Le 01 juillet, après avoir découvert avec un certain effroi la note préparatoire concernant une « Commission Vérité et Réconciliation belge » CVR à mettre en place, Véronique Clette-Gakuba a adressé un mail de contestation à plusieurs responsables du Musée royal d’Afrique Centrale dont son Directeur, Guido Gryseels. Entre autres, la note prévoit d’impliquer le juriste belge Filip Reyntjens à la table des experts de cette Commission. Une proposition on ne peut plus déplacée.

IGIHE :Donnez-nous les motifs exacts qui vous ont poussé à réagir à cette note préparatoire.

Véronique Clette-Gakuba : Je suis née et vivant en Belgique, je suis de mère Belge et de père Rwandais. Je suis par ailleurs sociologue, doctorante-chercheuse à l’Université Libre de Bruxelles. Dans ce cadre cela fait plusieurs années que je suis de près les relations de concertation et de négociation entre le Musée Royal d’Afrique Centrale (Musée et institution scientifique belge, MRAC) et les diasporas africaines (congolaise, burundaise et rwandaise). Ces concertations et négociations ont eu lieu dans le contexte de rénovation du Musée.

Dans la foulée des rassemblements anti-racistes qui, depuis le meurtre policier de George Floyd aux Etats-Unis, voient le soulèvement d’un nombre impressionnant de personnes à travers toute l’Europe, la Belgique a, de son côté, décidé de mettre en place une Commission Vérité et Réconciliation (CVR) visant à établir la vérité historique sur son passé colonial au Congo, au Rwanda et au Burundi.

La Commission des Relations Extérieures de la Chambre des Représentants se penche sur la mise en place de cette CVR. Les députés ont mandaté le Musée Royal d’Afrique Central pour réaliser une première note d’orientation proposant au Parlement une liste d’experts et une méthodologie. D’emblée, faut-il signaler que certains députés (André Flahaut, PS, notamment) ont contesté la légitimité du Musée en la matière, ce dernier étant juge et partie. En effet, selon une série de chercheurs dont je fais partie, le Musée doit être l’une des institutions dont il s’agit d’analyser l’implication dans le colonialisme belge.

Beaucoup de choses sont à dire sur cette note. Je n’étais pas destinataire de cette note ; elle était adressée confidentiellement au Parlement.

Mais elle a rapidement fuité et circule maintenant largement. J’ai tenu à réagir à cette note en m’adressant directement au Directeur du MRAC, G. Gryseels.

En effet, parmi les 20 experts proposés par le Musée se trouve le professeur Filip Reyntjens, juriste belge. Celui-ci est par ailleurs cité trois fois dans la note (en tant qu’expert et en tant que référence, pour le Rwanda et le Burundi).

Il est également présenté dans la note comme un acteur neutre et impartial. Pourtant, il est avéré que Filip Reyntjens a participé à l’écriture de la constitution du Rwanda sous Habyarimana en 1978. Il devrait donc, lui aussi, faire l’objet d’un examen de son rôle. D’autre part, il est inadmissible, concernant une commission supposée rétablir la Vérité en vue de Réconciliation, de proposer F. Reyntjens qui promeut des thèses révisionnistes, notamment en gommant l’intention génocidaire dans le cadre du génocide contre les Batutsi (Le Monde, du 25 Septembre 2017), en inversant les responsabilités, en minimisant le rôle de la colonisation belge, etc.

Il se caractérise également par une approche ethniciste renvoyant aux idéologies coloniales et racialistes et à leurs dramatiques effets.

Or, les responsables du Musée le savent. A de nombreuses reprises, nous avons, avec d’autres Rwandais, signalé au musée l’approche problématique avec laquelle le MRAC présente l’histoire du Rwanda dans sa nouvelle exposition permanente.

En mars 2017, la rénovation était encore en plein chantier et nous avertissions le MRAC que le récit concernant l’histoire du Rwanda et le génocide des Batutsi tendait vers du négationnisme.

Un an plus tard, sans que le Musée ne nous ait répondu, j’apprenais que différents membres de la diaspora avaient également adressé le même type de plaintes. Plusieurs panneaux d’exposition ont été photographiés ; ils contenaient des informations hautement problématiques.

On y lisait parmi d’autres éléments : « Le Tribunal international pour le Rwanda, créé en 1994, est la première cour internationale à juger les génocidaires tant Batutsi que bahutu » ! C’est déjà alors F.Reyntjens qui influençait les écrits du Musée sous couvert d’anonymat (referee ‘anonyme’ nous disait-on). Celui-ci est pourtant au niveau international et académique une personnalité évidemment contestée. En Belgique, il faut ajouter que les thèses de ce « professeur » sont de nature à activer grandement les tensions entre Congolais et Rwandais de Belgique.

A mon courrier du 2 juillet 2020, le Directeur du Musée, G. Gryseels a répondu :

« Nous savons que le nom du professeur Reyntjens va susciter des controverses, comme les noms de certains des autres experts. C’est au groupe de travail parlementaire de prendre la décision finale. » (2 juillet 2020). Cette réponse démontre une minimisation de la gravité et de la nocivité de la proposition faite aux parlementaires.

Il est piquant de constater que j’ai également, sans avoir été consultée, été mentionnée par le Musée comme l’une des personnes de référence. Contrairement à Monsieur Reyntjens, je n’ai pas du tout été mentionnée à partir de mes compétences universitaires (Université Libre de Bruxelles, sociologue) mais comme « voix africaines ».

La note aux parlementaires du Musée mentionne en effet, à propos des experts retenus selon leurs compétences que « Ce groupe d’experts ne comprend pas de personnes d’origine africaine qui sont membres de groupe d’action ou qui parlent au nom des communautés belgo-africaines dans l’opinion publique » (p. 6) . En d’autres termes, Reyntjens est considéré comme neutre scientifiquement là où je suis, avec d’autres collègues afrodescendants engagés dans les débats sur la décolonisation, écartée du titre d’experts à part entière.

Quant aux panneaux d’exposition, ce n’est que cette semaine, deux ans après nos plaintes que nous avons appris que certains d’entre eux ont été modifiés. L’on se questionnera encore sur la ligne idéologique globale de l’exposition dont on ne voit pas comment elle aurait pu disparaître. Véronique Clette-Gakuba sociologue, doctorante-chercheuse à l’Université Libre de Bruxelles

Redigé par Karirima NGarambe A.

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