LE GÉNOCIDE DE 1994 AU RWANDA

 

Communiqué de l’association Survie, publié à Paris le 23 juillet 2007

 

Deux présumés exécutants du génocide des Tutsi rwandais exilés en France ont été arrêtés dans leur lieu de résidence le 20 juillet dernier. Le père MUNYESHYAKA, ancien vicaire de la paroisse de la Sainte Famille de Kigali, et l’ancien préfet de Gikongoro, Laurent BUCYIBARUTA, ont été transférés à la prison de la Santé de Paris. Inculpés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour crime de génocide*, ils font l’objet de mandats d’arrêt délivrés par ce Tribunal. L’un et l’autre sont visés par des plaintes déposées en France, contre le prêtre depuis 1995, contre l’ancien préfet depuis 2000. Ces plaintes ont jusqu’ici donné lieu à d’incroyables tergiversations, au point que, dans le cas de l’ancien vicaire de Kigali, la France a été condamnée, le 8 juin 2004, par la Cour Européenne des droits de l’Homme pour la lenteur de sa justice.

 

Cette décision de la justice française me donne l’occasion de publier ci-dessous le passage d’un manuscrit rédigé en 1996, que je n’avais pas réussi à publier faute d’éditeur. Le titre était le suivant : « RWANDA 1994 : LE TROISIÈME GÉNOCIDE DU SIÈCLE. (Tahar BENJELLOUN : Un siècle laid !) » Je me propose de publier l’intégralité de ce manuscrit sur ce site.

 

 

L’AFFAIRE MUNYESHYAKA.

 

Au cours de l'été 1995, à la suite d'informations publiées par la revue catholique “Golias”, le père hutu rwandais Wenceslas MUNYESHYAKA est arrêté dans le sud de la France où il a trouvé refuge quelque temps après le génocide. De nombreux Tutsis réfugiés en France l'accusent d'avoir, pendant le génocide, livré aux miliciens – qui les ont assassinés – des Tutsis réfugiés à la paroisse de la Sainte Famille dont il avait la charge. Soutenu par ses collègues français, le prélat rwandais se défend comme un beau diable – c'est vraiment le cas de le dire ! -, clamant son innocence à tout vent. Il est remis en liberté après quelques jours de détention. Même si la présomption d'innocence doit bénéficier à un accusé tant que sa culpabilité n'est pas clairement établie, des faits troublants rendent crédibles les accusations portées contre le père MUNYESHYAKA.

 Il y a d'abord cette fameuse lettre adressée par 29 prêtres hutus rwandais, au Pape, dont il est l’un des signataires. Le ton de ce manifeste est, comme nous l'avons montré, particulièrement virulent contre les Tutsis. Ensuite, Alain FRILET signalait dans “Libération” en juin 1994 que 5 000 Tutsis avaient trouvé refuge à l'Église Sainte Famille et à la paroisse Saint Paul. Le mardi 15/6/94, “les miliciens ont emmené puis exécuté une cinquantaine de jeunes gens”, ce qui poussa le chef d'état-major adjoint de la MINUAR, le général ghanéen Henry ANYIDOHO à mener une enquête sur place. Pendant ces incidents, le comportement du père MUNYESHYAKA fut particulièrement ambigu. A. FRILET écrivait en effet : “L'abbé Wenceslas MUNYESHYAKA a reconnu avoir, “comme d'habitude”, invité les miliciens à rentrer au vu du document.[1] Le curieux homme d'église, pistolet à la ceinture et gilet pare-balles, se défend d'avoir livré des enfants à la milice, comme il l'a, dit-il, entendu à la radio. “C'était des adultes, alors vous voyez[2]. a précisé l'ecclésiastique, en fustigeant les 400 réfugiés qui ont “eu la chance de faire partie lundi du convoi de l'ONU” d'avoir ensuite osé “témoigner sur les antennes de la radio rebelle des massacres perpétrés par les miliciens à l'Eglise Sainte Famille. Evidemment, ça a excité les miliciens et je comprends qu'ils soient revenus le lendemain pour en enlever une cinquantaine.””

Après les accusations portées contre le prélat en France en 1995, A. FRILET apportera d'autres précisions à propos de la paroisse de la Sainte Famille que dirigeait cet abbé :[3] “La Sainte Famille s'était transformée en un enfer. Le père Wenceslas, pistolet à la ceinture, en était devenu le gardien. Le 16 juin, en pleine guerre, un des commandants de la MINUAR avait obtenu des autorités militaires et préfectorales de se rendre à la Sainte Famille accompagné de journalistes. Il y a trouvé un spectacle terrifiant. Des enfants hagards, des vieux qui marchaient avec peine, des mourants qui gisaient dans la sacristie transformée en hôpital. Et une même peur sur tous les visages. Deux jours auparavant, rapportèrent les réfugiés, les miliciens étaient venus chercher une cinquante de réfugiés dont les noms étaient couchés sur une liste préétablie. Tous ont été sauvagement exécutés à l'arme blanche. Leurs corps n'ont jamais été retrouvés. Le père Wenceslas avait lui-même, selon les témoins, ouvert la porte aux miliciens. Cette liste “officielle” signée du préfet, du bourgmestre et visée par le ministère de la Défense “comme d'habitude” avait, explique-t-il, valeur de laissez-passer. Aujourd'hui les témoignages affluent sur la complicité du prêtre dans le génocide. Si certains des survivants préfèrent encore garder l'anonymat par peur des représailles, d'autres ont décidé de signer leur récit. Marie-Louise NYILINKWAYA, 26 ans, par exemple. Fille de l'ancien vice-président du Parti Libéral, elle a assisté à l'assassinat de son père par des éléments de la garde présidentielle et a réussi, après avoir été cachée pendant plusieurs jours par un voisin hutu à se réfugier à l'Église de la Sainte Famille. On m'avait dit en arrivant, raconte-t-elle, qu'il ne fallait pas que je décline ma véritable identité au père Wenceslas parce que le registre sur lequel il écrivait les noms des réfugiés servait aux miliciens pour établir les listes de leurs futures victimes. Autre témoignage, celui de Bernadette KANZAYRÉ, la secrétaire de l'Association des Volontaires de la Paix, elle-même réfugiée au Centre Saint-Paul mitoyen de la Sainte Famille. Dans son rapport, qui devait paraître dans le rapport du Comité pour le Respect des Droits de l'Homme et la Démocratie au Rwanda, elle raconte comment “le père Wenceslas MUNYESHYAKA se trouvait le 22 avril (94) au Centre des missionnaires d'Afrique en compagnie des hautes autorités de la préfecture de Kigali en train d'assister aux forfaits des tueurs, parmi lesquels une majorité d'Interahamwe, occupés à sélectionner les Tutsis destinés à la boucherie. Ce jour là 35 hommes, adultes et jeunes hommes parmi ceux qui venaient d'être sélectionnés furent massacrés.” Le mari et les deux fils de Rose RWANGA faisaient partie de ces victimes. Dans son témoignage recueilli par African Rights, une association de défense des droits de l'homme, elle raconte comment le lendemain, une fois arrivée avec sa fille Hyacinthe à la Sainte Famille, elles furent interrogées par le père Wenceslas. “Il voulait savoir, en cas d'évacuation par les Nations Unies, si nous souhaitions rejoindre les zones contrôlées par le FPR ou celles des forces gouvernementales. Ce choix aurait dû rester secret, raconte-t-elle, mais le père Wenceslas a transmis la liste à l'ONU et une copie aux miliciens. C'était une façon de nous livrer aux bourreaux.” Rose, Marie-Louise et d'autres femmes qui ont survécu affirment aussi que le père Wenceslas offrait aux jeunes filles la vie sauve à condition qu'elles acceptent de coucher avec lui. Immaculée MUKESHIMANA, une mère de sept enfants réfugiée elle aussi à la Sainte Famille, accuse pour sa part le père Wenceslas d'avoir facilité le transfert de certaines jeunes filles vers l'Hôtel des Mille Collines après avoir reçu leurs faveurs. “Il les avait installées dans trois chambres derrière les bureaux de Caritas à la Sainte Famille. On n'aurait pas cru que ces filles étaient des réfugiées, tant elles étaient bien nourries. Elles pouvaient même se laver, se souvient Immaculée. Elles étaient choyées par Wenceslas qui en avait fait ses concubines et qui les mettait ensuite à l'abri aux Mille Collines.” Dans la nuit du 16 juin un commando du FPR libère plusieurs centaines de réfugiés de l'Église Saint-Paul et les transfert vers les zones sous son contrôle. Le lendemain, le père Wenceslas assiste au massacre en représailles d'une centaine de réfugiés dans son église. Quelques heures plus tôt, se souvient Rose RWANGA, “le père Wenceslas était venu nous voir pour nous dire que les Inkotanyi[4] avaient tué tous les Hutus de Saint-Paul et qu'ils avaient seulement évacué les Tutsis. Il nous a dit que nous ne devions pas être surprises si les miliciens lançaient des représailles. Ma fille Hyacinthe le supplia de la cacher mais il refusa arguant du fait qu'elle avait refusé ses avances. Les miliciens sont arrivés à 10h et ont sélectionné de nombreux hommes et garçons, ainsi que deux filles. L'une d'elles était Hyacinthe. Ils l'ont tuée à côté de moi.”” Il y a fort à parier que l'autre fille avait dû, comme Hyacinthe, refuser les avances du prélat… À signaler que “Le Monde” rapportait dans son édition des 5 et 6/6/94 ces propos ambigus de ce père Wenceslas : “Les relations entre les gens se tendent quand le front évolue. Il faut arriver à un cessez-le-feu; c'est le seul moyen de calmer la population. Il y a des militaires et même des miliciens qui ont amené des familles tutsi dans mon église.”  Alors, à quel “front” faisait-il allusion ? La guerre, ou le Front Patriotique Rwandais ?

À l'inverse de son collègue, le Père Stanislas URBANIAK, de la paroisse de Tambwé, dans la commune de Ruhango, refusa de livrer aux miliciens les 500 personnes qui avaient trouvé refuge dans sa paroisse. Voici un extrait des propos hallucinants échangés entre le missionnaire et les tueurs. Il leur lança courageusement : “Tuez-moi plutôt ! – Padre, nous ne voulons pas vous tuer. Nous voulons seulement les Tutsis. – Non, je suis serviteur de Dieu qui est le Père de tous les hommes. – Alors donnez-nous la clé de l'église. – Je ne peux pas. – Alors nous allons la détruire. – Allez-y, c'est la vôtre ! Ils ont hésité un instant, se sont consultés, puis ils ont fendu la petite porte métallique de l'entrée à coups de hache. Ils ont molesté mes protégés pour les faire sortir plus vite. Depuis qu'ils étaient là, j'avais eu le temps de tous les confesser et j'avais célébré plusieurs messes à leur intention : ils étaient forts, préparés intérieurement. Ils savaient qu'ils allaient mourir. Ils ont quitté l'église en chantant et en priant.” Justice sera-t-elle rendue à ceux qui ont porté ces graves accusations contre l'abbé MUNYESHYAKA? Rien n'est moins sûr. Alain FRILET n'était pas très optimiste : “À Montpellier, Jean-Louis NYILINKWAYA, fils de l'ancien vice-président du Parti Libéral abattu à Kigali en avril 1994 a déposé le 1er mars 1995 une plainte avec constitution de partie civile. Il souhaite que les auteurs du génocide qui ont trouvé refuge en France soient arrêtés aux fins d'être déférés devant un tribunal.” Compte tenu de la puissance de l'Église catholique et de sa triste propension à protéger des criminels nazis notoires comme l'a montré l'affaire TOUVIER – elle a d'ailleurs fait monter au créneau plusieurs prêtres français pour témoigner de l'innocence de leur collègue rwandais -, on peut sérieusement douter que cette plainte aboutisse. D'autant plus que, comme le relevait A. FRILET, “hésitant à ouvrir une information judiciaire au vu de la “dimension internationale de cette affaire”, le parquet avait requis l'avis de la Chancellerie”. En réponse, “le ministère de la Justice nous faisait savoir que “les juridictions françaises étaient incompétentes pour juger des faits commis à l'étranger par des étrangers, sur des étrangers.” Cette position, nous disait-on, sera inchangée à moins d'être en “présence d'éléments qui indiquent la présence sur le territoire national de criminels de guerre rwandais…”” Fort heureusement, sous la pression de l'opinion, la France est revenue sur sa position en adaptant sa législation. Désormais les tribunaux français seront compétents pour ce genre de dossier. L'Église fit cependant bloc derrière le père MUNYESHYAKA, un des siens. Rien de surprenant à cela. La revue “Golias” signalait, à la mi-juillet 96, que le Vatican abritait, et avait fait accueillir dans certains diocèses en Europe, notamment en France et en Belgique, de nombreux prélats hutus rwandais ayant pris une part active au génocide. “Comme on le voit, des hommes d'Église rwandais ont souillé leur soutane du sang d'innocentes victimes. Pourquoi cette Église rwandaise a-t-elle foulé aux pieds ses propres engagements, elle qui, le 31 mai 1991, avait publié une lettre pastorale retentissante (par ses prises de position courageuses) pour interpeller le gouvernement de Juvenal HABYARIMANA, quelque temps avant l'adoption du « système démocratique basé sur le multipartisme ? »

Dans une fameuse lettre pastorale adressée à HABYARIMANA, les évêques rwandais adoptaient d’entrée un langage direct et sans équivoque. Estimant que le multipartisme, « certains s'en réjouissent, d'autres l'appréhendent”, ils lançaient aux citoyens-chrétiens: “N'ayez pas peur!”, parodiant “les paroles d'apaisement de Jésus-Christ à ses disciples bouleversés par la tempête qui secouait leur barque. » Et ils ajoutaient: « C'est le vote qui mettra fin aux controverses et révélera les dirigeants qui méritent le soutien de chacun pour faire avancer le pays. (…) Mais si, depuis octobre 1990, notre pays est ébranlé par la guerre, même si la pauvreté nous guette et si la sécurité est la préoccupation de chaque instant, l'instauration du multipartisme amorce un processus irréversible. » Interpellant les journalistes pour qu'ils “parlent vrai, se gardant de mentir, diffamer, répandre des rumeurs et saboter”, ils leur demandaient d'“expliquer à la population les voies de la démocratie, l'instauration du multipartisme se réalisant sans secousse et avec une bonne préparation. Conservez donc votre sagesse habituelle afin de parvenir au système de multipartisme dans la sérénité qui ne compose pas avec les conflits et les divisions.” Malheureusement ils ne seront pas entendus par les “journalistes” de la RTLM et de “Kangura”. Après avoir rappelé que “la DÉMOCRATIE est le gouvernement du peuple, issu du peuple et au service des citoyens. La principale caractéristique de ce système est la participation de chacun”, ils précisaient que “l'Église, qui ne privilégie aucun modèle de gouvernement, apprécie le système démocratique comme système qui assure la participation des citoyens aux choix politiques et garantit aux gouvernés la possibilité de choisir et de contrôler les gouvernants, ou de les remplacer de manière pacifique lorsque cela s'avère opportun…”

Le message adressé au régime était clair: “Notre Rwanda sera en authentique démocratie le jour où il sera “gouverné par un État de droit et sur la base d'une conception correcte de la personne humaine.” (…) La politique de notre pays fera honneur à l'idéal démocratique lorsqu'elle défendra le peuple tout entier en privilégiant les laissés-pour-compte. L'autorité doit surtout s'appliquer à la protection du bien commun et à l'amélioration des conditions de la population.” Abordant la place et le rôle de l'Église dans ce contexte, ils rappelaient fort opportunément que “l'autorité de l'Église ne se confond pas avec le pouvoir de l'État: l'Église, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d'aucune manière avec la communauté politique et n'est liée à aucun système politique… Sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l'Église sont indépendantes l'une de l'autre et autonomes. (…) La loi de l'Église ne reconnaît pas aux évêques , prêtres et diacres la faculté d'assumer la direction d'un parti. Ces directives se trouvent dans ces articles:

                “ – “Il est interdit aux clercs de remplir les charges publiques qui comportent une participation à l'exercice du pouvoir civil.

                “ – “Les clercs s'appliqueront toujours et le plus possible à maintenir entre les hommes la paix et la concorde fondée sur la justice.

                “ – “Ils ne prendront pas une part active dans les partis politiques ni dans la direction des associations syndicales, à moins que, au jugement des autorités ecclésiastiques compétentes,  la défense des droits de l'Église ou la promotion du bien commun ne le requièrent.[5].

Ils précisaient aussi : “Les vœux des religieux et religieuses ne leur permettent pas de participer à la direction des partis politiques. Mais il est bon que les évêques, prêtres, diacres, religieux et religieuses se tiennent au courant de ce que projette le pouvoir politique en vue de construire le pays. Dans leurs conversations, prédications et écrits, ils se garderont de faire la propagande des idéologies des partis. Leurs maisons et leurs établissements ne seront pas le lieu où se mène la politique et se tiennent des meetings. Qu'ils fassent attention aux personnes qui pourraient les influencer avec leurs idéologies ethniques ou régionalistes !» Les évêques rappelaient également que “lors des préparatifs de la visite du Pape au Rwanda, nous rappelions ce qu'il fallait corriger : les pots-de-vin, le détournement des biens publics, l'accaparement du patrimoine, l'ethnisme ou le régionalisme, l'usage de l'oppression par des contraintes et des menaces, ainsi que le manque de transparence.”

Il est regrettable que certains de ces évêques aient “oublié” de mettre leurs actes en conformité avec leurs recommandations. En effet, au moment même où ils signaient leur “lettre pastorale”, l'un des leurs, Mgr Vincent NSENGIYUMVA, archevêque de Kigali, était membre du comité central du MRND, parti au pouvoir, un parti qui allait se distinguer par des exactions politiques et des massacres à caractère ethnique. Cet évêque ne démissionna de ses fonctions politiques que fin 1992, à la suite d'ailleurs de très fortes pressions du Vatican. En outre, l'Église s'était laissée gagner par les violents courants ethnistes qui s’étaient emparés de la classe politique. Ce qui explique peut-être le lourd tribut qu'elle a payé pendant la folie meurtrière qui s'est emparée du Rwanda en 1994. L'Agence Internationale FIDÈS[6] publia la liste des quelque “241 victimes dans le personnel de l'Èglise du Rwanda : 3 évêques, 101 prêtres (96 diocésains, 5 religieux), 45 frères, 64 religieuses et 28 laïcs.” Parmi les principales victimes, l'archevêque de Kigali, Mgr Vincent NSENGIYUMVA, Mgr Thaddée NSENGIYUMVA, président de la conférence épiscopale des évêques catholiques (un Tutsi tué peut-être par erreur à cause de son homonymie avec son collègue) et Mgr Joseph RUZINDANA, évêque de Byumba, tous assassinés par des éléments du FPR à Kabgayi. Faut-il y voir un symbole ? H.T. signalait dans “Le Monde” du 10/6/94 qu'ils avaient été tués à Kabgayi, “lieu symbolique dans l'histoire politique du Rwanda. En effet, c'est là qu'avait commencé en 1959 la révolution hutue contre le régime tutsi, alors largement soutenue par Mgr PERRAUDIN, père blanc du diocèse jusqu'en 1989.”

Le père DANIEL-ANGE, ancien missionnaire au Rwanda (dont il avait même pris la nationalité) témoigna de ces tueries dont l'Église était victime :[7] “Dans mon seul diocèse de Nyundo : 25 prêtres et 43 religieuses, soit la moitié des ouvriers apostoliques, avec la cathédrale et les églises détruites. Sur l'ensemble du pays on frise déjà les 100 prêtres, dont 3 évêques, sur les 37O prêtres et 8 évêques du Rwanda. Imaginez en France : 10 000 prêtres et 35 évêques trucidés en quatre semaines ! Parfois dans des conditions atroces. L'un d'eux, à Gisenyi, jeté vivant dans une fosse de cadavres : “va dire la messe avec tes fidèles !” Et de déverser sur lui une benne entière de cadavres.” Ce qui semblait le plus révolter ce prélat était le fait que “là où l'Église était la plus rayonnante d'Afrique, on se déchaîne pour la déraciner… Oui… L'Église est visée, la première, parce qu'elle est en première ligne sur le front de la défense de l'homme en sa faiblesse. On tue prêtres et consacrés parce que, inlassablement, ils ont résisté contre toute forme de discrimination ethnique ou sociale. Parce que l'Église a su, jusque dans son clergé et dans sa hiérarchie, ne faire aucune distinction, non sans inévitables tensions. Elle en devient intolérable à ceux qu'habite la haine raciale…” Il admettait cependant : “C'est sûr, bien des baptisés ont été renégats, ont massacré. Les évêques l'ont humblement reconnu, ainsi que le Pape. Mais qui jettera la première pierre ? Durant nos querelles tribales, ethniques et idéologiques d'Europe – pendant l'avant dernière guerre précédant celle des Balkans – n'y eut-il pas des baptisés parmi les criminels ? Après combien de siècles de christianisation? Nous ne sommes qu'à l'aube de l'ère chrétienne.” Il relevait avec une amère ironie que “étrangement, le Rwanda était l'un des rares pays à n'avoir pas eu des martyrs dès le début de l'évangélisation. Nous ne pouvions en invoquer aucun là-bas, dans nos litanies. Voici donc qu'ils vont être une multitude à pouvoir être invoqués, dont certains sans nul doute canonisés.”

À propos du génocide et d'une réflexion que l'on a fréquemment entendue : “Une tragédie d'une telle violence, qui l'aurait jamais soupçonnée ?”, il faisait cette étrange révélation : “Une personne l'avait prédite, l'avait même montrée avec une précision saisissante : une toute jeune fille. Tout ce que nous voyons sur le petit écran était déjà passé “en vidéo” devant les yeux effrayés d'une jeune Rwandaise, voici treize ans. Nous sommes le 13/8/81. Sur le terrain de football de Kibeho, 20 000 personnes sont massées autour de l'estrade en bois. Elles voient Alphonsine s'évanouissant d'horreur. La foule en repart atterrée. Dans tous ses détails, la guerre civile était montrée jusqu'aux  cadavres mutilés dans les lacs et rivières… Et la Mère de Dieu sanglotait. (…) Comment ne pas faire le rapprochement avec Medjugorje ? Dix ans avant la guerre, même avertissement, mêmes larmes de la Reine de la Paix.” Cruelle coïncidence de l'histoire, que quatorze ans après cette scène prémonitoire de Kibeho, cette localité ait été le théâtre d'un massacre.  (Nous le verrons plus loin, dans un autre chapitre.) Qu'en penser ? Que peut-être tous les diables de l'enfer s’étaient effectivement donné rendez-vous au Rwanda… comme le disait un prêtre américain aux heures chaudes du génocide…

Une éclaircie sur le ciel assombri de l'Église : le 20 mars 1996, le Pape JEAN- PAUL II écrivait à l'épiscopat rwandais pour dire que ceux des membres de l'Église qui avaient participé au génocide devaient avoir le courage d'assumer les actes qu'ils avaient commis contre leurs semblables, et indirectement contre Dieu. En d'autres termes, qu'ils devaient être arrêtés et jugés, chacun devant répondre individuellement de ses actes, l'Église ne pouvant être tenue dans sa totalité pour responsable de ce qui s'était passé au Rwanda…