Entre l’émirat gazier et le Rwanda, notre chroniqueur voit se dessiner un large partenariat « à la croisée de la politique et du business ». Chronique. De Benjamin Augé






Jusqu’alors plutôt timide en matière d’investissements d’ampleur en Afrique, le Qatar vient de frapper un grand coup au Rwanda. La visite de l’émir Tamim ben Hamad Al-Thani, lundi 9 et mardi 10 décembre, couronne des mois de discussions pour annoncer l’un des plus gros projets qataris sur le continent. L’émirat gazier s’est engagé à financer pas moins de 60 % du futur aéroport de Bugesera, estimé à 1,3 milliard de dollars (près de 1,2 milliard d’euros). Situé à 40 km de Kigali, il pourra accueillir jusqu’à 7 millions de voyageurs, accompagnant ainsi le rêve du Rwanda de devenir un grand pays de tourisme. Qatar Airways, qui dessert déjà tous les jours Kigali depuis 2012, a également signé un partenariat avec RwandAir.

Ce contrat de construction préfigure un partenariat beaucoup plus large, à la croisée de la politique et du business. Le Rwanda, dont le président, Paul Kagame, est un grand amateur de football, vient ainsi de devenir l’un des mécènes du Paris-Saint-Germain (PSG), propriété du Qatar depuis 2011. En échange de quelques millions de dollars par an, la mention « Visit Rwanda » apparaîtra sur les panneaux publicitaires du Parc des Princes. Il y a quelques semaines, le Rwanda et le Qatar ont par ailleurs ouvert de part et d’autre des représentations diplomatiques. L’ambassadeur rwandais Francois Nkulikiyimfura, arrivé en septembre à Doha, est un ancien économiste de la Banque africaine de développement (BAD).

Lutte d’influence

L’intensification de ces relations ne passe pas inaperçue. D’autant que la plupart des pays africains ayant ouvert une ambassade au Qatar – presque une trentaine – se sentent, eux, un peu oubliés, en termes d’investissement économique et politique, par le plus grand producteur de gaz liquéfié du monde. C’est qu’avec Paul Kagame, le Qatar semble avoir enfin trouvé son interlocuteur privilégié en Afrique. Le président rwandais fascine à Doha. Son activisme lors de sa présidence de l’Union africaine (UA), en 2018-2019, a impressionné. Par son intermédiaire, l’émirat estime pouvoir gagner en influence en Afrique, où il demeure relativement méconnu, et notamment au sein de l’UA, où Paul Kagame a noué de solides relations avec de nombreux chefs d’Etat.

L’offensive de charme du Qatar peut aussi s’interpréter à l’aune des tensions qui l’opposent aux Emirats arabes unis depuis le blocus mis en place contre lui en juin 2017. Ennemi juré de Doha, Abou Dhabi a signé, depuis déjà quelques années, d’importants contrats avec Kigali. Le principal investissement émirati au Rwanda demeure à ce jour la construction par Dubai Ports World d’une immense base logistique d’un coût de 35 millions de dollars. Inaugurée en octobre, la Kigali Logistics Platform doit être à terme reliée par la route au port tanzanien de Dar es-Salaam. Les Emirats arabes unis ont ouvert leur ambassade à Kigali en 2018 et nommé le très volontaire Hazza Alqahtani à sa tête. Paul Kagame, qui n’a quasiment pas manqué un seul grand prix de Formule 1 d’Abou Dhabi depuis 2011, y a ouvert une représentation diplomatique dès 2009.

Certains parient que les deux meilleurs ennemis du Golfe, Qatar et Emirats, vont continuer à rivaliser d’inventivité pour séduire le dirigeant rwandais. Lequel devrait tâcher d’instrumentaliser intelligemment cette lutte d’influence à son profit.

Benjamin Augé est chercheur associé aux programmes Afrique et Energie de l’Institut français des relations internationales (IFRI).