Même si, pour cause de pandémie, le 34e sommet de l’Union africaine s’est déroulé sous forme de visioconférence, il n’en demeure pas moins un succès personnel pour le président congolais Félix Tshisekedi qui succédera au président sud africain Cyril Ramaphosa. Arrivé à Adis Abeba après un voyage en Egypte émaillé de projets pharaoniques, comme la construction d’une ville nouvelle au large de Kinshasa surpeuplée, le président congolais était accompagné d’une délégation de plusieurs centaines de personnes qui ont célébré ce retour de la RDC sur la scène africaine et internationale, 50 ans après la présidence exercée en 1968 par le président Mobutu Sese Seko.
Cette sorte de couronnement « inter pares » est le point d’orgue d’une longue série de succès politiques par lesquels Félix Tshisekedi, deux ans après la passation du pouvoir « pacifique et civilisée » intervenue entre l’un des candidats à l’élection présidentielle et le président sortant Joseph Kabila, a réussi à s’assurer la totalité du pouvoir et le contrôle de tout l’édifice institutionnel du pays. Le dernier bastion emporté par celui que ses partisans appellent « Fatshi Beton » est la présidence du Sénat : Tambwe Mwamba, l’un des piliers du système kabiliste, a préféré démissionner face à une double offensive judiciaire et politique. Il était accusé d’un présumé détournement de deux millions d’euros et d’un million de dollars qu’il s’était fait remettre à sa résidence le 6 janvier. Sans difficulté, M. Tambwe Mwamba avait pu démentir cette accusation, mais sachant que d’autres griefs allaient être formulés à son encontre à l’occasion de la « Blitzkrieg » menée contre les bastions du système Kabila, il a préféré déclarer forfait. Il sera probablement remplacé par un « bureau d’âge » (le plus ancien et le plus jeune des sénateurs) à l’instar de ce qui s’est passé à la Chambre, dont la présidente Jeanine Mabunda, elle aussi défenestrée, a été remplacée par le plus âgé des parlementaires, Christophe M’Boso, un ancien mobutiste naguère rallié à Kabila puis ayant rejoint Félix Tshisekedi au bon moment.
Quatre jours avant la démission de Tambwe Mwamba, qui est par ailleurs dans le collimateur de la justice internationale, le premier ministre Ilunga Ilunkamba, autre allié de Joseph Kabila avait lui aussi présenté sa démission. L’Assemblée nationale, le Sénat, la Primature : tous les postes occupés jusque là par les « kabilistes » ont donc changé de main en l’espace de deux mois, et l’ancien président, qui s’appuyait jusque là sur une confortable majorité de plus de 300 députés, a vu cette dernière basculer, la plupart des élus se revendiquant jusque là du Front commun pour le Congo ayant rejoint une nouvelle coalition, l’Union sacrée, présentée par M. Tshisekedi et les cadres de son parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social. Les thuriféraires du nouveau maître du pays ont beau souligner que ce dernier a remporté sa victoire politique sans qu’un seul coup de feu soit tiré, et que l’ex président Kabila, retiré dans sa propriété au Katanga où il est protégé par sa garde personnelle, est demeuré totalement silencieux jusqu’à présent, on ne peut s’empêcher de remarquer l’extrême versatilité de la classe politique congolaise, dont les élus changent de camp si on leur propose des gratifications allant de 7000 à 10.000 dollars. L’arme absolue qui avait décidé les « honorables » était d’ailleurs la menace d’une dissolution des deux Assemblées et donc la perte de leurs sièges et de leurs émoluments fixes, sans parler du retour devant leurs électeurs désabusés…
Ayant donc conquis la totalité du pouvoir avec des moyens pacifiques mais non gratuits, M. Tshisekedi a désormais les mains libres pour réaliser ses promesses d’ici les prochaines échéances électorales : lutter contre la misère qui accable deux tiers de la population, ramener la paix dans l’Est du pays où la violence des groupes armés, de l’Ituri jusqu’au Sud Kivu, entraîne chaque semaine des dizaines de morts, calmer le ressentiment du Katanga qui redoute le triomphalisme des Kasaïens, appliquer réellement le premier et le plus populaire de ses engagements c’est à dire la gratuité de l’enseignement et cela alors que la Banque Mondiale, alertée par des fraudes, a suspendu un déboursement de 100 millions de dollars. Le retour d’Addis Abeba sera aussi un retour aux dures réalités du Congo.

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