des autres droits civils ou civiques. En voici quatre, évoqués dans l’ordre et avec, entre parenthèses, le rang occupé dans la Déclaration universelle de 1948 et ses trente articles.

Aujourd’hui, le droit à la patrie et à la nationalité (15) est garanti à tous, sans exclusion aucune. S’agissant du droit à la liberté de circulation et de résidence (14), l’octroi du passeport n’est plus un privilège : il s’est totalement démocratisé et il se fait dans des délais très courts (quatre jours ouvrables pour la première fois et deux pour le renouvellement). Quant au droit de participer à la direction des affaires publiques (21), longtemps interdit à beaucoup de rwandais dits de seconde zone_ et pas uniquement aux membres de la Communauté  tutsie _ et l’accès aux études et aux bourses d’études, qui permettent d’y accéder, est ouvert à tous et à toutes selon le mérite. Enfin, s’agissant du droit d’asile, aujourd’hui, pendant que le Ministère des Réfugiés encourage le retour massif des réfugiés qui avaient fui en 1994, ce pays de plus 12 millions d’habitants accueille plus de 55 000 réfugiés burundais et sans doute autant de réfugiés congolais mais aussi d’autres pays africains en guerre comme la Somalie.
Figurant dans les articles 31 à 40 de la Constitution, les libertés d’association ou d’expression (du droit de former des syndicats et des associations d’employeurs au droit à la liberté de réunion en passant par la liberté de conscience et la liberté de presse, d’expression et d’accès à l’information) portent l’empreinte des mêmes principes fondamentaux. Et, moins d’un quart de siècle après le génocide perpétré contre les  Batutsi, elles aussi ont connu une réelle progression.

Des corps intermédiaires

On dénombre aujourd’hui quelque 1400 ONG, dont de très nombreuses organisations religieuses. En effet, la laïcité (article 4) et la liberté de conscience et de religion (article 37) ne sont plus des vœux pieux : le catholicisme a cessé d’être la religion (quasi)officielle. Dans le domaine des ONG estampillées “de droits de l’Homme”, les associations des rescapés du génocide ou de lutte contre le génocide sont tout naturellement les plus actives. Mais il est d’autres associations, dont certaines (le CLADHO, l’ADL, la LIPRODHOR) datent d’avant le génocide mais qui se sont affranchies de la tutelle des “parrains” occidentaux.

S’agissant des médias et donc d’accès l’information, en une vingtaine d’années, le nombre des stations de télévision est passé de 1 à 6 et celui de stations radio de 1 à 29. Il existe actuellement plus de 45 titres de journaux, dont beaucoup, superbement ignorés par nos droits-de-l’hommistes, sont en kinyarwanda. Enfin, on compte aujourd’hui plus de 80 sites-web d’information.

La progression est la même pour les syndicats. Il ne cesse d’en naître de nouveaux, y compris dans le secteur dit informel : le dernier à voir le jour est sans doute le “Syndicat de travailleurs domestiques et de tous ceux qui font des travaux connexes comme les employés des hôtels, bars et restaurants”, lancé en septembre 2016. Ils sont organisés par profession ou par catégorie socioprofessionnelle et regroupés en centrales syndicales, fédérations et confédérations (Arrêté ministériel n°11 du 04-09-2010 déterminant les conditions et modalités d’enregistrement des syndicats et des organisations patronales). Leur rôle est de défendre les intérêts des adhérents. En dehors de toute appartenance politique ou idéologique. Et, dans une démocratie (à dominante) participative, ils sont libres et en même temps citoyens. Comme les autres corps intermédiaires.

Des corps intermédiaires, libres ET citoyens

Dans une société du NOUS et de la démocratie participative, liberté rime avec citoyenneté : « être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes, c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres » (Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté). Aussi les corps intermédiaires (ONG, syndicats et médias) sont-ils libres Et citoyens : ils remplissent leur rôle d’inter-médiaire au service de l’intérêt collectif en dehors de tout esprit partisan, en dehors de toute polémique inutile, de toute bagarre qui détruit et qui n’est pas dans l’ADN culturel du pays.
Les syndicats sont (acteurs) citoyens. Il en est ainsi de la Fédération des coopératives des conducteurs des taxis motos (FERWACOTAMO) pour sa contribution aux programmes tels que le « One dollar Campaign », destiné à aider chaque orphelin rescapé à se construire une maison. Il en est de même pour les ONG : c’est le Collectif des ligues et associations des droits de l’Homme (CLADHO), qui a lancé, le 26 septembre 2016, « le Syndicat de travailleurs domestiques et de tous ceux qui font des travaux connexes comme les employés des hôtels, bars et restaurants ». Il en est de même, d’ailleurs, des corps constitués comme l’armée, une armée citoyenne et pas uniquement pendant la “Semaine de l’Armée”. Une “semaine” qui a duré deux mois en 2017 : du 4 mai au 4 juillet, les équipes médicales militaires (plus de 200 médecins) sont allées à la rencontre des patients dans presque tous les hôpitaux du pays.
Quant aux médias, leur rôle est d’informer, d’expliquer_ en recueillant l’information et en la mettant en perspective_ et de médiatiser. Et, sans chercher à s’ériger en un “quatrième pouvoir”, jouer pleinement leur rôle de vigilance et d’alerte : ils ne se privent pas de critiquer le pouvoir et de dénoncer les abus de responsables politiques. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les journaux, surtout ceux en langue nationale, et d’écouter les radios notamment les radios libres : la parole est libre et les auditeurs réagissent notamment au téléphone (portable) et sur les réseaux sociaux, très développés au Pays des mille collines.

Seul garde-fou, inscrit dans le Code d’Éthique et de Déontologie des médias rwandais : les « gens exerçant une autorité dans la vie publique bénéficient d’une protection pour leur vie privée excepté quand leur vie privée peut avoir un effet sur la vie publique » (article 21 du Code de déontologie). Au même titre que les personnes privées (article 17 et article 23 de la Constitution).

Ensuite, au pays qui entend encore résonner les appels des « Médias de la haine » du Hutu power à exterminer le tutsi, les journalistes « doivent être au courant du danger de discrimination pouvant être véhiculée par eux et faire tout pour éviter de faciliter une telle discrimination basée, entre autres, sur la race, le sexe, l’ethnie, la langue, la religion, l’opinion politique, les origines nationales ou sociales, le handicap mental ou physique et le SIDA » (article 16 du Code d’Éthique et de la Constitution). Il en est de même avec les formations politiques (article 57 de la Constitution).

Mais la mère des libertés et des droits fondamentaux reste le droit des peuples à la souveraineté (“Tous les peuples ont le droit de libre détermination ; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel”, Article 2 de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays des peuples colonisés, 1960). Ce droit, tout naturellement absent de la Déclaration universelle de 1948, ce droit à l’indépendance réelle, à la reprise en main de son destin et au recouvrement de sa dignité, le Rwanda l’exerce pleinement : en 1994, le Pays de Gihanga a appris _ et à quel prix_ qu’il ne peut compter que sur lui-même (d’abord). Et que pour renaître de ses cendres, il fallait définitivement couper le cordon colonial et renouer avec ses racines. Et, dans le cadre de l’Union africaine, il œuvre pour une Afrique totalement indépendante.

Redigé par Andre Twahirwa

Le 19 octobre 2018

http://fr.igihe.com/opinions-reactions/les-droits-de-l-homme-au-rwanda-et-si-l-on-en.html

Posté le 20/10/2018 par rwandaises.com