Je n’aime pas dire du mal. Mais certains y incitent vraiment. Dans une tribune parue dans le quotidien « La Libre Belgique » ce 4 mars, l’ancien ambassadeur de Belgique à Kigali Johan Swinnen a poursuivi, une fois encore, sa sordide entreprise de disculpation des responsables du génocide contre les Batutsi commis au Rwanda en 1994.

Sous couvert d’évoquer la mémoire d’un chanteur rwandais récemment disparu dans des conditions suspectes, Kizito Mihogo qualifié ici de « Mututsi catholique », ce qui est déjà une manière de reprendre à son compte l’assignation identitaire délétère qui a conduit à l’apartheid puis au génocide perpétre au Rwanda , l’ambassadeur Swinnen s’évertue une nouvelle fois à développer l’idée que l’histoire du génocide telle que nous la connaissons serait une histoire officielle, au service du régime politique en place à Kigali aujourd’hui.

Donc que cette histoire serait biaisée, masquant une histoire véritable qui elle serait tue. C’est là faire fi non seulement de la douloureuse mémoire des victimes, mais aussi du travail entrepris depuis deux décennies, dans le chef d’historiens patentés, pour analyser les faits avec rigueur et honnêteté. Obsédé par la dénonciation de Kigali , l’ambassadeur n’a de mots que pour s’en prendre à ceux qui ont mis un terme au génocide contre les Batutsi de 1994.

Il n’a de mots que pour « toutes les victimes », amalgamant de manière perverse les victimes de génocide et celles des assassinats politiques, ce qui n’est évidemment pas la même chose vidant par là-même la notion de génocide de son sens. Il ne trouve en revanche aucun mot, aucun, pour dénoncer les responsables des tueries de 1994 et ceux qui poursuivent leur entreprise de banalisation de celles-ci.

Il y a quatre mois de cela, je me trouvais aux Assises de Bruxelles, au procès de Fabien Neretse, qui fut finalement condamné à vingt-cinq ans de prison pour faits de génocide. L’ambassadeur Swinnen y avait déposé, mandaté par la défense de l’accusé comme supposé « expert », et fait de sa déposition une violente et très malhonnête diatribe pour absoudre le régime meurtrier du président Habyarimana, puis accuser ceux qui aujourd’hui sont au pouvoir à Kigali d’être les véritables bourreaux et d’avoir eu une sorte d’agenda machiavélique, sacrifiant les Batutsi de l’intérieur au bénéfice des Batutsi de l’extérieur.

Son réquisitoire révisionniste, provoquant au demeurant une réaction atterrée de la présidente de la Cour, s’il ne s’était drapé des habits du diplomate, s’il avait été prononcé ailleurs que devant un jury d’assises et s’il avait concerné le génocide des juifs, aurait conduit le docte ambassadeur Swinnen à son tour devant un tribunal, pour répondre de ses injures à l’histoire lesquelles sont, il faut le rappeler, un délit dans notre pays.

Mais comme il s’agit d’un génocide perpétré en Afrique, que cela intéresse peu de monde, et que l’Occident a sur sa conscience de s’en être lavé les mains à l’époque, l’ambassadeur Swinnen pourra continuer à marteler son discours d’inversion des responsabilités. Envers et contre la vérité, il continuera à incarner le pitoyable aveuglement de ceux qui ont mis en place puis soutenu le régime d’apartheid rwandais avant 1994, ont fermé les yeux sur le plan d’extermination des Bat utsi puis la commission de celui-ci et n’ont cessé depuis, malgré l’évidence, de les soustraire à leurs responsabilités devant le tribunal de l’histoire.

Monsieur l’ambassadeur, vous n’êtes pas un quelconque propagandiste ignorant : vous avez été en poste à Kigali durant la période la plus cruciale, entre août 1990 et le 12 avril 1994, lorsque vous avez abandonné le Rwanda à son sort tragique. Vous connaissez les faits, mieux que quiconque peut-être. C’est dire si votre rhétorique indigne est dès lors méprisable, tout simplement méprisable.

Redigé par Professeur Jean-Philippe SCHREIBER Le 10 mars 2020