Saura-t-on un jour la vérité sur l’assassinat de Thomas Sankara, le 15 octobre 1987 ? Par Rémi Carayol 





Depuis la chute de M. Blaise Compaoré, en octobre 2014, la chape de plomb qui pesait sur cet événement douloureux de l’histoire du pays a été levée. Petit à petit, les témoins, qui craignaient pour leur vie, ont accepté de parler, à l’image de M. Alouna Traoré (1), seul survivant de la tuerie au cours de laquelle Sankara et douze de ses collaborateurs furent criblés de balles.

En 2015, le gouvernement de transition a autorisé la justice à se saisir du dossier. Le juge du tribunal militaire chargé de l’instruction, M. François Yaméogo, a inculpé dix-sept personnes, dont M. Compaoré et son chef d’état-major particulier, M. Gilbert Diendéré. Le procès, très attendu au Burkina, pourrait se tenir en 2018.

Si l’on connaît les noms des six membres du commando qui ont agi ce jour-là, le doute subsiste quant à l’identité des donneurs d’ordres. Les hypothèses, nombreuses et souvent contradictoires, vont de la simple bavure au cours d’une arrestation qui aurait mal tournée à un complot international téléguidé de Paris, d’Abidjan ou encore de Tripoli. Le scénario du complot, soutenu par les proches de Sankara, est au cœur de l’enquête judiciaire. En octobre 2016, le juge a transmis à la France une demande de commission rogatoire dans le but de lever le secret-défense de certaines archives françaises. Après des mois de silence, le président français Emmanuel Macron a fini par promettre, à Ouagadougou le 28 novembre, que tous les documents français seraient « déclassifiés ».

Thomas Sankara, le révolutionnaire au béret rouge et au parler franc, s’était fait de nombreux ennemis depuis sa prise de pouvoir en août 1983 — tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. « Par ses discours, souvent virulents à l’encontre de l’impérialisme et de ses valets sur le continent, mais aussi par ses actes, il dérangeait beaucoup de monde », se souvient un de ses anciens collaborateurs, M. Fidèle Kientega. En dénonçant la corruption des élites africaines, en pourfendant le néocolonialisme ou en s’attaquant à la dette, il avait séduit la jeunesse, notamment celle des États voisins dirigés par des figures de la Françafrique (Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, Gnassingbé Eyadéma au Togo). Surtout, en mettant en pratique ses idées, en refusant tout privilège et en démontrant que son pays, pourtant l’un des plus pauvres du monde, était en mesure de prendre en charge son propre développement et de dire « non » aux bailleurs de fonds, quitte à déranger les habitudes de ses propres partisans, il était la preuve vivante que l’on pouvait diriger autrement un pays africain.

Trente ans après, Sankara représente plus que jamais un modèle pour la jeunesse. Ses discours sur l’enjeu écologique, la place des femmes, le scandale de la dette ou encore la nécessité de venir en aide aux plus pauvres sont devenus des classiques dans les milieux militants (2). Au Burkina Faso, où son souvenir a joué un rôle important lors de l’insurrection de 2014, mais aussi au Sénégal, au Togo ou au Ghana, il figure désormais au panthéon des grands leaders africains, aux côtés de Nelson Mandela, Patrice Lumumba et Kwame Nkrumah. Procès ou pas, cette bataille-là est déjà gagnée.

Posté le 23/06/2019 par rwandaises.com