Chaque semaine, la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG) rappelle certains de faits relatifs à la planification du génocide perpétré contre les Batutsi en 1994. Les faits repris ci-après concernent la période allant du 1er au 7 mars des années 1991-1994.

1. MARS 1991 : ASSASSINAT DE 277 BATUTSI DANS LES PREFECTURES DE GISENYI ET RUHENGERI

La Commission internationale d’enquête conduite par la fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) qui a mené ses investigations au Rwanda en janvier 1993 a découvert plusieurs fosses dans lesquelles avaient été entassés les corps de victimes Batutsi Bagogwe tués par le régime Habyarimana.

Cette commission était composée de 10 experts provenant de différents pays : Jean Carbonare (France) président du groupe ; Philippe Dahinden (Suisse) ; René Degni-Ségui (Côte d’Ivoire) ; Alison Des Forges (États-Unis d’Amérique) ; Éric Gillet (Belgique) ; William Schabas (Canada) ; Halidou Ouedraogo (Burkina Faso) ; André Paradis (Canada) ; Rein Odink (Pays Bas) et Paul Dodinval (Belgique).

Les fouilles effectuées par les enquêteurs ont pu établir un bilan total de 277 personnes tuées pour le seul mois de mars 1991. La Commission a noté que la majorité des victimes était des hommes jeunes et qu’ils étaient morts de fractures multiples du crâne et de la face, dues à des instruments contondants. Ces massacres ont eu lieu dans plusieurs communes de Ruhengeri (Nkuli, Kinigi, Mukingo) et Gisenyi (Gaseke, Giciye, Karago, Mutura, Kanama, Rwerere).

La Commission a établi qu’étaient impliquées dans ces tueries les autorités locales civiles et militaires dont le préfet de Ruhengeri, Charles Nzabagerageza et celui de Gisenyi Come Bizimungu, ainsi que les bourgmestres des communes concernées. Le préfet Nzabagerageza était le cousin du président Habyarimana et avait épousé la cousine de sa femme Agathe Kanziga. La Commission a également relevé l’implication directe d’autres dignitaires du régime dont le ministre des travaux publics Joseph Nzirorera, le colonel Elie Sagatwa, conseiller du président Habyarimana et Protais Zigiranyirazo, beau-frère du président.

Rappelons que les massacres dans cette région avaient commencé en octobre 1990 au lendemain de la guerre de libération déclenchée par le FPR et qu’ils avaient fait plus de 362 victimes en une semaine dans la seule sous-préfecture de Ngororero, selon un rapport secret des services de renseignements rwandais de l’époque.

2. PERPETRATION DES MASSACRES DE BATUTSI AU BUGESERA

La nuit du 4 au 5 mars 1992 fut marquée par des massacres systématiques des Tutsi au Bugesera. Ils étaient commis par les Interahamwe, la garde présidentielle et des militaires du camp de Gako. Ils ont été précédés par la lecture d’un communiqué d’incitation aux tueries radiodiffusé le 3 mars 1992 sur Radio Rwanda par le journaliste Jean Baptiste Bamwanga sous les ordres de Ferdinand Nahimana, alors directeur de l’Office rwandais d’information.

Bamwanga a commenté ce faux document en expliquant qu’il avait été publié par la direction du FPR et qu’il mentionnait les noms des hautes autorités du régime Habyarimana que le FPR prévoyait d’éliminer, en collaboration avec ses complices de l’intérieur. Bamwanga a déclaré que ce document avait été retrouvé à Nyamata chez un commerçant tutsi François Gahima qui était le président local du Parti Liberal (PL). Cette fausse information était en réalité une façon d’incitation directe aux tueries.

Les chiffres publiés par une commission de la préfecture de Kigali, le 5 mai 1992, indiquaient que ces tueries avaient fait les victimes et les dégâts suivants :

Commune Kanzenze :
• personnes massacrées : 62
• maisons d’habitation incendiées : 309
• cuisines incendiées : 573
• bétail disparu : 165 vaches, 268 chèvres et 2 porcs.

Commune Ngenda :
• personnes massacrées : 36
• maisons d’habitation incendiées : 74
• cuisines incendiées : 119
• bétail disparu : 112 vaches, 111 chèvres et 16 porcs.

Commune Gashora :
• personnes massacrées : 84
• maisons d’habitation incendiées : 216
• cuisines incendiées : 288
• bétail disparu : 188 vaches, 325 chèvres et 28 porcs.

Le rapport indiquait un total de 16 239 Batutsi qui avaient quitté leurs domiciles et trouvé refuge dans de nombreux bâtiments administratifs et religieux de Nyamata, Maranyundo, Ruhuha, Musenyi, Karama, Gitagata, Mayange, Rango, Ntarama, Murago, Kigusa et Kayenzi.

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La commission était composéede :
  François Karera, Sous-préfet, président ;
  Dancille Mukarushema, Sous-préfet a la préfecture de Kigali ;
  Djema Gasana, sous-préfet de Sous-préfectureKanazi (Nyamata) ;
  Gratien Mwongereza, vice-président du Tribunal de première instance de Nyamata ;
  Daniel Shumbusho, substitut du procureurauprès du parquet de Nyamata ;
  Dominique Muhawenimana, responsable du service de renseignementsdans la sous-préfecture de Kanazi ;
  Bernard Gatanazi, bourgmestre intérimaire de Kanzenze.

De par sa composition par les seuls membres des agents de l’Etat, dont certains avaient été clairement impliqués dans les massacres, on voit bien qu’elle ne pouvait pas être neutre.

Parmi les hauts responsables des assassinats de Tutsi au Bugesera on peut citer :

  Le ministre de l’Intérieur et du Développement communal Faustin Munyazesa qui a soutenu le plan du massacre car il n’a pas sanctionné les autorités criminelles qui étaient sous sa responsabilité ;
  Le ministre de la Justice, Mathieu Ngirumpatse, qui n’a pas pris les mesures nécessaires pour poursuivre en justice les auteurs des massacres ;
  Le préfet Emmanuel Bagambiki qui a dirigé des réunions qui préparaient les massacres ;

  Le sous-préfet Faustin Sekagina de Kanazi qui secondait le prefet Bagambiki ;

  Le bourgmestre de KanzenzeFidèle Rwambuka, superviseur direct des massacres ;

  Le colonel Pierre-Célestin Rwagafirita, chef d’état-major de la gendarmerie, faute d’avoir déployé des gendarmes pour faire cesser les exactions et sauvegarder la sécurité des biens et des personnes ;
  Le colonel Venant Musonera, commandant en chef du camp militaire de Gako dont des militaires sont lourdement impliqués dans les massacres ;

  Ferdinand Nahimana,directeur de l’ORINFOR ;

  Jean-Baptiste Bamwanga et Jean-Baptiste Nubahumpatse, journalistes de Radio Rwanda qui ont respectivement lu sur Radio Rwanda le communiqué d’incitation directe et publique aux massacres ;

  Dominique Muhawenimana, responsable du service de renseignements dans la sous-préfecture de Kanazi, qui a répandu des mensonges selon lesquels les Tutsi – surtout les leaders du PL à Nyamata, dont Gahima – avaient l’intention d’exterminer les Hutu ;

  Le premier substitut du procureur de Nyamata, Déogratias Ndimubanzi, a été également dénoncé par les associations de défense des droits de l’homme et par la presse privée pour avoirparticipé aux massacres du Bugesera.

3. INTENSIFICATION DES MASSACRES DE TUTSI DANS LA COMMUNE MBOGO, PREFECTURE DE KIGALI RURAL

La commune de Mbogo, actuel District de Rulindo, a connu de sanglants massacres de Batutsi en 1992, mais en février-mars 1993 ils prirent une ampleur généralisée pour tuer systématiquement des familles tutsi bien ciblées, notamment dans le secteur Ruhanya, cellule Bukoro.

Au cours des nuits des 25, 26 et 27 février 1993, la famille du vieillard Gatanazi a été attaquée. Huit personnes ont été brûlées vives dans leur maison. Seulement deux enfants en sont rescapés, Antoine Kabanda et sa sœur Vénantie Gasengayire.

Les victimes furent : Michel Gatanazi, un vieillard de 80 ans, Charlotte Kabanyana, épouse d’Antoine Kabanda, Agnès Gatanazi Kamurenzi, âgée de 74 ans, Tharcisse Nilingiyimana, Félix Niyibizi, âgé de 6 ans, Olive Nyirahene, petite fille de Gatanazi (l’une des quatre enfants de Kabanda), Jacqueline Tuyizere et Béata Uwingabire.

À part la famille de Gatanazi de la commune Mbogo, d’autres Batutsi ont été tués dans la nuit du 1er au 2 mars 1993. Les victimes furent l’épouse de Jean Habimana, Catherine Mukamana ; son enfant Muganajabo, 4 ans ; son nourrisson Ndayambaje, 9 mois ; Nyirabandi, 62 ans ; Uzayisenga, fille de Habimana, née en 1958 ; Donata Musabyimana, sœur de Habimana et Mushatsi, fils d’Habimana, né en 1986. Le seul rescapé de cette famille fut le fils de Habimana, né 1990, mais il avait été grièvement brûlé et blessé.

Après le massacre de la famille Gatanazi, le bourgmestre de la commune de Mbogo, Vincent Twizeyimana, a été informé mais il ne s’est jamais rendu sur le lieu du massacre pour faire inhumer les victimes. Même les voisins ont laissé les corps se décomposer à l’air libre. Le conseiller de secteur et le responsable de la cellule ne se sont pas davantage émus de cette barbarie.

Alertés par les associations de défense des droits de l’homme et les journalistes qui étaient allés enquêter sur ce massacre, les corps ont été inhumés par d’autres Tutsi venus de Shyorongi où ils s’étaient réfugiés.

De hautes autorités originaires de la commune de Mbogo étaient à la tête des planificateurs de cestueries, notamment : le major-députéStanislasKinyoni, membre du MRND, le bourgmestre de Mbogo Vincent Twizeyimana et le sous-préfet Alexis Kanyamibwa qui dirigeait la sous-préfecture de Murambidanslaquelle se trouvait la commune Mbogo.

4. Des intellectuels de Ruhengeri et Byumbainventent un plan de génocidecontre les Bahutu envue de la mobilisation pour l’extermination des Batutsi

Le 4 mars 1993, des intellectuels originaires de Byumbaet Ruhengeri signent un document de mobilisation des Hutu du nord qu’ils intitulent : « Appel de détresse des ressortissants des zones sinistrées de Ruhengeri et de Byumba  ».

Ses auteurs sont : Charles Ndereyehe Ntahontuye, Jean-Bosco Bicamumpaka, Faustin Musekura, Phocas Kayinamura, Christophe Ndangali et Stanislas Sinibagiwe. Le document est aussi signé par le préfet de Ruhengeri, Baliyanga Sylvestre et celui de Byumba, Bizimana Augustin. Le document reproduit le contenu du procès-verbal d’une réunion qui s’est tenue à Kigali le 4 mars 1993 et qui avait rassemblé plusiieurs ressortissants des préfectures de Ruhengeri et Byumba, ainsi que leurs préfets.

Dans ce document, le FPR est totalement diabolisé de tous les maux et un appel est lancé pour l’auto-défense civile, ce qui signifie la mise en place d’ instruments pour tuer ceux qui étaient qualifiés d’ennemis du pays, à savoir les Tutsi indistinctement et les opposants au régime.

Pour pousser la population du nord du pays à appuyer cette haine que diffuse ces intellectuels, ils vont s’appuyer sur des effets négatifs de la guerre, les déplacements des populations, pour mentir que le FPR prépare un génocide contre les Bahutu. Ce mensonge va jouer un role important dans la conscience des Bahutu pour participer à l’extermination des Batutsi, notamment au sein des déplacés de Nyacyonga qui jouerent un role crucial dans le génocidecontre les Batutsi depuisavril 1994.

Voicil’essentiel du message que le procès-verbal révèle  :
« Le FPR veut à tout prix prendre le pouvoir par la voie des armes et annexer purement et simplement le Rwanda à l’Uganda afin de réaliser les rêves machiavéliques de Museveni et d’ériger un empire hamite dans la région interlacustre.

Les Inkotanyi font partie de l’armée ugandaise. C’est l’Uganda qui nous a attaqués. (…) Les Banya-Ruhengeri et les Banya-Byumba regrettent que, depuis le 1er octobre 1990, le gouvernement rwandais n’ait pas dénoncé la responsabilité de l’Uganda dans ce conflit.

Les responsables politiques, administratifs et autres doivent prendre toutes les mesures utiles pour que les Rwandais se rendent compte de la gravité de la situation et qu’ils se sentent entièrement concernés par la défense du pays.

Il est nécessaire de mobiliser la population pour qu’elle assure la défense et la protection civile afin de garantir la souveraineté nationale. (…) Il est en train de se commettre un génocide qui empêche les enfants de Ruhengeri et de Byumba de poursuivre leurs études à cause de la guerre. Ce génocide intellectuel ne saurait perdurer ».

5. UN GROUPE D’INTELLECTUELS RWANDAIS DE BUTARE SOUTIENT L’IDEOLOGIE DU GENOCIDE PRONEE PAR LE REGIME HABYARIMANA} Le 1er mars 1993, un groupe d’intellectuels travaillant à Butare a publié un communiqué de presse qui condamnait les négociations de paix. Ce groupe fondé à la fin de l’année 1992 rassemblait des enseignants de l’Université, étudiants, chercheurs et agents de différents services de la ville de Butare. Ces intellectuels exigeaient que les militaires français soient maintenus au Rwanda pour poursuivre le soutien inconditionnel de la France au régime rwandais. Ils niaient l’évidence que le FPR était composée de Rwandais et assuraient que c’était l’Uganda qui avait attaqué le Rwanda, niant par-là la nationalité rwandaise des membres du FPR. Le 1er mars 1993, ils ont adressé une lettre au président François Mitterrand, dans laquelle ils sollicitaient le maintien de ses soldats au Rwanda. La lettre est signée par 34 enseignants d’université, 30 agents de l’université, 12 chercheurs et agents de l’Institut de Recherche et de Sciences Technologiques (IRST), 14 enseignants du groupe scolaire de Butare, 25 agents des autres services administratifs de la ville de Butare et près de 300 étudiants. L’immense majorité de ces intellectuels a été activement impliquée dans le génocide commis contre les Tutsi en 1994. 6. ACCENTUATION DES PREPARATIFS DIRECTS DU GENOCIDE AU VU ET AU SU DE LA MINUAR Les rapports des ambassades étrangères en poste au Rwanda en 1994 indiquent la concordance de plusieurs éléments d’incitation directe au génocide en mars 1994. A titre d’exemple, un télex du 1er mars 1994 envoyée aux autorités belges par l’ambassadeur de Belgique au Rwanda, Johann SWINNEN dans lequel il indiquait que la RTLM diffusait « des déclarations inflammatoires appelant à la haine, voire même l’extermination de l’autre composante de la population ». Un document des services de renseignements belges du 02 mars 1994 indiquait qu’un informateur du MRND avait révélé aux autorités belges que le MRND avait élaboré un plan d’extermination de tous les Batutsi de Kigali au cas où le FPR ouvrirait les hostilités. L’informateur précisait : « Si les choses tournent mal, les Bahutu les massacreraient sans pitié » et ajoutait que « les divisions régionales n’existent plus et le moral de l’armée n’a jamais été aussi élevé ». Le 03 mars 1994, le major Podevijn de la MINUAR informa Dallaire que des armes étaient distribuées aux milices dans le quartier de Gikondo qui était l’un des fiefs importants de la CDR. Le 10 mars 1994, la MINUAR découvrit plusieurs quantités d’armes lourdes destinées à l’armée rwandaise et signala l’accroissement du recrutement des milices et des militaires. Dallaire sollicita l’autorisation de l’ONU de saisir ces armes et réclamait des renforts des casques bleus ; il n’obtiendra jamais de réponse positive. CONCLUSION Les actes de violence commis contre les Batutsi pendant les deux années précédant le génocide, l’ont été dans différents régions du pays, ce qui démontrait que le génocide pouvait être perpétré dans tout le Rwanda sans aucune contrainte.Ceux qui ont planifié le génocide ont eu tout leur temps pour mobiliser la population à commettre le génocide, spécialement par le biais de la Radio Rwanda, la Radio-Télévision Libre des Mille Collines et le journal Kangura. Lorsque la planification du génocide est devenue une évidence pour la communauté internationale, celle-ci n’a rien fait pour l’empêcher, au lieu de quoi certains pays ont continué a soutenir le gouvernement qui planifiait le génocide en lui livrant des armes et en se faisant son porte-parole auprès de la communauté internationale.

Redigé par Dr Jean Damascène Bizimana Le 4 mars 2020