On est dans la post-Négritude: l’ère de poncifs incantatoires est révolue depuis longtemps.
Il faut des actes, des preuves que le passé colonial raciste est bien passé et que, à diplôme universitaire égal, un africain est plus légitime dans un poste d’africaniste en France!

Elu à la tête de la première chaire pérenne entièrement dédiée au continent au sein de la prestigieuse institution, l’historien et archéologue a prononcé sa leçon inaugurale jeudi.

Par Joan Tilouine Publié le 04 octobre 2019

Les mots d’Ibn Battuta ont résonné entre les murs du Collège de France. Les observations du mythique explorateur marocain sur la capitale de l’empire du Mali, où il a probablement résidé de juin 1352 au début de l’année suivante, ont plongé les auditeurs dans l’atmosphère de la place de la mosquée centrale, à ciel ouvert, où des sujets du puissant sultan prient à leur manière. Il y a ceux qui se tournent vers La Mecque et ceux qui exécutent la danse des masques. La scène réunit fidèles d’Allah et adorateurs des déités traditionnelles ; comme un échantillon de ces mondes africains qui cohabitent dans un même espace, en osmose.

C’est par ce récit et « sous la protection des ancêtres » que l’historien et archéologue François-Xavier Fauvelle, 51 ans, a commencé sa leçon inaugurale, jeudi 3 octobre, peu après 18 heures. Un événement en soi. Pour la première fois, la prestigieuse institution née au XVIe siècle a créé une chaire pérenne entièrement dédiée au continent, baptisée « Histoire et Archéologie des mondes africains ». Un anachronisme bien français auquel n’a pas su échapper ce temple du savoir. « Le temps perdu n’existe pas, mais il n’y a plus de temps à perdre », a déclaré le médiéviste Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, en guise d’introduction. Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’homme qui voulait moderniser l’histoire ancienne de l’Afrique

Dans un amphithéâtre Marguerite-de-Navarre bondé, François-Xavier Fauvelle a prononcé sa leçon magistrale. Son texte, puissant, brise élégamment les clichés sur une Afrique trop souvent caricaturée voire méprisée, au point de se voir amputée de son histoire précoloniale. Pire… d’être effacée du récit du monde par un président de la République française qui avait déclaré sans ambages à Dakar, en juillet 2007, que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».

« Reconnaissance de la méconnaissance »

Comme en écho à ce passé gommé, M. Fauvelle plaide pour « un travail de reconnaissance de la méconnaissance » et répond par une érudition qu’il partage tel un conteur, passeur de savoirs. L’intellectuel, qui veut partager la richesse de la « littérature orale », cite des récits historiques rédigés par des lettrés musulmans sous forme de chroniques pour le sultan de Zanzibar au XVIe siècle, à Tombouctou (Mali) puis à Kano (Nigeria) le siècle suivant.

« S’il n’est jamais superflu de rappeler que les sociétés africaines sont faites de la même étoffe historique que toutes les sociétés, c’est parce que l’Afrique, bien que toujours déjà là, a vu sa coprésence au monde depuis longtemps méconnue. » Cette histoire de l’Afrique, l’Occident et ses puissances l’ont longtemps délibérément évitée pour mieux la piller, l’exploiter, réduire en esclavage ses habitants. « L’expérience de la traite par les esclaves africains, transportés d’un continent à l’autre, réduits à une condition de marchandises, victimes et instruments de la globalisation du monde, constitue à la fois le point central et aveugle de la modernité », souligne M. Fauvelle, pour qui « ce processus de déshumanisation des ancêtres » constitue la pierre angulaire du déni d’existence. Article réservé à nos abonnés Lire aussi Au Collège de France, la querelle de clochers des africanistes

De quoi alimenter « une peur raciale qui actionne les théories providentialistes de l’histoire ». Une manière d’éclairer par une analyse savante du passé les dérives actuelles et les discours haineux confortés par certains polémistes et politiciens. De l’esclavage à la colonisation, des empires médiévaux aux indépendances parfois confisquées par un clan ou un parti-Etat, cette histoire des mondes africains a longtemps été malmenée par « une violence qui pénètre dans la forme même du récit ».

Un public de « mâles blancs et âgés »

Jeudi au Collège de France, face à un auditoire composé principalement d’intellectuels, de chercheurs africanistes, de l’ancien président François Hollande et d’ex-ministres, rares sont les Africains. Il y a certes l’un des diplomates les plus respectés de l’Union africaine qui s’est discrètement glissé dans le public. Un professeur dans une université américaine s’étonne de constater cette majorité de « mâles blancs et âgés », inconcevable dans le milieu universitaire anglo-saxon, où enseignent certains des plus grands intellectuels du continent.

François-Xavier Fauvelle s’est élevé bien au-delà des considérations sur « le temps perdu ». Comme pour mieux faire avancer une discipline trop longtemps polluée par le poids colonial, le tiers-mondisme et les autres instrumentations politiques paternalistes ; voire par un afrocentrisme dont il a déconstruit les ressorts lors de ses travaux précédents. Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Nos sociétés contemporaines souffrent d’un déni de l’historicité des sociétés africaines »

Jeudi, le nouvel élu au Collège de France a présenté la place cruciale jouée par les Afriques dans l’histoire du monde et de la mondialisation. En citant les récits d’Ibn Battuta, les productions d’érudits du Moyen-Age et les discours de Nelson Mandela, il a convoqué les « ancêtres pour leur dire que le travail de l’historien est de les inviter dans le présent ». Avec Fauvelle, les Afriques entrent en majesté au Collège de France.

Joan Tilouine

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