(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Au Rwanda, les 100 jours de commémoration annuelle du génocide ravivent les blessures, surtout chez les jeunes, qui commencent à comprendre ce qui s’est passé en 1994. Les plus fragiles sont pris de violentes crises de traumatisme.

Des centaines de personnes lancent des fleurs dans la rivière Sebeya, à Rubavu, au nord-ouest du Rwanda, mi-mai dernier, pour rendre hommage à toutes les victimes du génocide mortes noyées après avoir été jetées à l’eau. Le ministre de la Culture invite tout un chacun à reprendre espoir, mais la tristesse se lit sur tous les visages. Un rescapé remue le couteau dans la plaie en racontant son passé.
Des pleurs et des cris jaillissent de partout. Des secouristes et conseillers en traumatisme éloignent les personnes en proie à des crises pour leur apporter une aide psychologique. Beaucoup ont peur et veulent se cacher. Pour ce psychologue, Dr Simon Gasibirege, « en dehors des signes que manifestent ces patients, bon nombre d’enfants, qui ont des blessures psychologiques, passent des nuits agitées avec des cauchemars, urinent au lit, ou se replient sur eux-mêmes. Ce sont des enfants qui passent plusieurs années à l’école sans pouvoir suivre en classe ».
Le nombre exact de ces enfants n’est pas connu. Une enquête, menée en 1995 au lendemain du génocide par l’UNICEF, avait cependant permis d’établir que 80 % des enfants rwandais avaient perdu des membres de leur famille immédiate et que plus d’un tiers avaient été témoins de leur assassinat. Pour un psychiatre, « ces crises de trauma n’affectent pas seulement les rescapés du génocide, mais aussi les orphelins et les enfants dont les parents ont disparu pendant la guerre ou ont été emprisonnés pour génocide en raison de la culpabilisation ou de la stigmatisation dont ils sont souvent l’objet ». « Ces enfants sont souvent appelés, par leurs camarades, génocidaires comme leurs parents, ce qui les perturbe », constate Joséphine, une étudiante à l’Université libre de Kigali.

Comprendre le passé
Lucie, 18 ans, élève et chanteuse dans une chorale chrétienne de l’école secondaire de Nyanza (Sud), se défoule dans des activités et loisirs scolaires. Mais, la mort horrible des siens, lors du génocide, reste gravée dans son esprit et ce souvenir se ravive à chaque période de commémoration. Derrière son air joyeux et souriant, se cache un traumatisme grave qui l’amène à l’hôpital, chaque mois d’avril, depuis trois ans. « Quand je pique une crise, je me cache dans la brousse alors qu’il fait jour et quand je vois mes collègues, je pense que ce sont des tueurs qui reviennent », témoigne-t-elle. Pour elle, le génocide ne s’est pas achevé en 1994 : il ronge sa vie au quotidien.
Chaque année, d’avril à juillet, durant 100 jours, le Rwanda commémore le génocide, qui a emporté, selon l’ONU, 800 000 vies humaines. Les rescapés et les accusés participent ensemble à l’exhumation et à l’enterrement des restes des victimes, suivent des discours et voient des films sur ces événements, etc. D’aucuns estiment que ces activités ravivent leurs blessures. « Avant, ces enfants étaient trop petits pour y penser, mais maintenant, en devenant adultes, ils commencent à vouloir comprendre leur passé, leur présent et leur avenir »; explique le docteur Eugène Rutembesa, professeur à l’Université nationale du Rwanda.

Guérison de groupe
Au centre de guérison des blessures de la vie, à Kacyiru, le docteur Gasibirege, un ancien enseignant d’université retraité, pratique la psychothérapie de groupe pour les jeunes. Cette technique permet de soigner jusqu’à 100 personnes. « On fait en sorte que chaque enfant soigne l’autre. L’enfant partage sa vie avec les autres et en écoutant leurs témoignages, il sent qu’il n’est pas le plus malheureux du monde », explique-t-il, optimiste quant à leur guérison. « On essaie de projeter un autre film intéressant, un film qui ne culpabilise personne, mais qui aide chacun à accepter sa situation », poursuit-il. Pour Marie, 16 ans, « empêcher les enfants de commémorer serait une meilleure solution au problème du traumatisme ». « J’aimerais qu’on m’éloigne de ces films », confie cette jeune rescapée qui vit dans une « famille » de 20 orphelins du génocide, à Matyazo (Nord). Mais, le psychologue Rutembesa n’est pas de cet avis : « Ce serait une erreur. Il faut laisser les enfants comprendre, participer et les laisser pleurer. ».

 
 
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Posté par rwandaises.com