Le Chef de service de réanimation de l’hôpital Cochin à Paris, le Pr Jean-Paul Mira suggère un test raciste en Afrique,alors que la France est assiégée des problèmes aussi sérieux.
L’Hydroxychloroquine – Le bal des ignares par par Jean-Dominique Michel.
La triste polémique qui enfle en nos démocraties déliquescentes quant à l’efficacité de l’hydroxychloroquine navre chaque jour un peu plus. Parmi ses figures pathétiques, le débat méthodologique autour du seul traitement efficace connu contre le Covid révèle l’état de délitement de la recherche scientifique, mais aussi les dérives éthiques d’une médecine en plein désarroi.
Le principal reproche fait à l’IHU Méditerrannée-Infection, qui a mis au point le traitement combiné hydroxychloroquine + azithromycine, est de ne pas respecter les méthodologies de recherche de ce que l’on appelle Evidence-Based Medicine (EBM). Voyons cela…
Comme toute méthode (terme dérivé d’un mot grec signifiant « chemin »), l’EBM a ses qualités, ses limites et ses domaines d’indication. Si elle est devenue l’idéologie dominante en matière de recherche médicale, elle souffre cependant d’un certain nombre de tares.
D’abord -et c’est quelque peu amusant- il convient de rappeler qu’elle provient avant tout de l’univers des maladies non-transmissibles. Le Pr Raoult l’a rappelé, la méthodologie en infectiologie clinique est simple comme le jour : si vous avez une substance qui s’avère, in vitro et in vivo, faire disparaître l’agent pathogène, vous êtes banco !
L’EBM a été développé pour les pathologies complexes, chroniques, non-infectieuses, pour lesquelles les choses sont beaucoup plus compliquées. Vous ne pouvez pas donner un antibiotique contre un diabète ou une maladie neurodégénérative en vous félicitant que ça cure la cause de la maladie ! Les méthodologies de recherche de l’EBM visent donc à objectiver certains traitements ou interventions thérapeutiques à large échelle, dans des situations donc où l’evidence simple est inaccessible.
L’EBM a toutefois d’emblée eu une autre utilité majeure : celle de fournir des complications telles qu’il devenait un jeu d’enfant de camoufler toutes sortes de manipulations de données permettant d’arriver au résultat espéré – même s’il est faux ! Si vous donnez de la poudre de perlimpinpin contre le bacille de la peste, vous ne ferez pas illusion très longtemps !
Avec les maladies chroniques, l’industrie pharmaceutique a fourni par supertankers entiers des résultats faux permettant de mettre sur le marché des produits coûteux, inutiles et souvent dangereux. Le tout enrobé d’un vernis de respectabilité scientifique qui fait encore hélas illusion. Le scandale du Vioxx constituant peut-être la mère de tous les scandales en la matière : le médicament est mis sur le marché en 1999 dans le cadre d’une procédure accélérée, alors que son fabricant connaît pertinemment un risque accru d’accident cardiaque mortel -masqué derrière de savantes études. Le médicament fera finalement plus de 26’000 morts aux États-Unis avant d’être retiré quelques années plus tard.
Un arrangement avec les autorités américaines permettra à Merck de rester avec un bénéfice net de 10 milliards de dollars (compte d’apothicaire : 11 milliards de profit net moins 950 millions de dollars d’amende). Good business !
Corruptible à merci !
L’EBM présente un autre avantage : il permet de multiplier à l’envi les contre-études bidon visant à emberlificoter à n’en plus pouvoir des réalités pourtant incontestables. C’est évidemment l’industrie du tabac qui a donné ses sanglantes lettres de noblesse à ce type de propagande pseudo-scientifique, mettant au point une méthode reprise depuis par les autres industries toxiques comme l’agro-alimentaire, l’industrie pétrolière et la pétrochimie (en particulier son secteur pesticides). Les fameux « Monsanto Papers », par lesquels la multinationale contestait de manière fallacieuse l’évidente toxicité de ses produits par des documents pseudoscientifiques en est un exemple récent.
Je mesure le risque de lasser mes lecteurs fidèles, aussi répéterai-je succinctement ici l’avis averti de différents rédacteurs en chef des trois plus prestigieuses revues médicales pour illustrer ces dévoiements multiples de la démarche EBM :
« La plupart des études scientifiques sont erronées, et elles le sont parce que les scientifiques s’intéressent au financement et à leurs carrières plutôt qu’à la vérité ». Richard Smith, rédacteur en chef, British Medical Journal, 2013
« Il n’est tout simplement plus possible de croire une grande partie des recherches cliniques qui sont publiées, ni de se fier au jugement de médecins de confiance ou à des directives médicales faisant autorité. Je ne prends aucun plaisir à cette conclusion, à laquelle je suis parvenu lentement et à contrecœur au cours de mes deux décennies de travail de rédactrice en chef ». Marcia Angeli, rédactrice en chef, New England Journal of Medecine, 2009
« La profession médicale est achetée par l’industrie pharmaceutique, non seulement en termes de pratique de la médecine, mais aussi en termes d’enseignement et de recherche. Les institutions académiques de ce pays se permettent d’être les agents rémunérés de l’industrie pharmaceutique. Je pense que c’est honteux ». Arnold Relman, rédacteur en chef, New England Journal of Medecine, 2002
« Certaines pratiques ont corrompu la recherche médicale, la production de connaissances médicales, la pratique de la médecine, la sécurité des médicaments et la surveillance du marketing pharmaceutique par la Food and Drug Administration. En conséquence, les praticiens peuvent penser qu’ils utilisent des informations fiables pour s’engager dans une pratique médicale saine tout en se basant en réalité sur des informations trompeuses et donc prescrire des médicaments qui sont inutiles ou nocifs pour les patients, ou plus coûteux que des médicaments équivalents. Dans le même temps, les patients et le public peuvent croire que les organisations de défense des patients représentent efficacement leurs intérêts alors que ces organisations négligent en réalité leurs intérêts ». Institutional Corruption and the Pharmaceutical Policy, Edmond J. Saffra Center fr Ethics, Harvard University & Suffolk University, Law School Research Paper No. 13-25, 2014 (revised)
En plus de ces compromissions dramatiques l’EBM a par ailleurs montré des failles rédhibitoires. Adoptée avec l’espoir de pouvoir accéder à une médecine « scientifique », elle n’a montré ni de réelle amélioration de la qualité de soins, ni d’économicité grâce à de meilleures indications de traitements. Tout en participant activement à une déshumanisation de la pratique médicale qui est aujourd’hui le principal problème de ce domaine, tant la qualité relationnelle entre soignant et soigné constitue le socle agissant de toute relation de soins.
Pour sortir de cette ornière scientiste, on propose par exemple aujourd’hui de passer à une « médecine basée sur les valeurs » (Values-Based Medecine) qui respecte bien mieux la dignité des soignants comme des patients !
Médecine, pseudoscience et anthropologie
J’ai décrypté dans un précédent billet le sens que pouvait avoir la posture du Pr Raoult et des équipes de Méditerranée-Infection face à leurs détracteurs. En avançant ma conviction que les Marseillais avaient adopté une stratégie de rupture en se mettant paradigmatiquement dans une posture médicale et non pseudo-scientifique.
Dans le domaine de l’infectiologie clinique, rappelons-le, les choses sont épistémologiquement très simples : soit un remède est efficace, soit-il ne l’est pas. S’il l’est ne serait-ce que sur trois premiers malades, alors il le sera (avec sans doute quelques exceptions statistiquement infimes) sur trente malades comme sur trois mille malades. Le Pr Raoult l’a souligné avec une implacable pertinence : rien n’a jamais montré dans son domaine la supériorité de l’EBM sur la démarche classique de la comparaison historique, à savoir le fait de simplement vérifier ce qui se passe lorsqu’on donne un traitement en le comparant avec ce qui se passait avant qu’on le donne !
Les anthropologues ont au moins cet avantage d’être (normalement) de robustes épistémologues. Il s’agit d’un de mes domaines de prédilection, ce qui me permet d’attendre mes contradicteurs de pied ferme. Je n’en ai pas de mérite : nous sommes disciplinairement confrontés à la luxuriance débridée des systèmes de croyance au sein de notre espèce, avec de surcroît ce trait que chaque culture s’imagine (bien sûr) mieux penser et mieux comprendre le monde que les autres peuplades.
Nous abordons donc chaque « vision du monde » (Weltanschaung) comme un système de croyances ayant sa propre logique, sa propre dynamique interne et la densité psychoaffective qui lui est propre. Nonobstant que certaines croyances peuvent bien sûr s’avérer mieux conformes au réel. Prescrire un antibiotique contre la peste paraît par exemple une croyance plus empiriquement efficace que trimballer une statue en procession à travers les rues de la ville -démarche qui jouira pourtant d’une indéniable forme d’efficacité symbolique selon la jolie expression de Claude Lévi Strauss !
Ce que je sais ou que je crois savoir
Adéquation au réel réservée, chaque modèle de compréhension du monde se construit toujours en se déployant à partir de trois pôles :
- L’ontologie (qui je suis ou qui je crois être).
- La gnoséologie (ce que je sais ou que je crois savoir).
- L’épistémologie (comment je sais ce que je sais ou ce que je crois savoir).
Les trois étant en inter-détermination dynamique :
Les méthodologues en tous genres que le monde académique produit maintenant à la pelle depuis 30 ans ne sont qu’une tribu parmi d’autres. A bien des égards, ils me rappellent les lacaniens des années ’70 qui se sentaient tous obligés de porter un manteau de fourrure et de fumer le cigare à l’image de leur Maître, tout en tenant des discours abscons et délirants d’un air entendu…
Autre temps, autre mode, même suivisme. Ceci alors même que l’EBM est fondamentalement contestée et contestable. Et que ses meilleurs connaisseurs contestent fortement les nombreux mésusages qui en sont fait !
Peter Gotzsche
Le lecteur fidèle se souviendra de la figure de Peter Gotzsche, auteur du livre « Remèdes mortels et crime organisé. Comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé », couronné du prix des « fondations de la médecine » en 2014 par l’association des médecins britanniques. Gotzsche y avançait que le modèle d’affaires (business model) des pharmas était progressivement devenu celui du crime organisé (pour les lecteurs interloqués, je renvoie à un de mes précédents articles qui en donne une description relativement détaillée).
Gotzsche se trouve aussi être un des meilleurs épidémiologues et méthodologues de la recherche. Cofondateur de la prestigieuse revue Cochrane des pays nordiques, Gotzsche démontra par exemple que les stratégies de dépistage systématique du cancer du sein faisaient plus de mal que de bien du fait du nombre élevé de faux positifs. Il fut rudement attaqué, vigoureusement défendu et à ce jour personne n’a réussi à mettre en échec son travail.
Peter Gotzsche s’est pourtant fait virer comme un malpropre en septembre 2018 de la Nordic Cocrane review. En cause ? Ses remises en question (évidemment imparables) des données liées au vaccin contre le papillomavirus, fausses pour la plupart telles que publiées dans les revues médicales. Outrées par tant de mauvais esprit, les autorités de la Nordic Cochrane excommunièrent le savant homme, d’une manière si révoltante que quatre autres membres du conseil d’administration démissionnèrent sur le champ. La conclusion de Gotzsche ne surprendra aucun connaisseur de la corruption régnant dans le domaine : « La dépendance de la revue Cochrane face aux essais contrôlés randomisés publiés fait de celle-ci un serviteur de l’industrie, qui promeut passivement ce que l’industrie veut que la revue Cochrane promeuve : des messages qui sont très souvent faux ».
Si la question vous intéresse, lisez Gotzsche, et vous verrez à quel point la recherche qu’on nous sert habituellement relève, selon l’un de ses meilleurs connaisseurs, de la prestidigitation bien plus que de la science !
Please !
Les contempteurs actuels du Pr Raoult et de ses équipes ne sont rien d’autre que les zélés sectateur de cette dérive scientiste. Un doctorant de l’EPFZ (avec probablement encore du lait derrière les oreilles) vient pondre une piètre réponse méthodologique à l’essai clinique marseillais sur Médiapart, et voici que le chœur des pleureuses embraie ses trilles à la baguette.
Attendez : une critique formelle de la part d’un jeune homme qui n’a aucune expérience en infectiologie clinique, aucune base de réflexion en épistémologie de la médecine (il est biologiste) vient contester les travaux du meilleur centre de compétences en infectiologie clinique d’Europe, sous la direction d’un génie de la science de 68 ans, qui connaît sa discipline et les méthodologies de recherche comme sa poche, et la parole du freluquet emporte la béate adhésion des foules pseudo-savantes ?!
Il y a comme un blème !
Une journaliste a écrit avec fort à-propos que les « experts » qui reprennent Marseille sur leur méthodologie de recherche sont comme des joueurs de babyfoot qui se piqueraient d’apprendre le football à Zidane !
Umberto Ecco a quant à lui prononcé cet aphorisme, souvent repris : « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles. »
En l’occurrence, il y a de quoi nous régaler ! Ces gens, évidemment sincères, forment la grande armée des suiveurs et des idéologues. Ils réagissent toutefois de manière pavlovienne : à force d’avoir être conformés à voir le monde d’une certaine manière, tout ce qui s’en éloigne les fait réagir avec un infantilisme bondissant : « ils font tout faux, maîtresse ! »
Ils me rappellent ces hordes de gestionnaires du « New Public Management (NPM) », qui sortent d’années de conditionnement académique en étant persuadés de savoir quelle méthode appliquer. Alors qu’en dépit de quelques éléments intéressants, le NPM est avant tout un instrument de délitement et de déstructuration des dispositifs et des services, objectivement pathogène. Ces gardiens de la révolution imposent envers et contre toutes leurs pratiques toxiques à défaut hélas d’avoir le moyen de les penser, les questionner, les critiquer et partant s’en distancier.
Cette robotisation des esprits et des comportements nécessite que les acteurs de ces politiques soient ignares de toute pensée divergente.
Marseille
Les contestations méthodologiques du protocole de traitement mis au point à Marseille relèvent de l’escroquerie intellectuelle. Doublée de dérives éthiques monstrueuses : un des partis-pris de Méditerranée-Infection est de refuser la constitution de groupes randomisés, qui impliquerait de donner un faux médicament (placebo) à des gens qui risqueraient de mourir comme conséquence directe de n’avoir pas reçu le traitement efficace.
Pour les méthodologues fous, c’est le prix à payer pour avoir des données « scientifiquement valables ». Pour les gens dont le fond d’humanité n’est pas entièrement tari, c’est une cause indéfendable dès lors que la comparaison historique est une méthode, ancienne, éprouvée et valide en infectiologie, permettant de vérifier l’efficacité du traitement sans avoir à léser ou laisser mourir qui que ce soit.
Que cette évidence humaniste et éthique puisse être minimisée par les méthodologues purs et durs montre si besoin était la profonde perversion de la démarche dans laquelle ils sont engagés…
Comme le souligne avec une légitime indignation le Pr Perronne (de l’hôpital de Garches) :
« Nous sommes désormais à 500 morts par jour. Combien de milliers de morts ce gouvernement aura-t-il sur la conscience ? Mais qui les conseille ? C’est révoltant ».
« Je suis un scientifique pragmatique. Et cela me désole de voir l’ampleur qu’a pris, en France, l’esprit des statistiques sur le véritable esprit de la médecine. Il consiste à laisser penser que la médecine ne procède que de chiffres, de tirages au sort, d’équations… Cela est efficient lorsqu’on peut procéder sur le long terme, mais devient totalement inopérant dans certains secteurs de la médecine, comme celui des maladies rares. Il est consternant de constater que dans la médecine actuelle la démarche empirique puisse être méprisée, sous prétexte qu’on n’ait pas recouru à des tests en randomisation avec tirage au sort. Ce qui est impossible actuellement, alors que nous sommes dans une situation d’urgence, une crise sanitaire comme nous n’en avons pas connue depuis un siècle. En cela nous nous devons plutôt de considérer une méthode de « médecine de guerre », bien loin des préceptes méthodologiques que prêchent les experts médicaux ».
L’essai Discovery, avancé par les autorités sanitaires européennes pour faire de l’EBM autour du Covid est quant à lui, dans sa facture même, un pur scandale scientifique et éthique. Voici ce qu’en dit le Pr Perronne :
« Quant au test Discovery, il ne prend pas en compte le protocole du professeur Raoult (hydroxychloroquine et azithromycine dès l’apparition des premiers symptômes), mais uniquement l’hydroxychloroquine, et ce sur des cas dans des situations de pathologies aggravées. Pour cela, ce test fait preuve d’absence d’éthique. On leur dit qu’ils vont être tirés au sort, et éventuellement ne pas être traités, tout en connaissant très bien les chiffres de mortalité élevés de cette maladie ».
Nous devrions tout de même être nombreux à être d’accord de nous opposer sans la moindre hésitation à une pseudoscience aussi ignominieusement dépourvue de conscience !