Arrivée de Laurent BUCYIBARUTA à l’audience
By Alain GAUTHIER*
Avant d’ouvrir la séance consacrée au procès de Laurent BUCYIBARUTA, monsieur le Président LAVERGNE fixe les dates du procès au civil de Claude MUHAYIMANA, condamné en décembre dernier à 14 ans de détention: ce sera pour le 10 octobre 2022.
Monsieur le président annonce que le procès sera bien filmé et archivé, comme les trois précédents. Vu la durée des débats, un assesseur complémentaire est désigné aux côtés des deux qui participeront au procès.
Il est ensuite demandé à l’accusé de se présenter succinctement. Il est actuellement sous contrôle judiciaire et comparaît libre.
Suit alors la séance consacrée au tirage au sort des jurés: 5 femmes et un homme constitueront le jury auxquels seront adjoints 6 jurés supplémentaires qui pourraient être amenés à prendre la place d’un juré défaillant. Tous prêtent alors serment.
Le reste de l’après-midi sera consacré aux conclusions de la défense visant à l’annulation du procès: « Un procès injuste est bien pire que l’absence de procès » commencera maître BIJU-DUVAL qui juge ce procès «inéquitable». Et d’évoquer « des rumeurs, des manipulations politiques » rendant impossible la «vérité nécessaire». Car ce procès vient trop tard, l’institution judiciaire ayant été «défaillante». Le «délai raisonnable» n’a pas été respecté et l’accusé n’est en rien responsable. El l’avocat d’énumérer les différentes raisons du retard apporté à juger son client.
Toujours selon la défense, ce retard a des conséquences sur les droits de l’accusé. Malade, âgé, Laurent BUCYIBARUTA ne sera pas en état de se défendre. De plus, son épouse est malade et ne pourra pas venir témoigner.
Pire, des témoins décisifs de la défense sont décédés, «des témoins irremplaçables». Et de citer Madeleine RAFFIN, responsable de la Caritas à Gikongoro en 1994, monseigneur MISAGO, évêque de Gikongoro, mort en 2012 après avoir été «acquitté par des juges courageux» : il ne pourra pas venir témoigner. Le bourgmestre HIGIRO, lui aussi décédé en 2020, aurait pu témoigner en faveur de l’accusé. Pour lui aussi, «le procès vient trop tard».
Maître BIJU-DUVAL demande donc l’annulation du procès.
Maître Simon FOREMAN, avocat du CPCR, évoque «une curieuse introduction de ce procès». «Une instruction de 22 ans, ce serait de la faute de l’institution judiciaire»? Or, «le CPCR n’a pas ménagé ses peines pendant 22 ans». Des interventions auprès des différents Gardes des Sceaux ont été faites. Pendant longtemps, « nous avons demandé la création d’un pôle spécialisé qui sera finalement créé en 2012. » Et d’ajouter: « On regrette tous cette lenteur de la justice. Mais faire annuler le procès, c’est impossible. »
L’avocat du CPCR continue sa démonstration: « Laurent BUCYIBARUTA a choisi de fuir son pays pour se réfugier en France. S’il était resté au Rwanda, il aurait été jugé depuis longtemps. De même s’il avait accepté d’être remis au TPIR». Il avait alors préféré rester en France. Le TPIR finira par renoncer à sa remise en 2007 et demandera à la France de le juger. Contrairement au CPCR, la défense n’a jamais demandé plus de moyens à la justice française: « Le procès ne doit pas être annulé. »
Maître FOREMAN de conclure: « Le droit d’un délai raisonnable est aussi un droit des victimes. En annulant le procès, ce serait une double peine pour les victimes. L’absence de délai raisonnable se règle par des indemnités, non par une annulation du procès. Ce recours arrive trop tard. Il aurait dû être fait avant la clôture de l’instruction. La demande de nullité est irrecevable, sur le fond et sur la forme. »
L’avocat de la LICRA précise qu’à ce stade, nous n’avons pas le droit d’évoquer le fond de l’affaire, que les faits reprochés à l’accusé sont imprescriptibles. « Pendant 20 ans l’accusé a eu l’occasion de se défendre. Il l’aura encore pendant les deux mois du procès. Vous rejetterez les conclusions de la défense. »
Tour à tour, tous les avocats des parties civiles exprimeront leur accord avec maître Simon FOREMAN.
Le ministère public égrainera à son tour toutes les raisons pour lesquelles le procès doit être conduit à son terme, rappelant les différentes étapes de la procédure. Selon les experts médicaux, Laurent BUCYIBARUTA peut comparaître. «Tout a été mis en œuvre pour que les droits de Laurent BUCYIBARUTA soient respectés». Et l’avocate générale de rappeler que « la défense n’a jamais évoqué des manquements au cours de la procédure. La défense sait que cette demande est irrecevable ». Et de conclure à son tour: «Nous vous demandons de dire la demande de la défense mal fondée et donc irrecevable. »
Maître BIJU-DUVAL reprend la parole pour citer longuement des extraits du livre de Madeleine RAFFIN, revenant ainsi sur le fond de l’affaire. Maître GOLDMAN, de la LICRA intervient pour l’arrêter. Monsieur le président LAVERGNE consentira à son tour à rappeler à l’ordre l’avocat de la défense.
Monsieur Laurent BUCYIBARUTA aura la parole à son tour. Il partage les arguments avancés par ses défenseurs.
La Cour se retire pour délibérer. A son retour, le président LAVERGNE, sans surprise, annonce que la demande de la défense est rejetée. Le procès pourra donc se poursuivre.
Le reste de l’après-midi sera consacré à la déclaration des parties civiles. Chacun leur tour, les avocats renouvelleront les constitutions de leurs parties civiles, la défense décidée à ne pas leur faire de cadeau. Maître LEVY demande que soient respectées les règles de droit. Il est impensable d’accepter des parties civiles de victimes tuées sur des sites pour lesquels son client n’est pas poursuivi. Ce que personne d’ailleurs ne lui conteste.
Monsieur le président de la Cour d’assises tente de trouver un compromis. Il demande à la défense de signaler pour le lendemain les parties civiles qu’elle souhaite contester. Maître LEVY fera tout son possible pour accéder à sa demande. Il souhaite simplement qu’on fournisse des preuves pour que les constitutions de parties civiles soient jugées recevables.
L’audience est alors suspendue. Les débats reprendront le lendemain à 9h 30, la lecture de l’acte d’accusation n’ayant pu être abordée. (Fin).
*Alain GAUTHIER, président du CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda). Depuis sa création, le CPCR n’a cessé de préparer des plaintes à l’encontre des présumés auteurs du génocide contre les Batutsi du Rwanda en 1994 qui ont trouvé refuge en France.