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Sa vie durant, Félix Tshisekedi aura été le fils d’un homme quasi mythique, Etienne Tshisekedi, surnommé, suivant les circonstances, le « Sphynx », le « Lider Maximo », le « Combattant Suprème » et faisant l’objet d’un véritable culte. Aujourd’hui, à quelques mètres de la petite maison de Limete où Félix passa son enfance, une photo grandeur nature du père disparu voici deux ans domine le quartier et les jeunes Kasaïens, chevauchant leurs motos pétaradantes, aiment se réunir sous le regard du grand homme. Mais Félix, en une année, a réussi à atteindre le pouvoir suprême, celui que son père avait dédaigné du temps de Mobutu alors qu’il avait été nommé Premier Ministre après la Conférence nationale du début des années 90, repoussé en 2006 en refusant de participer aux élections, puis échoué à conquérir lors du dernier scrutin présidentiel de 2011 où il avait été battu, non sans contestations, par Joseph Kabila.
Ayant passé de longues années en Belgique, Félix Tshisekedi a été longtemps tenu à l’écart des combats et des tribulations politiques de son père jusqu’à ce que sa mère, Maman Marthe, le désigne comme successeur potentiel. C’est ainsi qu’ au début de la cinquantaine, le fils aîné se trouva enfin associé aux négociations menées par son père, qui allaient mener, le 31 décembre 2016, aux accords de la Saint Sylvestre, prévoyant des élections dans un délai de deux ans. Epuisé par le marathon politique, Etienne Tshisekedi devait succomber trois mois plus tard dans une clinique bruxelloise, obligeant Felix à assurer la succession et à se faire accepter par un parti politique turbulent, l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) ayant servi d’ « incubateur » à de nombreux dirigeants qui essaimèrent ensuite à travers tout le spectre politique congolais. S’il n’a pas d’expérience directe du pouvoir, Félix fut en tous cas été un témoin privilégié du combat de son père, de son travail mais aussi de ses foucades et de ses échecs. Calme, posé, doté d’un solide bon sens, le fils aîné en impose par sa carrure et, à plusieurs reprises durant la campagne comme le jour des élections, nous l’avons vu tenir des propos empreints de modération, qu’il s’agisse de la machine à voter ou du report momentané du scrutin. Alors que le lièvre Fayulu courait vite, parlait beaucoup et soulevait les foules à travers le pays, Félix, en compagnie de Vital Kamerhe son directeur de campagne, efficace et expérimenté, enchaînait les meetings sans être autrement inquiété, manifestant une inébranlable confiance en soi.
C’est peut-être le soir du 30 décembre déjà que son sort a basculé, lorsqu’il est apparu que le dauphin de Kabila Shadary Ramazani allait être le grand perdant du scrutin, un échec qui devait bousculer l’ordre des arrivées. Durant la journée, alors que le scrutin n’était pas encore terminé, Félix se montrait déjà sûr de ses atouts. IL rappelait que le triomphe que la foule de Kinshasa lui avait réservé à son retour de Genève, il expliquait que, dans le Kasaï, la population s’était bousculée pour saluer le fils d’Etienne, tandis qu’à Bukavu, il avait pu mesurer la popularité de son allié Kamerhe, aujourd’hui champion des voix de préférence.
Dans les cénacles certes, on se gausse encore du manque de diplômes de Félix, considérant que cette fragilité pourrait affaiblir sa position politique, même si les certificats attestant de son expérience professionnelle, entre autres à la Poste, sont eux bien réels ; on souligne son absence d’emprise sur les services de sécurité, sur l’armée et la police, sans parler d’une possible ignorance des grands enjeux économiques et du secteur des Finances. Dans ces domaines sensibles, il est évident qu’il y aura cohabitation avec le pouvoir sortant. Cependant, le fils de Tshisekedi n’est pas dépourvu d’atouts : le parti UDPS et la communauté kasaïenne, dans le pays et dans la diaspora, comptent de nombreux intellectuels qui pourraient mettre leurs talents au service du nouveau pouvoir, le co-listier Vital Kamerhe, qui fut président de l’Assemblée nationale et fit élire Kabila en 2006, est l’un des hommes politiques les plus expérimentés du pays, malgré ses volte faces, François Mwamba, ancien ministre du Budget, fut l’un des cadres du MLC, le parti de Jean-Pierre Bemba. D’aucuns présentent déjà Félix Tshisekedi comme l’otage de Joseph Kabila, sénateur à vie, à la tête d’une coalition politique qui dominera l’Assemblée nationale. Cette hypothèse n‘est évidemment pas à écarter mais tous ceux qui n’avaient pas vu Félix arriver doivent se souvenir que la tortue, sous sa carapace, sait elle aussi où elle veut aller et que la cohabitation peut être le meilleur moyen de conjurer la guerre.

20 janvier 2019

La Cour Constitutionnelle déboute Fayulu et consacre Félix Tshisekedi

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A Kinshasa, la Cour constitutionnelle n’a tenu aucun compte de la recommandation émanant de plusieurs pays membres de l’Union africaine, qui avaient souhaité que soit « suspendue » la proclamation des résultats finaux des élections du 30 décembre dernier : dans la nuit de samedi à dimanche, les cinq juges ont prononcé leur sentence. Rejetant le recours déposé par Martin Fayulu, ils ont confirmé que Félix Tshisekedi, ayant obtenu 38% des voix, était bien le vainqueur du scrutin et qu’il serait donc le futur président de la République démocratique du Congo. A 55 ans, le fils du vieil opposant Etienne Tshisekedi, décédé voici deux ans, réalise le rêve de son père : il mettra en œuvre la première transmission pacifique du pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1960. Mais, au vu des résultats des élections législatives, il devra cohabiter avec un Premier Ministre issu de l’actuelle majorité pro-Kabila. La Cour a récusé le recours introduit par Martin Fayulu, considéré comme « recevable mais non fondé faute de preuves » et estimé qu’il était « absurde » d’exiger le recomptage des voix.
Estimant avoir remporté l’élection présidentielle avec 60% des suffrages, Martin Fayulu avait fondé sa demande sur les estimations des témoins de la CENCO, l’épiscopat congolais qui, très tôt, avait déclaré que les résultats provisoires présentés par la CENI ne correspondaient pas à la « vérité des urnes ».
A la veille de la décision de la Cour Suprême, le président du Rwanda Paul Kagame, qui préside jusque fin janvier l’Union africaine, avait réuni à Addis Abeba plusieurs chefs d’Etat africains afin d’examiner la crise congolaise et il avait été prévu qu’une délégation de l’UA se rendrait à Kinshasa lundi. Cette initiative a été victime de deux torpilles : la première est venue de secrétaire général de l’ONU Antonio Gutierrez qui a rappelé que la rencontre d’Adis Abeba n’était pas un sommet de l’Union africaine en tant que telle, mais seulement une réunion de quelques pays invités par le président en exercice et il a émis le vœu que le processus électoral en RDC s’achève sans violences et dans le respect de la volonté de la population. La deuxième torpille est venue des Congolais eux-mêmes : au lieu de suspendre son verdict dans l’attente d’une médiation africaine non sollicitée, la Cour constitutionnelle s’est empressée de se prononcer dans les délais prévus. La perspective de voir le président Kagame se présenter à Kinshasa en tant que médiateur en compagnie du président sud africain Cyril Ramaphosa avait d’ailleurs suscité un tollé au sein de la classe politique congolaise et le bureau de l’UDPS avait rappelé que la RDC « restait un Etat souverain » et souligné la compétence exclusive de la Cour Constitutionnelle.
L’ UDPS avait même soupçonné, derrière cette initiative de certains Etats membres de l’Union africaine, « l’œuvre de certains lobbys miniers qui cherchent à pérenniser le pillage des ressources du pays. » Alors que l’Union africaine annulait une visite qui n’avait plus lieu d’être, plusieurs chefs d’Etat de la région (dont le président du Burundi) ont commencé à adresser leurs félicitations au vainqueur tandis que la Communauté de développement de l’Afrique australe, une fois de plus, demandait le « respect » de la souveraineté de la RDC. DE son côté, Martin Fayulu, contestant le verdict de la Cour, a appelé la population à manifester pacifiquement et, dénonçant le « putsch électoral », il s’est autoproclamé président élu de la RDC.
L’appel de l’opposant vaincu a cependant fait long feu : la journée de de dimanche s’est déroulée dans le calme à travers le pays, les citoyens préférant se rendre dans leurs lieux de culte respectifs. Internet ayant été rétabli, plusieurs de nos interlocuteurs, désormais joignables, nous ont expliqué que l’élection présidentielle s’était surtout traduite par un « vote sanction » visant le président Kabila et donc son dauphin Shadary Ramazani qui avait, maladroitement, fait campagne sur le thème de la « continuité ». Ayant obtenu satisfaction sur le principe de l’alternance et de l’accession d’un opposant à la présidence, les Congolais auraient ainsi accepté l’élection de Félix Tshisekedi, sans se mobiliser davantage pour Martin Fayulu. Ce dernier s’était longtemps opposé aux élections et à la machine à voter, sans toutefois être soutenu par un parti politique bien implanté. Appuyé par ses sponsors étrangers, il avait surtout symbolisé la radicalité de l’opposition au système Kabila.

20 janvier 2019

L’Union africaine jette un pavé dans le marigot congolais

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L’Union africaine, convoquée en mini sommet par son président en exercice Paul Kagame, a jeté un fameux pavé dans le marigot congolais : les chefs d’Etat et de gouvernement, parmi lesquels les voisins immédiats du Congo, Rwanda, Angola, Zambie, Tchad, Congo Brazzaville, Zambie et les alliés d’Afrique australe ont exprimé leurs « sérieux doutes » à propos des résultats provisoires proclamés par la Commission électorale indépendante (CENI), qui avait accordé la victoire à Felix Tshisekedi et non à Martin Fayulu. Rappelons que des « fuites » émanant de la Conférence épiscopale et de la CENI elle-même avaient désigné ce dernier comme le véritable vainqueur des élections du 30 décembre.
L’Union africaine va beaucoup plus loin que la recommandation d’un recomptage des voix, elle suggère de suspendre la proclamation du vainqueur par la Cour Constitutionnelle congolaise ! Celle-ci est la seule instance congolaise habilitée à trancher définitivement et son verdict était attendu pour vendredi ou samedi. La Cour attendra-t-elle la visite à Kinshasa d’une délégation de l’Union africaine ? Plusieurs chefs d’Etat, dont le président rwandais Paul Kagame, le Namibien Jage Geingob, le Zambien Edgar Lungu et le Sud Africain Cyril Ramaphosa doivent se rendre à Kinshasa lundi, ainsi que le président de la Commission politique de l’UA, le Tchadien Moussa Faki.
D’après une première réaction du ministre congolais de l’Information Lambert Mende, « il n’appartient pas à l’Union africaine de dire à la Cour constitutionnelle ce qu’elle doit faire, ni même au gouvernement congolais, elle ne peut interférer dans une procédure légale ».
Alors qu’en l’absence d’observateurs électoraux européens, des dizaines d’observateurs venus de plusieurs africains s’étaient déployés pour suivre les élections, d’aucuns avaient spéculé sur leur supposée mansuétude, voire sur la « compréhension » des voisins africains du Congo, dont la plupart n’ont guère de leçons de démocratie à donner à Kinshasa. Ce calcul s’est avéré faux : non seulement les observateurs africains ont rempli leur tâche mais surtout les chefs d’Etat sont allés beaucoup plus loin que le Conseil de Sécurité qui, sous la pression de la Chine et de l’Afrique du Sud, avait choisi la prudence. Quant à l’Union européenne, elle s’est associée à l’Union africaine « pour inviter tous les acteurs congolais à travailler constructivement avec la délégation qui fera le voyage de Kinshasa pour trouver une issue post électorale qui respectera le vote du peuple congolais. »
Quelques heures avant la réunion de l’Union africaine, la communauté de développement d’Afrique australe (SADC) sous l’impulsion de l’Afrique du Sud, s’était montrée plutôt conciliante à l’égard de Kinshasa, félicitant la CENI ainsi que le président Kabila pour l’organisation des élections et « demandant instamment » à la Communauté internationale de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC. » Le rôle joué par la Cour constitutionnelle avait également été reconnu, la communauté internationale étant invitée à respecter tant la Constitution que les processus politiques et juridiques nationaux.
Quelques heures plus tard, ces propos positifs étaient balayés par la position beaucoup plus dure de l’Union africaine qui, au Congo, a suscité une double levée de boucliers : celle du porte parole du gouvernement mais aussi celle du directeur de cabinet de Félix Tshisekedi Peter Kazadi, qui a souligné que cette position de l’Union africaine n’avait aucune valeur juridique.
Bon nombre de Congolais, dont les sympathisants de l’UDPS, estiment que l’Union africaine a été influencée par le président rwandais Kagame, dont la présidence se termine fin janvier. Si cette hypothèse devait se confirmer, elle pourrait susciter la création d’une sorte de « front commun » anti rwandais, beaucoup de Congolais rappelant que Paul Kagame a été réélu avec 98% des suffrages et est susceptible de rester au pouvoir jusque 2034. En outre, ils tiennent toujours leur voisin pour responsable de plusieurs guerres, rébellions et autres tentatives de déstabilisation, sans oublier de rappeler le syphonnage des ressources.
Quelles que soient ses motivations réelles, l’Union africaine a déstabilisé le Congo et plusieurs hypothèses sont désormais offertes à la Cour constitutionnelle : soit passer outre et proclamer le vainqueur convenu, Félix Tshisekedi, qui pourraît prêter serment le 22 janvier, soit retarder la promulgation du vainqueur, soit annuler l’ensemble des élections, ramenant ainsi aux affaires un Joseph Kabila dont la population fêtait déjà le départ.
Reste aussi la possibilité de se sortir du guépier sans perdre la face, en décrétant que le vainqueur des élections présidentielles ne sera proclamé qu’à l’issue du vote des 1,5 millions d’ électeurs de Beni, Butembo et Yumbu qui avaient été écartés du scrutin jusqu’en mars prochain, à cause de violences ethniques et de l’épidémie d’Ebola….

http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/

Posté le 21/01/2019 par rwandaises.com