Hollywood avait fait de Paul Rusesabagina un héros du génocide contre les Batutsi au Rwanda, mais la légende s’était écornée bien avant qu’il ne soutienne un mouvement rebelle armé contre le pouvoir en place dans son pays. Il a été emprisonné à Kigali lundi. Par Maria Malagardis





«Quand le monde a fermé ses yeux, lui a ouvert ses bras», proclamait en sous-titre le film hollywoodien dont il fut le héros. Lundi, Paul Rusesabagina, 66 ans, est apparu les mains fermées, menottes aux poignets, à Kigali, capitale du Rwanda. La photo et l’annonce de son arrestation ont fait l’effet d’une bombe. Non seulement parce que l’homme, qui a inspiré le film Hôtel Rwanda, vivait en exil depuis plus d’un quart de siècle, mais aussi parce que son arrestation, précédée par son extradition d’un pays africain, constitue une prise importante pour le régime en place.

Depuis au moins dix ans, ce dernier accuse Paul Rusesabagina de soutenir des mouvements rebelles qui cherchent à renverser par les armes le pouvoir de Kigali. Rusesabagina est «soupçonné d’avoir financé et créé des groupes terroristes», opérant dans la région des Grands Lacs, selon le bureau d’investigation du Rwanda. Quelle étrange fin de parcours tout de même pour un homme qui, à l’issue du génocide contre les Bautsi en 1994, a pu sembler, un temps, auréolé du titre de sauveur.

Histoire héroïque

A partir du 12 avril 1994, il prend en charge le célèbre hôtel des Mille Collines, un établissement de luxe, réputé à Kigali. C’est une période de chaos sanglant, militaires et miliciens traquent impitoyablement tous les Batutsi. Nombreux sont ceux qui, pour éviter une mort certaine, cherchent à se cacher dans cet hôtel, appartenant à l’époque à la compagnie aérienne belge Sabena, mais dont le manager néerlandais a vite pris la fuite. Il est remplacé par Rusesabagina, qui gérait auparavant un autre hôtel de la ville. Dès lors, deux versions s’opposent.

Tout juste hôtelier

D’un côté, l’histoire héroïque d’un homme qui aurait tout fait pour empêcher les forces du régime génocidaire de pénétrer dans l’hôtel, leur offrant argent et boissons à chaque tentative d’assaut. Au cœur de la tourmente, 1 268 réfugiés se retrouveront entassés dans l’enceinte de l’établissement de 113 chambres. On dort parfois à même le sol dans les couloirs et, bientôt, il faudra se résoudre à boire l’eau de la piscine, alors que les tueurs rôdent sans cesse dans les parages et que la ville est bombardée par les forces du Front patriotique rwandais (FPR), un mouvement rebelle qui va s’opposer au régime génocidaire.

C’est cette version de l’histoire que choisit de raconter, en 2004, le réalisateur Terry George dans Hôtel Rwanda. Un vrai mélo de série B, tout de même sélectionné pour trois oscars. Son «héros» devient la coqueluche des médias du monde entier. Il enchaîne tournées sur tournées et reçoit, en 2005, la «médaille de la liberté» des mains du président américain George Bush, qui l’accueille à la Maison Blanche.

«Profiteur cynique»

Mais peu à peu, une autre version de l’histoire s’esquisse. Les langues se délient et dressent le portrait moins flatteur d’un manager qui faisait payer les chambres et rançonnait les réfugiés. «Un profiteur cynique qui s’est constitué un capital grâce au génocide», décrit un témoin dans une enquête publiée, en 2012, par le journal allemand Süddeutsche Zeitung.

Interrogé à l’époque par le journaliste dans sa maison de la banlieue de Bruxelles (il en possède alors une autre au Texas), Paul Rusesabagina ne nie pas avoir fait payer les chambres, mais souligne que ce fut pendant un temps limité. Pour le reste, il rejette en bloc les soupçons contre lui, affirmant être l’objet d’une cabale en raison de son opposition au président Paul Kagame, l’homme qui, à la tête du FPR, a pris le pouvoir en 1994 et se trouve encore aujourd’hui à la tête du pays. En 2015, une enquête du journal le Monde soulignera pourtant les mêmes ambiguïtés sur le rôle d’un «héros» décidément très controversé.

Surtout, l’ex-manager devenu opposant en exil côtoie bientôt les milieux les plus extrémistes. En 2010, il est ainsi accusé par Kigali d’avoir financé les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), un mouvement rebelle initié par d’anciens génocidaires, basé en république démocratique du Congo (RDC), y multiplie les actes de terreur, tout en ambitionnant de reconquérir le Rwanda par les armes.

Sept ans plus tard, le parti d’opposition créé par Rusesabagina lance sa propre branche armée, qui revendique ouvertement des attaques au sud du Rwanda, l’année suivante. Kigali déclenche alors un mandat d’arrêt international contre lui. En avril 2019, le porte-parole de ce mouvement, le major Calixte Sankara, est extradé des Comores puis emprisonné à Kigali. Il plaide coupable et passe aux aveux, qui seraient accablants pour l’ancien héros d’Hôtel Rwanda, accélérant son extradition. Désormais, le héros déchu est revenu dans son pays natal. Et le film de sa vie amorce un nouvel épisode, sans gloire ni médailles.

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