(AgoraVox 20/10/2008)

Il y a bien eu un unique génocide au Rwanda en 1994, celui des Tutsis. Même les plus propagandistes des hommes politiques n’osent plus le contester et préfèrent tout simplement éviter le sujet. Il faut dire que la dernière tentative, par Dominique de Villepin, de parler de génocides (au pluriel, donc), lui avait valu une réponse cinglante de Patrick de Saint-Exupéry, journaliste au Figaro et aujourd’hui responsable de la revue XXI, dans son livre L’Inavouable, la France au Rwanda.


Mais alors que les génocides des Juifs ou des Arméniens ont réussi, non sans mal, à être reconnus en tant que tels et que leur négation est aujourd’hui un délit à part entière, le cas du génocide rwandais reste exclu jusqu’à aujourd’hui du cadre de ces lois.

Il faut dire qu’en France, le sujet est particulièrement sensible, tant les responsabilités, non du peuple français, mais d’une poignée de dirigeants de l’époque, sont lourdes. Le peuple français serait même d’ailleurs plutôt victime collatérale de ce drame, puisque c’est avec son argent, ses impôts, qu’ont été armés les génocidaires, avec ses soldats qu’a été formé l’appareil extrémiste, avec son aura de patrie des droits de l’homme que l’intervention française a été vendue à l’assemblée de l’ONU par son ambassadeur.

Nul sentiment "d’anti-France" n’anime donc la dénonciation de cette complicité dans ce crime des crimes. C’est précisément l’attachement aux grandes valeurs humanistes de notre pays qui doit nous pousser à examiner cette histoire avec sang-froid et honnêteté. Les 500 pages du récent rapport Mucyo ne doivent pas être perçues comme une charge lourdement documentée contre la France mais contre ceux qui ont marqué de la pure infamie ses principes. Les faits restent, aussi froids et implacables que les 800 000 corps des Tutsis dont l’extermination avait été longuement préparée, au vu et au su de quiconque a pris la peine de regarder.

Pourtant, rien de nouveau sur les lourds soupçons qui pèsent sur les responsabilités françaises. En 1998, déjà, Médecins sans frontières demandait, comme d’autres associations et ONG, l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 avec des objectifs très précis, qui en disent long sur ce qui a pu être constaté sur le terrain à cette époque :
• De l’entraînement de la gendarmerie au conseil militaire, de la fourniture d’uniformes à la livraison d’armes, de l’assistance à des interventions militaires directes (1990 et 1993), pourquoi la France a-t-elle soutenu, jusqu’au bout, un régime dont on ne pouvait ignorer quels crimes il commettait contre la population rwandaise ?
• Comment la décision d’évacuer de Kigali, en avril 1994, toute une partie de la classe politique rwandaise très impliquée dans les massacres a-t-elle été prise ?
• La France a-t-elle livré ou fait livrer des armes à Kigali après le 6 avril 1994 ?
• Au-delà du mandat donné à la France pour l’opération Turquoise en juin-juillet 1994, aux derniers jours du génocide, comment cette intervention a-t-elle été conduite, et avec quelles conséquences pour les Rwandais et pour le Rwanda ?
On voit clairement que le principal argument avancé pour décrédibiliser le rapport Mucyo et ses conclusions, à savoir une réponse politique du président Kagame à sa mise en accusation par le juge Bruguière, ne tient pas. Bien d’autres avaient en effet les mêmes préoccupations, bien avant…

Une mission d’information fut mise en place par l’Assemblée nationale en 1998 sur le sujet, en réponse, notamment à cette demande. Bien qu’elle n’ait pas été dotée de pouvoirs d’enquêtes, cette mission permit de recueillir de précieuses informations. Elle fut en tout cas une première étape. Ses travaux sont consultables librement sur le site de l’Assemblée nationale. Mais sans moyens ni compétences face à la gravité du crime et le niveau des implications politiques en France, la mission ne conclut que timidement à des erreurs dans le jugement et l’action française.

Depuis, le rapport Mucyo, les travaux du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), de la CEC (Commission d’enquête citoyenne, lancée à l’initiative, entre autres, de Survie, de la Cimade ou de l’Observatoire des transferts d’armement), les différents livres écrits sur le sujet par des journalistes ou des universitaires, ont permis d’accumuler les éléments à charge. Et malgré les nombreux obstacles mis par le parquet sur leur chemin, six rescapés rwandais devraient voir leurs plaintes examinées par la justice française. La lenteur de la procédure n’est d’ailleurs pas un problème, puisqu’en droit, une des spécificités du crime de génocide est d’être imprescriptible et c’est d’ailleurs le titre d’un livre du Pr Géraud de La Pradelle, à l’université Paris X-Nanterre : Imprescriptible, l’implication française dans le génocide tutsi portée devant les tribunaux. Cet ouvrage, après une remise en contexte, étudie les voies de recours juridique et clame la nécessité et le devoir du peuple français de demander des comptes à cette poignée d’individus qui a "rendu la République Française complice du génocide au Rwanda".

Mais la justice est parfois plus prompte à réagir, notamment lorsqu’il s’agit de défendre Hubert Védrine, aspergé symboliquement de colorant rouge par des membres du collectif Genocide Made in France. Deux d’entre eux comparaîtront pour « agression avec violence » et « dégradation » le 5 novembre 2008, à la 24e chambre du palais de Justice de Paris. La plainte incluait initialement la diffamation, mais il semblerait que le débat que cette accusation aurait pu susciter ait dissuadé la défense de l’homme politique, qui a abandonné cette charge.

Le collectif diffuse la vidéo ci-dessous pour expliquer leur geste.
ATTENTION ! Certains passages sont difficiles à regarder (il est après tout question de génocide…).

RWANDA, Un génocide made in France
par DESOBEIR

Hubert Védrine était en effet secrétaire général de l’Elysée à l’époque des faits et il fait donc partie, comme Alain Juppé ou Edouard Balladur, des personnalités susceptibles d’êtres poursuivies pour leur rôle dans ce drame. On l’a d’ailleurs vu récemment témoigner en faveur de Pierre Péan, accusé par SOS Racisme « d’incitation à la haine raciale » et « diffamation raciale » pour avoir écrit, dans son livre, Noires fureurs, blancs menteurs, que les Tutsis constituaient une "race" où la "culture du mensonge" prédomine, qui aurait formé un "lobby Tutsi" et dont les femmes auraient infiltré les Blancs en usant de leurs charmes. Ceci n’est rien d’autre qu’un copier-coller de la propagande anti-tutsi du régime génocidaire, mais « en rien un scandale horrible » pour Hubert Védrine dans son témoignage au procès.

La patrie des droits de l’homme n’a pourtant aujourd’hui d’autre choix que d’examiner son histoire et les chemins sinistres que ses dirigeants lui ont parfois fait suivre. Car, finalement, il est aisé de dénoncer, avec raison, le comportement de l’Etat chinois, les centres de torture de la CIA ou même de demander la réouverture de l’enquête sur le 11 septembre 2001, mais le véritable courage c’est d’oser faire le ménage dans son propre jardin.

Enfin, j’aimerais vous faire part de cette image fugitive qui me glaça le sang au regard de cette histoire. Il s’agit de la vitrine d’un magasin parisien d’équipements militaires et de randonnée, comme ceux où les soldats français, paraît-il insuffisamment équipés, vont compléter leur paquetage avant de partir en opération extérieure. Le 2e REP (Régiment étranger de parachutistes) était présent au Rwanda de 1990 à 1992, où il a apparemment eu pour mission de former ceux qui allaient devenir les génocidaires. Certains témoignages dans le rapport Mucyo font d’ailleurs état de cette présence à béret vert, soit dans la formation des futurs génocidaires, soit lors d’une implication plus directe… Le tee-shirt, qui reprend une de leurs chansons, est pour le moins inquiétant : le diable rit avec nous.

Le diable rit avec nous
T-shirt en vogue chez les militaires du 2ème REP

Il serait évidemment préférable que tout cela soit faux. Mais chaque pièce nouvelle du puzzle indique l’inverse.

par deor
lundi 20 octobre 2008