Le Quai d’Orsay s’interroge sur l’impact terrible que pourra avoir la crise du Covid-19 en Afrique. Le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) évoque un possible effondrement des Etats en place et cherche d’ores et déjà des interlocuteurs fiables et légitimes.
Chronique d’une implosion annoncée…
Dans une note du CAPS, titrée « L’effet pangolin : la tempête qui vient en Afrique ? « , que La Tribune a consultée, le Quai d’Orsay estime que la crise du Covid-19 pourrait être en Afrique « la crise de trop, qui déstabilise durablement, voire qui mette à bas des régimes fragiles (Sahel) ou en bout de course (Afrique centrale) ».
En tout cas, la crise du Covid-19 sera probablement le révélateur des limites de capacité des Etats, incapables de protéger leurs populations. En Afrique, elle va également amplifier les facteurs de crise des sociétés et des Etats. Un nombre élevé de morts, le décès d’une personnalité ou, enfin, la comparaison entre Etat fragiles (Sahel et Afrique centrale) et solides (Rwanda, Sénégal) Ce qui pourrait déclencher une contestation.
La crise du Covid-19 va révéler de nouveaux rapports de force politique pour le contrôle de l’Etat, pendant et après la crise. « Anticiper le discrédit des autorités politiques signifie accompagner en urgence l’émergence d’autres formes d’autorités africaines crédibles pour s’adresser aux peuples afin d’affronter les responsabilités de la crise politique qui va naître du choc provoqué par le Covid-19 en Afrique », fait valoir le CAPS. Pour l’heure, l’Afrique était mercredi encore peu touchée par le virus avec 200 décès (5.778 cas). Mais l’ouragan est en approche.
Le coup fatal à certains régimes africains
« Face au discrédit des élites politiques, il convient de trouver
d’autres interlocuteurs africains pour affronter cette crise aux
conséquences politiques », affirme ce groupe de réflexion du ministère
des Affaires étrangères, chargé de mener des missions d’analyse de
l’environnement international. D’autant que le risque d’infection d’un
dirigeant âgé et déjà malade pourrait avoir de lourdes conséquences et
obligerait la France « à se positionner clairement et rapidement sur la
fin d’un système et sur une transition ». Pour le CAPS, il est clair que
l’onde de choc à venir du Covid-19 en Afrique pourrait être « le coup de
trop porté aux appareils d’Etat ». Pourquoi ? Parce que le taux de
médicalisation est quasi-nul et les systèmes de santé nationaux peuvent
être considérés comme saturés d’office, estime-t-il.
La plupart des Etat africains vont faire « massivement la preuve de son
incapacité à protéger ses populations. Cette crise pourrait être le
dernier étage du procès populaire contre l’Etat, qui n’avait déjà pas su
répondre aux crises économiques, politiques et sécuritaires », souligne
le Quai d’Orsay.
Selon le CAPS, en Afrique de l’Ouest, les mesures de confinement
saperont l’équilibre fragile de l’informel, économie de survie
quotidienne essentielle au maintien du contrat social. En Afrique
centrale, « le choc pourrait précipiter la crise finale de la rente
pétrolière au Cameroun, au Gabon et au Congo-Brazzaville (effondrement
d’un prix du baril déjà en crise avec la demandé, aggravé par un
ralentissement de la production, et risque d’accélération de la
réflexion d’opérateurs pétroliers – Total au premier chef – de quitter
ces pays), là aussi au cœur des équilibres sociaux », précise le Quai
d’Orsay. Dans les deux cas, cela pourrait constituer le facteur
économique déclencheur des processus de transition politique.
Des populations abandonnées mais manipulées
Certains pays africains devront faire face à ce qu’appelle le CAPS,
un « virus politique ». Il part du principe que les villes seront
l’épicentre des crises et que très rapidement, la question du
ravitaillement des quartiers se posera pour l’eau, la nourriture et
l’électricité. « Des phénomènes de panique urbaine pourraient
apparaître : elles sont le terreau sur lequel se construisent les
manipulations des émotions populaires. Cette recette fait le lit
d’entreprises politiques populistes », explique le CAPS. Ce sont les
classes moyennes en cours de déclassement qui seront les premières
fragilisées, car leur quotidien risque de s’effondrer, précise-t-il.
Résultat, la question de la sélection ne portera pas sur les personnes à
sauver sur le plan médical (faute de capacités d’accueil), mais « sur
les besoins de premières nécessités : quel quartier ravitailler ?
Quelles autorités locales crédibles peuvent être les relais
d’organisation de la distribution ? Quels produits de première nécessité
fournir dans une phase attendue de pénurie ?
Le poids des réseaux sociaux va considérablement peser, a fortiori avec le confinement qui va couper littéralement les sociétés des institutions publiques. Faute de parole publique crédible, « les thèses complotistes commencent déjà à fleurir et s’ajoutent aux simples fausses informations pour participer d’une perte de contrôle des opinions publiques. A cela s’ajoutent les dynamiques de rumeurs populaires, lesquelles sont tout autant susceptibles d’être instrumentalisées pour orienter des violences collectives », avertit le Quai d’Orsay.
Quels interlocuteurs pour la France ?
Pour la France, dans ce chaos, il s’agit de trouver des interlocuteurs à
la fois fiables et légitimes pour compenser la possible faillite des
Etats. « L’immanquable détournement de biens publics (à commencer par des
masques) et de l’aide sanitaire internationale à venir (déjà dénoncée
sous le terme « Covid-business ») peut facilement cristalliser l’ultime
perte de crédit des dirigeants », justifie ainsi le CAPS. A ce stade,
quatre catégories d’acteurs ont la capacité de mobiliser des foules. Ils
doivent « donc d’ores et déjà constituer des interlocuteurs pour nos
efforts de gestion de la crise en Afrique », estime le Quai d’Orsay.
Quels sont ces interlocuteurs ? Les premiers sont les autorités religieuses. Si des institutions ont accepté d’accompagner les premières consignes (Eglise catholique, certaines confréries musulmanes), d’autres, qui ont fondé leur succès sur la canalisation politique des émotions populaires, pourraient vouloir défier l’ordre public pour imposer le leur dans ce moment de faiblesse de l’Etat. Les deuxièmes sont les diasporas, qui peuvent avoir un devoir d’information civique. Les troisièmes sont les artistes populaires : « ils restent – à quelques exceptions près – des autorités morales crédibles et façonnent les opinions publiques », assure le CAPS.
Les quatrièmes peuvent être des entrepreneurs économiques et des businessmen néo-libéraux. « Ils peuvent jouer un rôle s’ils décident d’engager leurs moyens ou de se poser en intermédiaires entre le système de gouvernance mondiale et l’Afrique, mais dans tous les cas, ils souligneront la faillite de l’Etat », note le Quai d’Orsay. Enfin, face à l’incapacité de l’Etat à protéger ses populations et face aux possibles ambitions opportunistes de certains, il convient, selon le CAPS, de »soutenir des paroles publiques d’experts africains scientifiques et spécialistes de la santé ». Il existe une communauté scientifique médicale africaine qui peut être mobilisée et soutenue.
Avec La Tribune
Redigé par IGIHE Le 2 avril 2020