Mariam SERi-SIDIBE.
En ce mois d’octobre 2002, on commémore en France le bicentenaire de la Légion d’Honneur instituée par Napoléon BONAPARTE. Des livres, un spectacle grandiose ainsi qu’une série télévisée ont été consacrés à l’Empereur. La télévision française a diffusé une série à l’occasion de cet évènement. Cette adaptation audiovisuelle est tirée de l’œuvre de Max GALLO, historien et biographe.

Or une fois de plus, on constate qu’une partie importante de l’histoire de France, à savoir le rétablissement de l’esclavage en 1802, a été niée. Logique puisque à ce jour, l’esclavage n’est toujours pas traité dans les manuels scolaires d’histoire et que les français continuent d’honorer de manière hystérique la mémoire de celui que je me permet de qualifier « d’ancêtre d’Hitler ».
« Pour le sens de l’Histoire, le rétablissement de l’esclavage n’a aucun sens »
Ce qui est grave c’est que Max GALLO a pu affirmer en direct sur CANAL + que « Oui, Napoléon a rétabli l’esclavage aboli par la convention en 1794 … mais pour le sens de l’histoire cela n’était pas important ». Cette affirmation, qui rappelle celle de Le Pen sur le « détail des chambres à gaz », n’a soulevé aucune protestation de la part des mouvements dit anti-racistes alors qu’au même moment, on célébrait en Guadeloupe le bicentenaire du mouvement de résistance guadeloupéen aux armées napoléoniennes.

La convention avait aboli l’esclavage le 16 Pluviôse An II (4 Février 1794). Or, le 18 Brumaire An 7 de la Révolution française (le 9 Novembre 1799), BONAPARTE prend le pouvoir par la force d’un coup d’Etat. Il se trouve alors devant une situation embarrassante puisque l’empire colonial français est considérablement réduit. La Martinique, Sainte-Lucie, Trinidad sont depuis 1794 sous domination anglaise. De plus, il faut rétablir l’ordre à Saint-Domingue (actuel Haïti), en Guyane et en Guadeloupe où l’esclavage est aboli. Mais c’est surtout que l’Empereur et son impératrice, Joséphine De Beauharnais, fille de famille esclavagiste martiniquaise, n’acceptent pas que des Nègres osent défier le pouvoir « Blanc » en particulier en Haïti avec Toussaint-Louverture [1] et en Guadeloupe avec Louis Delgrès « hommes de couleur » encadrant l’armée et l’administration.
« La liberté est un aliment pour lequel l’estomac des nègres n’est pas préparé ».

En 1801, les intentions du petit corse et des autorités françaises sont claires : il faut rétablir l’esclavage à Saint-Domingue et à la Guadeloupe. Le 14 Novembre 1801, Décrès, alors Ministre de la Marine et des colonies déclare : « … Je veux des esclaves dans les colonies. La liberté est un aliment pour lequel l’estomac des Nègres n’est pas préparé. Je crois qu’il faut saisir toutes les occasions pour leur rendre leur nourriture naturelle sauf les assaisonnements que commandent la justice et l’humanité. Je crois qu’il faut envoyer une force considérable en Guadeloupe, non pour la réduire à ce qu’elle était mais à ce qu’elle doit être ».

Les évènements qui surviendront en 1802 en Guadeloupe mettent en avant le racisme des autorités françaises de cette époque envers les nègres et ce, quelle que soit la couleur de leur peau. Les massacres de Mai 1802 avaient comme objectif non seulement de remettre les Noirs sous le joug de l’esclavage mais aussi de leur faire admettre que le maître blanc ne pouvait accepter d’être défié impunément. Ceci devait servir d’exemple aux autres Nègres des colonies françaises.

Les troupes du Général RICHEPANSE [2] qui devaient rétablir l’esclavage au soir du 28 Mai 1802, massacrèrent 10.000 hommes et femmes (soit 10% de la population) qui osèrent prendre les armes pour défendre leur liberté si chèrement acquise. Cette véritable guerre constitue pour la Guadeloupe un traumatisme, une rupture sociologique et psychologique importante. En 1852, l’arrivée au pouvoir de Louis Napoléon BONAPARTE (le neveu du premier) ravivera pendant longtemps le souvenir de cette terreur et les craintes d’un retour à l’esclavage restées vivace dans la mémoire des Guadeloupéens. Cette peur perdurera jusqu’en 1910, année de conflits sociaux très graves dans le secteur cannier.
« Le processus de rétablissement de l’esclavage et la résistance des héros de la liberté ».

En Mars 1802, la France et l’Angleterre signent le traité d’Amiens. La Martinique redevient française et Bonaparte y maintient l’esclavage [3]. Mais la Guadeloupe n’est pas la seule cible de l’Empereur puisqu’il enverra en même temps 12.000 hommes, dirigés par son beau-frère le Général LECLERC, tenter de rétablir l’esclavage à Saint-Domingue. Celui-ci échouera puisqu’il aura à faire face à une armée de vaillants combattants sous la houlette de TOUSSAINT-LOUVERTURE et DESSALINE, qui vaincront leurs assaillants et proclameront la Première République NOIRE du monde occidentale sous le nom d’Haïti le 4 Janvier 1804.

Le 6 Mai 1802, les bateaux abords desquels se trouvent les 3.470 hommes de l’armée dirigée par le Général RICHEPANSE accostent sur les plages de KARUKERA. A ce moment là, c’est Magloire PELAGE « homme de couleur » martiniquais, Chef de Brigade, officier le plus gradé de la Guadeloupe, qui gouverne l’île.

Le contre-amiral LACROSSE, déjà présent en 1794 pour l’abolition de l’esclavage, est de retour, envoyé par Napoléon 1er, pour reprendre en main la colonie avec, cette fois-ci, une sinistre mission secrète : rétablir l’esclavage. Louis DELGRES, officier métisse martiniquais, est son aide de camp. De Juin à Octobre 1801, LACROSSE fait arrêter plusieurs officier noirs et mulâtres de l’armée constituée en 1794. Cela déclenchera le 21 Octobre une réaction populaire menée par le Capitaine Joseph IGNACE. Ce dernier mettra le contre-amiral aux arrêts et convaincra DELGRES, qui a compris les véritables enjeux de son « ami », de rejoindre ses frères de couleurs. Il y aura un affrontement larvé entre deux tendances : l’armée encadrée par les capitaines IGNACE, MASSOTEAU, GEDEON, DELGRES et les « Républicains » loyalistes parmi lesquels PELAGE. Le 5 Novembre 1801, LACROSSE est expulsé vers la France.

Les troupes – hommes et femmes – du Capitaine IGNACE, principal dirigeant de la résistance guadeloupéenne, se dirigent vers Pointe-à-Pitre. Ces 200 soldats, sous la houlette des lieutenants MASSOTEAU, PALERME, CODOU, DAUPHIN, JACQUET rejoignent après un jour de marche le Colonel DELGRES et commence alors la guerre de résistance contre les armées napoléoniennes. Durant près d’un mois, du 6 au 28 Mai 1802, l’armée de libération de la Guadeloupe résistera aux soldats de RICHEPANCE. Alors que DELGRES prend la direction de Matouba (au sud de l’île sur la Basse Terre), Ignace se rend en Grande-Terre pour y soulever la population. Le 25 Mai, il livre sa dernière bataille au fortin de bainbridge (près de Pointe à Pitre) avec près de 700 hommes et femmes. Vers 18 H 30, le fortin, totalement encerclé par les troupes du Général GOBERT (aide de Richepanse) est pris d’assaut. La légende dit qu’Ignace, ne voulant pas être fait prisonnier se brûla la cervelle en criant : « Vous n’aurez pas pas l’honneur de me prendre en vie ». Gobert le fait décapiter et sa tête est exposée sur la place de la Victoire à Pointe-à-Pitre jusqu’à putréfaction.
« VIVRE LIBRE OU MOURIR ».

C’est alors que DELGRES, ayant appris la mort de son frère de lutte, se dirige vers l’habitation DANGLEMONT au MATOUBA. Il s’y réfugie le 28 Mai avec 300 de ses compagnons d’armes, après avoir livré bataille et soulevé lui aussi la population. Mais devant la supériorité en hommes et en munitions de l’armée ennemie, ceux-ci décidèrent de s’enfermer dans l’habitation principale. Ils piégèrent l’ensemble des bâtiments en y disposant des barils de poudre à canon.

Le 28 Mai 1802, vers 15 H 30 DELGRES rassemble ses hommes autour de lui et ordonne de faire sauter toute l’habitation. C’est ainsi que ces courageux combattants de la liberté mourrons entraînant avec eux l’avant-garde des troupes de Richepance au cri de « VIVRE LIBRE OU MOURIR ».

Le rétablissement de l’esclavage fut décrété le soir même de ce jour mémorable. Il sera officialisé le 16 Août 1802 par un arrêté stipulant ; « la colonie de la Guadeloupe et dépendance sera régie à l’instar de la Martinique, de Sainte-Lucie, de Tobago et des colonies orientales, par les mêmes lois qui y étaient en vigueur avant 1789 » c’est à dire le retour à l’application strict du Code Noir et à la cruauté qui caractérisait le comportement des maîtres blancs envers leurs esclaves. Ce crime contre l’humanité perdurera jusqu’au 27 Avril 1848 ou il sera définitivement aboli par le gouvernement de la 3ème république. En Guadeloupe l’application aura lieu le 27 Mai.

Mais il ne faut pas croire que les noirs de la Guadeloupe acceptèrent docilement de retourner sous les coups de fouets. La résistance perdurera pendant les 46 ans de retour à ce qu’il est convenu de qualifié de crime contre l’humanité. Elle augmentera même puisque des multitudes de groupes de Neg Mawon s’organiseront et forceront les Républicains de 1848 a prendre enfin en considération la liberté et la citoyenneté des africains-guadeloupéens.

Il faut aussi rendre hommage à nos vaillantes combattantes de la liberté que furent MARIE-ROSE et SOLITUDE [4] et à travers elles, toutes ses femmes anonymes, esclaves, violées quotidiennement par leurs maîtres et qui, par résistance s’avortaient au péril de leur vie pour ne pas donner naissance à un futur-esclave. Solitude la Mulâtresse fut une compagne de lutte d’IGNACE et de DELGRES. Ayant pu échapper à l’explosion du 28 Mai 1802, enceinte au moment de son arrestation, Richepanse ordonna qu’on la pende le jour de sa délivrance. Elle fut pendue le 29 Novembre 1802 à l’âge de 30 ans et son enfant vendu comme esclave. Le même sort a été réservé à MARIE-ROSE, la femme de DELGRES également pendue à BAILLIF.
« Juger Napoléon, Richepanse et Gobert est un devoir de réparation envers les Africains-Guadeloupéens ».

Le 10 Mai 2001, les parlementaires de la république française ont adopté une loi qualifiant la traite, la déportation et l’esclavage de millions d’hommes et de femmes noirs, comme crime contre l’humanité. Logiquement et conformément à cette Loi, Napoléon, le gouvernement de l’époque ainsi que les militaires encadrant l’expédition en Guadeloupe et Haïti pour y rétablir l’esclavage sont coupables de ce crime puisqu’il s’agit d’un acte qu’ils ont directement perpétués.

Bien longtemps on nous a fait croire que RICHEPANSE et GOBERT n’étaient que des petits soldats aux ordres de leur empereur, mais il n’en est rien. Bien au contraire. Richepanse a fait une carrière fulgurante au sein de l’armée française pendant la révolution et contribue de façon décisive à la victoire des français sur les autrichiens en Hohenlinden le 3 Décembre 1800. Quant à GOBERT, Blanc de Guadeloupe, son rêve de revanche s’exauça le 28 Mai 1802. C’est donc à des hauts dirigeants de l’armée que Napoléon confie sa sinistre mission.
« La traitrise de PELAGE »
PELAGE était gouverneur de Guadeloupe au moment du débarquement des troupes napoléoniennes. Lors de la scission causée par IGNACE et DELGRES, il prit partie pour le contre-amiral LACROSSE. Au moment de l’expulsion de ce dernier, PELAGE se rangera définitivement aux côtés des esclavagistes. Il organisera les arrestations de ses frères de couleurs. Il en sera d’ailleurs très récompensé puisqu’il terminera sa carrière militaire très zélée au sein de l’armée espagnole.
Ces évènement tragiques sont toujours occultés de l’histoire collective de la France. Nos enfants connaissent parfaitement le nom de Joséphine De Beauharnais et de Napoléon mais ignorent ceux de DELGRES, IGNACE et les autres puisque l’état colonial français, à travers son système éducatif, tente de les transformer en bons petits français ignorant leur propre histoire donc de leur propre personnalité et de leur vécu. Comment s’étonner alors ils errent en cherchant leur identité et qu’ils tentent vainement de s’affilier à des ancêtres qui leur paraissent glorieux mais qui ne leur appartiennent pas.
C’est ainsi, par exemple, que la maison martiniquaise de « la douceur des îles » de l’Empereur fait partie du patrimoine martiniquais et est, à ce titre, toujours bien entretenue alors que les héros de la résistance anti-esclavagiste n’avaient même pas de sépulture ni de statue à leur effigie. Même RICHEPANSE, mort à 32 ans, est enterré au Fort qui portera son nom jusqu’en 1998 à basse-terre. Ce grave oubli a été réparé puisqu’en 1999 DELGRES, IGNACE, SOLITUDE et leurs compagnons ont leurs statues érigées aux Abymes, en Guadeloupe et que le Fort a été rebaptisé « FORT DELGRES ».
Mais qu’on le veuille ou non, malgré toutes les tentatives négationnistes orchestrées par l’ordre colonial pour nous amnésier de notre histoire, la mémoire de notre passé se transmet dans nos veines. Ainsi, lorsque j’étais enfant en Guadeloupe, je voyais les anciens qui, en passant devant l’arbre qu’on appelle le fromager ou l’arbre aux voyageurs, découvraient leur tête avec respect, semblant saluer cet Arbre.
Lorsque je demandais l’explication de ce rituel, personne ne pouvait me répondre. C’est bien plus tard, alors que j’étais déjà adulte qu’un ancien me donna la signification de ce geste. Les branches de l’Arbre aux voyageurs servaient de potence pour les nègres rebelles. Ils y étaient pendus et leur cadavre exposé jusqu’à putréfaction. C’est ainsi que, cent-cinquante ans après la seconde abolition de l’esclavage nos anciens continuent à saluer l’âme de ses « étranges fruits » qui ne poussaient pas seulement dans les états du sud des états unis.
Alors, au nom de leur mémoire, au nom de tous ceux qui ont lutté pour notre liberté, il faut qu’en cette année 2002, Napoléon, Richepanse, Gobert soient aussi jugés et reconnus coupables de crime commis contre l’humanité envers les africains déportés dans les colonies françaises ainsi qu’envers leurs descendants. C’est à ce prix que la France en aura enfin fini de se repentir de son passé colonial. A l’heure ou le gouvernement français instaure un haut conseil à l’intégration, il serait grand temps qu’il pense d’abord à intégrer notre histoire dans les manuels d’enseignements scolaires.

[1] TOUSSAINT-LOUVERTURE – Ancien esclave, affranchi, devenu un des chefs de la résistance haïtienne à l’esclavage. Gouverneur de l’Ile d’haîti, il fut déporté en France et mourut au fort de Joux en 1807 ;

[2] RICHEPANSE : Beau-frère de Napoléon BONAPARTE, mort à l’âge de 32 ans en Guadeloupe.

[3] En 1794, les békés martiniquais ont préféré s’allier avec les anglais plutôt que de libérer leurs esclaves.

[4] MARIE-ROSE et SOLITUDE faisaient parties de groupement de neg-mawon. Pendant longtemps leur histoire ainsi que celle des autres femmes résistantes fut occultée. Pour certains même elles n’étaient que des légendes.

http://vuesdumonde.forumactif.com/t1776-lhistoire-cachee-de-napoleon-bonaparte
Posté par rwandaises.com