La CEDEAO a bombé le torse, dimanche, 30 juillet, lors de son court Sommet extraordinaire tenu, à Abuja, sous la présidence du numéro un du Nigeria, Bola Tinubu. Jadis peuplée de 15 pays-membres, la CEDEAO continue à se réduire comme peau de chagrin, et ce à une vitesse extraordinaire. Car en moins de trois ans, elle se retrouve, aujourd’hui, avec 11 membres. Pourquoi une telle soustraction due aux coups d’état militaire du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée et du Niger, voilà la question à laquelle Bola Tinubu doit chercher à répondre, très vite, pour que les coups d’état cessent car il existe d’autres pays exposés dans la sous-région. Qu’on ne citera pas. Mais, Bola aura-t-il le courage quand on sait qu’en Afrique, et surtout, dans la CEDEAO, les dirigeants refusent de se poser les bonnes questions, de peur d’avoir les réponses qui ne les arrangent pas.
Bola Tinubu est prisonnier de ses déclarations récentes quand il avait dit que sous son mandat de président en exercice de la CEDEAO, il allait mettre fin aux coups d’état militaire et créer, rapidement, une force d’intervention rapide pour y faire face en cas de besoin. A peine la salive de ses déclarations séchée, il a eu droit à un coup d’état au Niger, où les militaires ont débarqué un chef d’Etat, démocratiquement, élu. Une vraie élection, du reste, très peu contestée. Pris à son piège, Bola Tinubu veut montrer ses muscles, contrairement, à son prédécesseur, le timoré général, Muhammadu Buhari. Lui, le civil bon teint, veut être vu comme un président à poigne. Du coup, outre les sanctions économiques et sociales, qui restent logiques, il annonce une intervention militaire pour ré-installer Mohamed Bazoum sur son trône. Un début de folie ?
Il faut dire à ce civil qui vient de prendre la présidence du Nigeria, il y a deux mois, et celle en exercice de la CEDEAO, il y a trois semaines, qu’une intervention militaire, serait la chose (surtout) à ne pas faire. Bien sûr que personne ne soutient le coup d’état militaire qui est survenu au Niger, mais, ce coup d’état est déjà là et il a été endossé par toute l’armée. Il est, également, soutenu par les armées du Burkina Faso et du Mali, qui ne refuseraient pas de voler au secours des soldats nigériens si le président du CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie), le général, Abdramane Tchiani, leur en faisait la demande.
D’autre part, logistiquement, une telle opération serait un casse-tête chinois car l’armée du Niger n’est pas la première venue, dans la zone. Aguerrie dans sa lutte contre Boko Haram et les djihadistes du Sahel, elle ne serait pas facile à ramasser comme Bola Tinubu pense à tort. Au contraire, elle serait difficile à manoeuvrer. Et puis, comme on l’a vu, à Niamey, la population est (largement) derrière le putsch, comme ce fut le cas, hier, au Burkina Faso. Qu’on ne se trompe pas en criant à la manipulation des Russes. C’est une insulte à l’endroit des Nigériens.
L’attitude belliqueuse de la France, des Etats-Unis et de l’Union européenne, est une sorte d’appel d’air à la Chine, à la Turquie qui ne demandaient pas tant, et surtout, un appel du pied de la Russie dont les mercenaires de Wagner travailleront, bientôt, main dans la main, une fois la junte bien installée, avec Wagner Mali et Wagner Burkina Faso (qui se négocie actuellement).
Une intervention militaire outre le fait qu’il y aurait un bain de sang comme l’ont déjà averti les putschistes, serait une opération contre-productive sur le plan même de l’intégrité physique de Mohamed Bazoum car les balles perdues, ça existe, et à la guerre comme à la guerre, les putschistes seront tenus de se défendre, d’autant plus qu’ils sont chez eux, et connaissent mieux que quiconque, le terrain des opérations.
Bref, il faut que la sagesse regagne les dirigeants de la CEDEAO dont les egos semblent dicter actuellement la conduite. Il fallait empêcher ce coup d’état qu’Afrique Education avait annoncé l’année dernière quand le magazine critiquait l’attitude très arrogante et méprisante de Mohamed Bazoum à l’endroit du colonel-président, Assimi Goïta, alors que certains de ses officiers montraient, déjà, des accents de colère. Malheureusement, Bazoum lisait Afrique Education sans appliquer ses conseils. Pensant bénéficier des parapluies militaires français et américain, le président destitué se laissait aller dans des écarts de langage inqualifiables, et qu’on n’aurait jamais pu entendre de la bouche de son prédécesseur, Ingénieur, Mahamadou Issoufou (sur notre photo avec Tchiani derrière lui). Il a, donc, récolté ce qu’il a semé.
Il faut juste assurer pour lui et toute sa famille, santé et sécurité absolue. Cela n’est pas négociable. Que rien (absolument rien) ne puisse leur arriver. Il en est de même de 4 ministres, d’un ex-ministre et du patron du PNDS, le parti de l’ex-président, que le CNSP garde depuis la nuit de dimanche 30 juillet, comme otages pouvant, éventuellement, servir de monnaie d’échange, lors de futures négociations. La situation se complique, donc, surtout, pour ceux qui ont, hâtivement, lancé un ultimatum et annoncé une intervention militaire pour libérer Mohamed Bazoum et sa famille. Une opération plus que suicidaire si elle se réalisait.
Il faut que la CEDEAO tourne la page Bazoum, jette son orgueil (mal placé) par terre parce que plusieurs de ses chefs d’Etat dont les compatriotes meurent tous les jours dans la Méditerranée à cause de leur catastrophique mal gouvernance, sont responsables de ce qui arrive. Et ils ne veulent pas qu’on le leur dise car ils se considèrent comme des demi-dieux sur terre. D’autre part, c’est l’occasion d’appeler la France à revoir de fond en comble sa politique africaine qui n’en est plus une. L’Afrique ne veut plus du F CFA, ni de base militaire comme c’est le cas au Gabon, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, etc (la cogestion de ces bases avec les pays concernés est une fausse solution), et puis, que le président, Macron, ait le courage de mettre fin à la françafrique. Ce serait le début du commencement d’une possible résurrection de la France en Afrique.
Il faut entamer des négociations avec le CNSP en désignant un médiateur crédible. En voici quatre possibles : Mahamadou Issoufou (qui est un homme écouté au Niger parce qu’il a fait deux mandats de cinq ans et laissé le pouvoir à un successeur qui lui-même a gagné l’élection), Macky Sall (qui a décidé d’abandonner le pouvoir après ses deux mandats malgré le forcing acharné de son parti et de son gouvernement pour le convaincre de rester), Abdoulaye Wade, prédécesseur de Macky Sall car il est, tout simplement, un homme très intelligent capable d’aider la CEDEAO et les Nigériens à se sortir de cette périlleuse situation, et Olusegun Obasanjo du Nigeria, qui est un habitué de telles médiations, lui-même, étant un ancien général de l’armée du Nigeria et un ancien président démocratiquement élu, qui a abandonné le pouvoir au bout de ses deux mandats de quatre ans.
La présence du jeune et très inexpérimenté, Mahamat Idriss Déby Into, président tchadien de transition lui-même putschiste invétéré mais qui vient donner de supposés-conseils à d’autres putschistes juste parce que son putsch a été, injustement, adoubé par Emmanuel Macron est, tout simplement, inacceptable. C’est de la pure provocation. En cautionnant une telle visite, Bola Tinubu donne l’impression de naviguer à vue, de gérer la CEDEAO comme il gère ses entreprises où il peut faire tout et son contraire sans rendre compte à personne. Alors qu’il a été accepté à la tête de la transition du Tchad parce qu’il ne devait pas se présenter à l’élection présidentielle, Mahamat Déby Itno est en train de changer de discours pour conserver le pouvoir comme son père l’avait, militairement, gardé, avec l’aide des présidents français successifs pendant 30 ans. Tchiani devrait le déclarer persona non grata à Niamey.
Professeur Paul TEDGA
est docteur de l’Université de Paris 9 Dauphine (1988)
Auteur de sept ouvrages