« Nous avons confié à d’autres la responsabilité de notre futur, non pas par la force, mais par défaut » (Paul KAGAME, Discours Assemblée Générale de l’ONU, 25 septembre 2018)

L’indĂ©pendance politique et l’indĂ©pendance Ă©conomique sont indissociables. Mais, l’argent Ă©tant le nerf de la guerre, prioritĂ© est donnĂ©e Ă  l’autonomie Ă©conomique. PrioritĂ© et non primautĂ© : la maĂ®trise de son destin est la condition sine qua non d’un dĂ©veloppement durable, qui ne peut ĂŞtre qu’endogène. C’est ainsi que le « miracle rwandais » est d’abord politique. Mais il a  fallu se donner les moyens  financiers de son indĂ©pendance Ă©conomique : promouvoir l’épargne intĂ©rieure Ă  long terme en crĂ©ant ou en accompagnant des fonds d’investissement nationaux, publics ou privĂ©s – une Ĺ“uvre de longue haleine – et recourir aux partenariats public-privĂ©. 

La « Vision 2020 » a Ă©tĂ© le rĂ©sultat d’un long processus de consultations nationales qui ont Ă©tĂ© initiĂ©es entre 1997 et 2000 : elle cherche Ă  transformer le Rwanda en un pays Ă  revenus intermĂ©diaires pour l’annĂ©e 2020. Ce qui exigera d’avoir atteint, sur le plan Ă©conomique, un  RNB/hab. d’environ 900 US$ (contre 220 US$ en 2000) et un taux de croissance annuel d’au moins 7% (contre 4,32% en 1999) ; un taux de pauvretĂ© de 30 % (contre 60,4 % en 2000) et une espĂ©rance de vie moyenne de 55 ans (contre 49 ans en 2000), sur le plan social. Et pour cela, il faudra avoir transformĂ© l’économie, « [basĂ©e] sur l’agriculture de subsistance, en une sociĂ©tĂ© basĂ©e sur la connaissance, avec des niveaux Ă©levĂ©s d’épargne et d’investissements privĂ©s, rĂ©duisant ainsi la forte dĂ©pendance du pays sur l’aide extĂ©rieure » (Vision 2020, Introduction).

Se libĂ©rer de  la forte dĂ©pendance extĂ©rieure pour retrouver la maĂ®trise de son destin, ce n’est pas une simple question de dignitĂ© : c’est la condition sine qua non Ă  tout dĂ©veloppement durable. Aussi, l’émergence d’un secteur privĂ© viable, « qui puisse prendre la relève en tant que principal moteur de croissance de l’économie », est-elle le premier des quatre piliers de ce projet commun et Ă  long terme : une classe d’entrepreneurs locaux est une composante essentielle du dĂ©veloppement. Et cela va de pair avec la promotion de la culture d’épargne, de l’épargne nationale Ă  long terme : prioritĂ© est, donc, donnĂ©e Ă  l’autonomie financière. Et, comme celle-ci est une Ĺ“uvre de longue haleine, il est nĂ©cessaire d’associer public et privĂ© dans des investissements gagnant-gagnant et, en mĂŞme temps, maĂ®trisĂ©s par la puissance publique : les partenariats public-privĂ© (PPP) sont au cĹ“ur du dĂ©veloppement des grandes infrastructures.

L’autonomie financière, une priorité : les fonds d’investissements nationaux

C’est la mise en place de ces solutions endogènes, couplée au processus de régionalisation, qui explique les succès socio-économiques (Banque Mondiale, Rwanda – Vue d’ensemble, 6 octobre 2015). Parmi les solutions endogènes, il en est une qui concerne l’autonomie financière : c’est le « Fonds de Développement Agaciro » (FDA) et, en anglais, “Agaciro Development Fund” (AGDF). Dans le même esprit de « Kwigira » (autonomie), un autre fonds public – mais dont le fonctionnement est différent – a été créé : le Fonds « RNIT Iterambere », un « produit » du Rwanda National Investment Trust Ltd (RNIT Ltd). Mais le plus ancien et le plus important des fonds nationaux est privé. Il s’agit de Crystal Ventures, un « investisseur atypique rwandais » (Igihe, janvier 2013).

Le Fonds de DĂ©veloppement Agaciro

Initié en décembre 2011 lors du 9ème Umushyikirano (Conseil du dialogue national), le fonds a été officiellement lancé par le président Paul Kagame en août 2012. Objectif : « Être un fonds souverain suffisamment doté pour améliorer le niveau d’autonomie financière du Rwanda en tant que nation [en mobilisant et en catalysant] des ressources pour financer le fonds grâce à la collecte de fonds par les Rwandais » (AGACIRO, site officiel). Il est géré par un conseil d’administration issu de différents secteurs de l’économie et approuvé par le Conseil des ministres.

Le nom « Agaciro » (du verbe “gucira” au sens de “donner une valeur”) traduit l’idée de dignité. Se libérer de l’ingérence extérieure pour retrouver la maîtrise de son destin, c’est (aussi) une question de dignité. Cela fut le cas en 2010 : en raison du soutien présumé du Rwanda à la rébellion armée du mouvement du 23 mars (M23) en RDC, en moins d’un mois, cinq pays occidentaux (États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, Allemagne, Pays-Bas et Suède) avaient suspendu une bonne partie de leur aide au développement pour le Rwanda.

La spécificité du fonds vient souligner, aussi, sa dimension patriotique : contrairement à d’autres fonds souverains, qui reposent sur les excédents budgétaires, les revenus pétroliers et miniers, AGDF repose sur des contributions volontaires des Rwandais de la diaspora, des fonctionnaires, du secteur privé et des institutions étatiques ainsi que des amis du Rwanda.

Six après son lancement, en aoĂ»t 2012, AGDF dĂ©tient actuellement un portefeuille de 52,3 milliards FRW (contre 20 milliards en 2013). Et, sur ce montant global, 41,8 milliards FRW proviennent des contributions, tandis que 10,5 milliards, soit 1/5ème, sont issus des revenus d’investissement et de placements Ă  long terme (Rwanda National Agency, 5 novembre 2018). Qu’en est-il du Fonds ITERAMBERE, qui  n’est pas un fonds souverain et dont la cible est bien plus large ?

Le Fonds RNIT ITERAMBERE : l’épargne n’est pas la particularité des riches

Lancé en juillet 2016 par le Premier ministre de l’époque, Anastase Murekezi, le Fonds Iterambere (« Développement », en français), est un « produit » du Rwanda National Investment Trust Ltd (RNIT Ltd), constitué en société de gestion des investissements au mois d’août 2013, juste une année après le lancement de l’AGDF. Mais, contrairement à ce dernier, son capital initial a été entièrement payé par le gouvernement du Rwanda représenté par le ministère des Finances et de la planification économique. Sa mission principale est de « promouvoir la culture de l’épargne chez les ressortissants rwandais ; [de] faciliter une appropriation plus large des entreprises du Rwanda par la population rwandaise ; [d’]] informer le peuple rwandais des perspectives, des opportunités et des risques de la participation aux marchés financiers » (site officiel).

Le Fonds ITERAMBERE est ouvert, aussi, aux investisseurs institutionnels nationaux ou appartenant à la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE). Mais l’épargne n’est pas la particularité des riches : la souscription minimum a été fixée à 2 000 FRW. Il s’agit de l’option dite de croissance. Pour l’option dite de revenu, elle a été fixée à 100 000 FRW, sans limite maximale.

Le fonds n’a que deux ans : la culture de l’épargne Ă  long terme, qui n’est pas dans la tradition rwandaise, mais aussi la gestion des fonds publics, sont encore Ă  renforcer. Mais les rĂ©sultats sont encourageants : en  janvier 2018, le fonds s’élevait Ă  1,77 milliards FRW avec un rendement absolu de 13,8 % depuis la crĂ©ation. Il a recours aux mĂŞmes procĂ©dĂ©s d’investissement  que l’AGDF pour fructifier les fonds collectĂ©s, en effectuant des dĂ©pĂ´ts Ă  long terme dans  les obligations du TrĂ©sor, dans des banques commerciales locales ou dans les actions de sociĂ©tĂ©s cotĂ©es Ă  la Rwanda Stock Exchange (RSE), au premier rang desquelles figure Crystal Ventures.

Crystal Ventures : une solution de recours qui est devenue pérenne

À situation exceptionnelle, solutions exceptionnelles. Le fonds a été créé, en 1995, par des membres du Front patriotique rwandais (FPR) issus de la diaspora, sous l’appellation Tristar Investments avant d’être rebaptisée Crystal Ventures en 2009. Cela est lié au contexte de sa création. En effet, au sortir du Génocide, les caisses de l’Etat étaient vides, l’économie exsangue et rares ceux qui voulaient investir. Le groupe a donc été fondé pour relancer l’entreprise privée fortement délabrée. Et, par la suite, il a su profiter des opportunités de croissance dans un environnement vierge. Son objectif (actuel) est d’« être l’un des principaux groupes d’investissement mondiaux » (site officiel). Et, depuis juin 2017, le singapoorien Kok Foong Lee en est le PDG.

Aujourd’hui, il s’est diversifiĂ© dans son financement et il est le deuxième employeur du pays (plus de 100 000 emplois directs et indirects), derrière l’État, grâce Ă  ses participations dans divers secteurs-clĂ© de l’économie. L’on reconnaĂ®t l’arbre Ă  ses fruits : avec un capital estimĂ© Ă  500 millions de dollars, il constitue un de ces grands fonds d’investissement privĂ©s dont aucun pays ne peut se passer car il en va de son autonomie financière et Ă©conomique. Mais, dans cette quĂŞte de l’autonomie financière, Crystal Ventures et les deux autres fonds nationaux ne peuvent, dans leur Ă©tat actuel, suffire. Pour dynamiser le dĂ©veloppement du secteur privĂ©, l’État a choisi de promouvoir des partenariats public-privĂ© (PPP): leur principal avantage est d’attirer les investissements sans accroĂ®tre l’endettement de l’État. Le Rwanda a promulguĂ© une loi relative aux partenariats public-privĂ© en mai 2016 (loi n° 14/2016), en ligne avec le programme national de dĂ©veloppement Vision 2020.

Les Partenariats Public Privé (PPP)

Selon la loi n° 14/2016 du 2 mai 2016, un  accord de PPP est un contrat Ă©crit conclu entre l’autoritĂ© contractante (une institution publique ayant l’accord de PPP dans ses attributions) et un partenaire privĂ© pour conclure un accord avec l’autoritĂ© contractante (art. 2). Grâce aux PPP, le Rwanda peut davantage dynamiser certains secteurs-clĂ©s (art. 5) portant sur le « dĂ©veloppement des infrastructures, y compris les rĂ©seaux amĂ©liorĂ©s de transport, la distribution de l’énergie et de l’eau ainsi que les rĂ©seaux TIC », en gros, sur le troisième des quatre piliers de la Vision 2020.

Avant la loi prĂ©citĂ©e du 2 mai 2016, en vertu de la loi règlementant les marchĂ©s publics, six PPP avaient Ă©tĂ© signĂ©s, entre 2003 et 2014, pour un montant total de 471,68 millions dollars US. Un seul, Rwanda Mountain Tea Giciye SHPP, conclu en 2012, concerne l’agriculture ; quatre concernent le secteur de l’énergie, le plus important Ă©tant Kivu Watt (142 millions de dollars en 2011), dĂ©veloppĂ© par KivuWatt Limited, une filiale de la britannique ContourGlobal. Mais le plus important relève des rĂ©seaux TIC. En juin 2013, le gouvernement rwandais – pour 49 % –  et KT Corporation (anciennement Korea Telecom) – pour 51 % – ont conclu un partenariat public-privĂ©, KT Rwanda Networks (200 millions de dollars), afin de dĂ©ployer et d’exploiter un rĂ©seau Ă  large bande haut dĂ©bit complet et d’accĂ©lĂ©rer le dĂ©veloppement de la capacitĂ© de services en ligne du pays.

De septembre 2016 à mars 2018, quatre PPP ont été conclus pour un total de 820 millions dollars US. Le plus important, signé en septembre 2016, concerne les infrastructures de transport. Il s’agit de l’aéroport de Bugesera, en cours de construction depuis août 2017 : à terme, 818 millions de dollars, dont 398,68 millions déjà engagés. Le gouvernement rwandais – pour 25 % – a signé un accord avec la société portugaise Mota-Engil – pour 75 % – afin de financer, construire et exploiter l’aéroport sous concession pendant 25 ans, cette dernière pouvant être renouvelée pour 15 ans. La première phase de construction devrait être achevée en 2019. En octobre 2016, un autre PPP, qui a fait parler de lui : celui avec la société américaine Zipline, avec laquelle le gouvernement rwandais sous-traite la livraison des poches de sang par des drones (15) nommés “Zips” et pour un coût qui serait plus ou moins équivalent à celui d’une livraison par la route.

Sur les quatre contrats signĂ©s en 2017, deux appartiennent au secteur de l’énergie (HQ Peat-fired Power plant pour 345 millions de dollars et Musanze Hydopower Plant pour 17 millions US$) ;  un PPP, Kigali Bulk Water Supply (60 millions de dollars),  qui porte sur le secteur-clĂ© de la distribution d’eau : finalisĂ© en mars 2017, il prĂ©voit la vente d’eau traitĂ©e (40 000 m3/jour, soit près du tiers des besoins en eau potable de la ville de Kigali) par Kigali Water Limited Ă  la Water and Sanitation Corporation (WASAC) pour une durĂ©e de 25 ans Ă  partir de la mise en service des installations.

Mais le plus important PPP, en voie de finalisation, sera celui du futur chemin de fer Isaka-Kigali (521 km) avec des locomotives électriques (à 160 km, pour les trains passagers, et 120 pour les trains marchandises), dont le début des travaux est prévu pour décembre prochain. Le coût prévu s’élève à 2,5 milliards de dollars, sur lesquels la Tanzanie doit payer 1,3 milliards, grâce à un emprunt, tandis que le Rwanda contribuera au financement à hauteur de 1,2 milliards de dollars grâce à un partenariat public-privé.

En 2017, Rwanda Development Board (RDB) a enregistrĂ© des investissements d’une valeur de 1,675 milliard USD au Rwanda. En seulement dix ans (2007-2017), les investissements enregistrĂ©s au Rwanda ont (plus que) doublĂ© : ils n’étaient que de 800 millions de dollars en 2007. Le Rwanda est donc de plus en plus attractif pour les affaires. Mais, Ă  deux ans de son  terme, l’objectif principal de la Vision 2020 sera-t-il atteint Ă  la date prĂ©vue ?

Vision 2020 : bilan 2000-2017

Voici les rĂ©sultats en chiffres 2017 (en US$, pour les montants) avec, entre parenthèses, les prĂ©visions pour 2020. En dix-sept ans, le RNB/hab. est passĂ© de 225$ Ă  774$ (900$), soit une multiplication par environ 3,5, avec un taux moyen de croissance annuelle supĂ©rieur Ă  7 % (4,3%). Et, comme ce taux  reste le mĂŞme pour les prĂ©visions 2018-2000, Ă  raison de 53$  d’augmentation par an, l’objectif sera atteint et largement. Sur le plan social, l’objectif est dĂ©jĂ  atteint : le taux de pauvretĂ© est tombĂ© de 60,4 % Ă  30 % (30 %) – et mĂŞme 20% pour les nouvelles  prĂ©visions 2020 – et l’espĂ©rance moyenne  de vie, elle, est montĂ©e de 49 ans Ă  66,6 ans avec un dĂ©passement de 11,6 points par rapport aux prĂ©visions (55 ans).

S’agissant de la transformation des différents secteurs de l’économie, entre 2005 et 2017, le secteur agricole est passé de 37 % à 31 %, le secteur des services, de 43 à 46 %, et l’industrie, de 13 % à 16 %. Le résultat global de la réduction de la dépendance du pays sur l’aide extérieure est encore plus parlant : l’autonomie budgétaire est passée de 30 % à 84 % tandis que la dette extérieure est tombée de 78,7 à 39,2 %.

Et la Vision 2050, en cours d’élaboration depuis l’Umushyirano (Conseil du dialogue national) 2015, est encore plus ambitieuse.

Les ambitions de la « Vision 2050 »

Pour 2050, le Rwanda vise une Ă©conomie Ă  revenus Ă©levĂ©s moyens (RNB/hab. d’environ 4.035 US$) en 2030, et Ă  revenus Ă©levĂ©s (RNB/hab. d’environ 12.476 US$) en 2050, avec une croissance annuelle supĂ©rieur Ă  9 % et 100 % d’accès aux soins de qualitĂ© ainsi que l’éradication de l’extrĂŞme pauvretĂ©. Et ce, grâce, notamment, Ă  17 % de croissance annuelle de l’industrie locale et des exportations  du “Made in Rwanda” : portĂ© par deux importantes rĂ©formes en cours de l’Union africaine, le pays pourra s’appuyer, bien davantage, sur l’intĂ©gration rĂ©gionale et internationale.

La première porte sur la libertĂ© de circulation des biens : l’accord sur la Zone de libre-Ă©change continentale africaine (ZELC), qui vise Ă  crĂ©er un marchĂ© commun de 1,2 milliard d’habitants, dont le PIB cumulĂ© avoisinerait 2 500 milliards de dollars US. Après plusieurs dĂ©cennies de nĂ©gociations, il a Ă©tĂ© signĂ© par 44 pays en mars dernier et, six mois après son lancement, il a dĂ©jĂ  rĂ©coltĂ© neuf ratifications sur les 22 nĂ©cessaires Ă  son entrĂ©e en vigueur.  

L’autre réforme concerne la liberté de circulation des personnes, déjà en vigueur dans (pratiquement) toutes les organisations régionales. Un passeport de l’Union africaine a été lancé en juillet 2016. Mais le Protocole sur la libre circulation des personnes en Afrique, signé par 27 pays en mars dernier, n’a été ratifié que par le Rwanda. Néanmoins, en plus de ce dernier, des pays (Seychelles, Maurice, Ethiopie, Maroc et Bénin) ont passé la première phase : faciliter le droit d’entrée en réduisant les exigences en matière de visa.

Comme il est dit déjà dans la conclusion de la Vision 2020, « [La Vision 2050] est réaliste si l’on se base sur le fait que d’autres pays ayant eu des conditions initiales défavorables et semblables aux nôtres ont réussi : l’expérience de développement “des Tigres Asiatiques” prouve que ce rêve pourrait devenir une réalité ». Et le bon  bilan de la Vision 2020 aussi.

Par Andre Twahidwa

Posté par rwandaises.com