François Mitterrand en 1988 (photo Rob Croes / Anefo)

La révélation de la lettre envoyée par 23 anciens ministres ou collaborateurs de François Mitterrand à Olivier Faure, enjoignant le premier secrétaire du Parti Socialiste à dénoncer les propos sur la complicité de la France dans le génocide contre les Batutsi du Rwanda de Raphaël Glucksmann [1], tête de liste PS-Place Publique aux élections européennes, est révélatrice du déni sur le sujet, 25 ans après.
Selon le Figaro [2], Hubert Védrine en est à sa deuxième missive. Rien d’étonnant : depuis des mois, le président de l’Institut François Mitterrand défend dans les médias l’action de la France au Rwanda avant, pendant et après le génocide alors que les faits sont accablants. En tant qu’ancien secrétaire général de l’Elysée, il a été informé en continu du soutien français au régime rwandais, y compris quand les extrémistes hutus ont commencé à préparer puis exécuter le génocide des Tutsis (au point de confirmer en avril 2014 devant la commission défense de l’Assemblée nationale que la France avait poursuivi les livraisons d’armes aux Forces Armées Rwandaises, donc aux génocidaires, après le début du génocide [3]).
Ces anciens ministres se scandalisent des accusations de « complicité de génocide » [4]. Pourtant, aucun ne peut ignorer le rôle central de François Mitterrand dans le soutien jusqu’au boutiste au gouvernement intérimaire rwandais (GIR) qu’il qualifia pourtant de « bande d’assassins » à la mi-juin 1994. Ils doivent également savoir que c’est l’Elysée qui décida lors d’une réunion à Matignon le 15 juillet 1994 avec le Premier ministre de cohabitation Edouard Balladur de ne pas arrêter les membres du GIR réfugiés dans la « Zone Humanitaire Sure » (ZHS), mise en place par les militaires de l’opération Turquoise au Sud-Est du Rwanda, qui leur a permis de se réfugier et se réarmer au Zaïre [5].
Mais cette réaction collective au sein du Parti socialiste n’est pas une surprise, tant certains des éléphants de ce parti s’illustrent, parfois depuis 1994, en empêchant tout questionnement sur le sujet : ce fut déjà le cas au sein de la mission d’information parlementaire de 1998, puis face aux interrogations émanant du Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS), dans le verrouillage renouvelé de l’accès aux archives de l’Elysée [6] ou plus récemment dans la censure du débat interne au PS demandé par une des sections parisiennes. Cette énième levée de boucliers montre que des personnalités qui ont eu des rôles clé à l’époque ou dans le PS les années suivantes sont encore capables de se coaliser, devenant consciemment ou non des alliés objectifs des négationnistes du génocide des Tutsis du Rwanda, qui en contestent le caractère planifié et organisé.
La véhémence avec laquelle ces 23 anciens ministres demandent à Olivier Faure de désavouer leur tête de liste et la convocation de « l’honneur de la France » comme ultime argument nous rappellent qu’au contraire, c’est la reconnaissance du soutien aux extrémistes Bahutu et la possibilité que la justice enquête sur le rôle des responsables encore en vie qui feraient honneur à notre pays. L’association Survie ne manquera pas de le rappeler à nouveau dans les semaines à venir, notamment à l’occasion de l’anniversaire du déclenchement de l’opération Turquoise et des commémorations des « 3 jours de trop à Bisesero », où l’armée française et le pouvoir politique de l’époque laissèrent des centaines de Tutsis se faire massacrer [7].

[1] Raphaël Glucksmann connaît le sujet, puisqu’il a co-réalisé en 2004 avec David Hazan et Pierre Mezerette le documentaire « Tuez-les tous ! (Rwanda : Histoire d’un génocide « sans importance ») ».

[2] « Rwanda : une vingtaine d’ex-ministres de Mitterrand s’en prennent à Glucksmann« , Le Figaro, 15 avril 2019

[3] Voir ici »> l’extrait vidéo de cet « aveu » d’Hubert Védrine devant la commission Défense de l’Assemblée

[4] « Un accusé est complice de génocide s’il a sciemment et volontairement aidé ou assisté ou provoqué une ou d’autres personnes à commettre le génocide, sachant que cette ou ces personnes commettaient le génocide, même si l’accusé n’avait pas lui-même l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie le groupe national, ethnique, racial et religieux, visé comme tel. » Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), Chambre de première instance, 7 juin 2001

[5] Voir les 25 documents dans le rapport « Déni et non-dits : 25 ans de mensonges et silences complices sur la France et le génocide des Tutsis du Rwanda », association Survie, avril 2019

[6] Voir « Le chercheur François Graner et l’association Survie apportent à la gardienne des archives Mitterrand la clé du « deuxième verrou »] », communiqué du 13 décembre 2017

[7] Voir la tribune collective d’une quarantaine de juristes, historiens, journalistes et acteurs associatifs : « Bisesero : pour ne pas être soupçonnée de céder à la raison d’État, la justice française doit se ressaisir », publiée dans Mediapart, La Croix et l’Humanité, 18 février 2019

Par survie.org

Posté le 20/05/2019 par rwandaises.com