Le « miracle rwandais », 25 ans après le génocide contre les Batutsi, fait de Paul Kagame un champion du développement en Afrique. À l’échelle internationale, tous reconnaissent qu’il a apporté la stabilité et la croissance économique à un pays ravagé par une tragédie il y a deux décennies. Tous les classements qui se succèdent dans les domaines socio-économiques, mais également toutes les innovations technologiques qui ont cours dans ce pays, attestent de la qualité de leadership de l’ancien chef de guerre. Exemple considéré à l’époque comme farfelu, mais qui montre son importance actuellement par rapport à un problème devenu pesant dans le monde entier : cela fait 15 ans que le Rwanda a interdit les sacs plastiques. Du fait des progrès que les Rwandais eux-mêmes admettent, Paul Kagame rencontre peu d’opposition visible dans son pays. Il est vrai que la façon de gérer la liberté de la presse et les libertés démocratiques (du point de vue occidental) favorisent cette situation. En 2019, le Rwanda est classé non libre par Freedom House.

En effet, tous les classements positifs sur le Rwanda excluent ceux relatifs à la démocratie et aux droits de l’homme. Mais sans doute en compensation des progrès économiques et de la stabilité apportée dans cette région sensible des Grands Lacs, les « grandes gueules » internationales, souvent promptes à donner des leçons dans ce domaine, se taisent prudemment sur le cas rwandais. Sans doute aussi chacun a tiré les leçons des cas syriens, irakiens, libyens où les tentatives d’exportation de la démocratie par la voie des armes se sont révélées être un échec.

Paul Kagame a donc gagné ses galons incontestés de parrain au niveau des chefs d’État africains, d’une part par sa longévité (au pouvoir depuis 19 ans), et d’autre part du fait de sa réussite pour faire du Rwanda un pays-phare sur le Continent Africain. Ce statut fait donc rêver ses pairs, qui s’empressent de le courtiser pour obtenir son adoubement. Andry Rajoelina et son équipe ne sont pas en reste : voyages officiels, perspective d’ouverture de liaison aérienne directe, copié-collé de la journée mensuelle de travail collectif (umuganda au Rwanda, tanamaro à Madagascar) etc.

Dans une dynamique mondiale où la démocratie libérale s’essouffle depuis 13 ans, les chercheurs ont constaté ces dernières années un flux d’autocratisation, ce qui signifie un recul de la démocratisation, du moins du point de vue de la démocratie à l’occidentale. Popularisée par le Premier ministre hongrois Viktor Orbán (suivi par Viktor Jarosław Kaczyński en Pologne), la démocratie illibérale rompt avec la tradition de garantie des libertés individuelles et civiles. Elle a le vent en poupe, favorisée par la montée en puissance de la Chine et de la Russie sur l’échiquier international, alors que du côté américain, Donald Trump ne donne pas vraiment l’exemple d’un démocrate. Mais « par principe, la démocratie illibérale est contre l’État de Droit » (contrepoints.org).

Le sempiternel débat est donc d’actualité : faut-il privilégier la démocratie ou le développement dans les pays pauvres ? [1] Car rappelons-le, malgré tous les progrès incontestables et la communication qui l’accompagne, le Rwanda est encore classé parmi les pays éligibles aux fonds de l’IDA, l’institution du Groupe de la Banque mondiale destiné au pays pauvres.

Jusqu’où Kagame fera-t-il rêver Andry Rajoelina ? Le chef de l’État malgache, dont on connaît le très relatif sens de la démocratie depuis son coup d’État de 2009, s’est donné pour mission de développer Madagascar à marche forcée à travers son programme Initiative pour l’émergence de Madagascar (IEM). Beaucoup le soupçonnent de vouloir faire modifier la Constitution pour faire sauter le verrou constitutionnel de deux mandats, et pouvoir rester au pouvoir le plus longtemps possible. Si son programme IEM donne des résultats palpables sur l’étendue de son premier mandat, sans doute aura-t-il une certaine adhésion à ses appétits autocratiques, ce qui lui permettra de développer sa base de 25% lors de l’élection de 2018 (élu à 55% avec une abstention de 52% au second tour).

Andry Rajoelina sait également que la communauté internationale a appris à mettre de l’eau dans son vin depuis les pitoyables échecs de certaines expériences de démocratisation, et se rend à l’évidence que la stabilité est finalement plus importante que la transparence électorale. Pour sa bonne conscience, il suffira juste d’avoir des élections officielles, qu’elle s’empressera de valider en faisant quelques chichis de forme par la voix des observateurs internationaux. Et ça, on sait faire depuis longtemps à Madagascar.

La notion de dictature éclairée séduit également de plus en plus de Malgaches. Toutefois, dans le contexte de culture politique à Madagascar, cette voie est une pente dangereuse. Comme disait un internaute, dans « dictature éclairée », le second mot tout aussi important que le premier est « éclairée ». N’est donc pas Kagame qui veut.

Rappelons par exemple que Kagame a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Le Rwanda est actuellement placé dans le classement de Transparency International 48ème sur 180 pays avec une note de 56/100. Il est un des quatre pays d’Afrique subsaharienne à faire partie du Top 50 mondial. Ses efforts réels d’assainissement en matière de corruption aident donc à faire passer la pilule dictatoriale aux yeux des communautés nationale et internationale.

Ce n’est certes pas parfait si on compare le Rwanda avec le Danemark (premier au classement 2018), mais on rappellera que Madagascar est 152ème sur 180 pays, avec une note de 25/100. L’expérience de la Transition 2009-2013, et la présence de personnes toujours aussi louches dans l’entourage proche du Président malgache après son retour par les urnes, autorisent des doutes quand à une véritable volonté, et surtout capacité, de s’attaquer à ce phénomène qui pourrit la vie du pays. On sait également que les campagnes électorales ont coûté beaucoup d’argent, et que les soutiens financiers s’attendent à un retour sur investissement. C’est sans doute au moins un des avantages d’une dictature : on n’a pas besoin d’investir beaucoup pour se faire élire, ce qui réduit la redevabilité envers les « sponsors ».

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Posté le 21/06/2019 par rwandaises.com