Par Rukwavu Laurent
L’importance du voyage officiel que le Président rwandais s’apprête à effectuer en France ne saute pas aux yeux. Cette visite vaut plus qu’une simple poursuite de la normalisation des relations entre les deux pays. Cette visite va au-delà des contrats commerciaux. La visite officielle du Président Kagame en France, à l’invitation du Président Sarkozy, est un geste manifeste de la souveraineté du Rwanda. Cela signifie: « Nos deux pays se parlent d’égal à égal ». Et ce fait chagrine les mentalités ordinaires de la Françafrique.
Rappelons que ces relations avaient été interrompues pendant trois ans, à l’initiative du Rwanda, suite aux mandats, juridiquement et politiquement désastreux, lancés par un juge français contre des personnalités rwandaises de haut rang. Après Kouchner et Guéant, le Président Sarkozy s’était rendu lui-même au Rwanda pour avouer, en forme d’excuses, les « erreurs » et l' »aveuglement » qui ont conduit la France à s’impliquer dans le processus du génocide de 1994.
Les propos de conciliation de Sarkozy à Kigali avaient soulevé l’indignation des militaires et des hommes politiques français qui étaient en fonction pendant ledit génocide. Car ce sont bien eux qui ont incarné l' »aveuglement » de la France avant, pendant et après le génocide des Batutsi du Rwanda. Ces mêmes hommes, généraux et anciens ministres, sont aujourd’hui littéralement « écoeurés »par l’idée de l’image du Président Kagame recevant les honneurs militaires de la Garde Républicaine avant d’être accueilli par le Président Sarkozy sur le perron du Palais présidentiel.
L’actuel ministre des Affaires Etrangères de Sarkozy sera absent. Il n’avait pas hésité à manifester son hostilité à la visite de Paul Kagame par ces propos virils, mais ô combien puérils ! : « je ne peux pas serrer la main de cet homme ». Le protocole et la coutume, en France, qui veulent que le ministre des Affaires Etrangères soit aux côtés du Président pour accueillir une délégation présidentielle étrangère ont été balayés d’un coup de mépris par le ministre d’Etat Alain Juppé. Ayant appris les paroles insultantes de Juppé, le Président du Rwanda avait eu cette réplique, courtoise pour la France et son Président, mais humiliante pour le ministre : « la politique de la France ne se résume pas à Alain Juppé ».
A la rescousse du ministre, un général à la retraite, Didier Tauzin, déclare au quotidien « Sud-Ouest » du 29.08.2011, à propos de la visite de Paul Kagame: « Je suis sali…Toute l’armée française est salie. La France est salie ». Plus loin, à propos du génocide, le général dit: c’est « 200 000 morts maximum ».
Je ne connais pas l’état de santé mentale du général Tauzin, mais ses propos appellent deux conclusions « minimum »:
1. L’invitation du Président français à son homologue rwandais « salit » la France et toute son armée, affirme le général Tauzin. 2. « 200 000 morts » au maximum dans la tête du général Tauzin: est-ce pur révisionnisme idéologique ou a-t-il effectué un comptage effectif des cadavres, puisqu’il était sur place ?
Les récriminations maladroites et violentes contre l’action diplomatique du président de la République française par un ministre d’Etat, ministre des Affaires Etrangères, sont-elles une simple cacophonie ou une concertation non avouée avec son patron?
Quelles que soient les interrogations et les réponses que soulèvent les déclarations colonialistes de certaines personnalités françaises, la ligne de conduite de Paul Kagame ne peut être altérée par des bavardages, même inspirés par la haine et le mépris. Sa visite en France fait partie de son action, dans l’intérêt de son pays.
A la question de Jeune Afrique, « Qui est l’homme Kagame ? », l’écrivain sénégalais Boubacar Diop disait : » Il a du caractère, et son leadership a été décisif après le génocide. Si certains le haïssent de manière aussi irrationnelle, c’est parce qu’ils attendent d’un chef d’Etat africain qu’il soit jouisseur, corrompu et surtout docile. Kagame ne correspond en rien à cette image. »(10.06.2011, interview).
Ailleurs, à propos de la Côte d’Ivoire, c’est Kagame lui-même qui déclare: » Le fait que, cinquante ans après les indépendances, le destin du peuple ivoirien, mais aussi son économie, sa monnaie, sa vie politque, soient encore contrôlés par l’ancienne puissance coloniale pose problème. Plus je regarde [les Ivoiriens], et plus je vois l’ombre d’un metteur en scène étranger. » (Jeune Afrique, 15.05.2011, interview).
Voilà l’homme que haïssent et craignent Alain Juppé, le général et leurs amis. Ils craignent que cet homme ne puisse être un modèle pour les autres pays africains, surtout ceux de l’empire colonial français. Un exemple d’autonomie. Paul Kagame accomplira un voyage officiel dans le respect qu’exige la stricte réciprocité.
Texte légèrement corrigé le 09 septembre 2011
Lille, le 30.08.201 |