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Délicate, voire périlleuse, la question de la succession d’un homme ayant régné sans partage pendant quarante et un ans sur un pays-clé du continent africain est posée, après la mort, à Barcelone, du président gabonais, Omar Bongo, annoncée lundi 8 juin. L’événement apparaît comme un défi pour la France, qui, en 1967, a placé au pouvoir Omar Bongo – alors prénommé Albert-Bernard – et l’a soutenu contre vents et marées sous les six présidents de la Ve République.

Nicolas Sarkozy salue « un fidèle ami de la France »

Nicolas Sarkozy  a salué « un grand et fidèle ami de la France » et « un chef d’Etat qui avait su gagner l’estime et le respect de l’ensemble de ses pairs ». « La France, a-t-il ajouté, (…) demeure, dans cette épreuve, aux côtés du Gabon, de ses institutions et de son peuple. » De son côté, Barack Obama s’est dit « attristé » et a salué les « efforts pour la paix » du président gabonais.

Le roi du Maroc a regretté la perte d' »un fidèle ami du royaume », tandis que le président de la Côte d’Ivoire a salué un « acteur clé » de l' »émancipation politique » africaine. Enfin, Eva Joly, juge d’instruction dans l’affaire Elf et nouvelle députée européenne, a estimé qu’Omar Bongo avait « bien servi les intérêts de la France » mais n’avait pas « le souci de ses citoyens ».

L’exécutif français, qui a longtemps considéré le Gabon, riche de son pétrole et de son uranium, comme une lointaine possession, saura-t-il trouver la juste distance dans la bataille pour l’héritage du « doyen de l’Afrique » qui fait rage en coulisses ? Après le lourd passif accumulé dans de sanglantes successions en Côte d’Ivoire ou au Togo, le rôle de l’ancienne puissance coloniale apparaît central dans l’équation lourde d’inconnues de l’après-Bongo.

Les conditions de l’annonce du décès du président gabonais et la minicrise diplomatique qu’elles ont suscitée entre Libreville et Paris illustrent la difficulté de l’exercice. Furieuses que la nouvelle de la mort ait été annoncée dimanche soir par des médias français, les autorités gabonaises ont convoqué, lundi, l’ambassadeur de France à Libreville pour protester contre ces « dérives ». Pour atténuer le choc provoqué par ce court-circuit, Paris et Libreville ont d’abord multiplié les démentis. « Vous imaginez que la France annonce la mort d’Angela Merkel ! », expliquait lundi soir un haut diplomate.

Niée en termes péremptoires à 10 heures – « il est vivant et va bien » -, la mort d’Omar Bongo, survenue officiellement à 14 h 02, a finalement été annoncé peu après 17 heures dans un message écrit diffusé à Barcelone par le premier ministre gabonais. Le décès survient un mois après que le chef de l’Etat gabonais eût « suspendu momentanément » ses activités, officiellement pour prendre le deuil de son épouse.

A Libreville, la stupeur teintée de crainte domine depuis lundi. Les débits de boisson ont été fermés et les attroupements interdits « jusqu’à nouvel ordre ». L’armée et la police ont renforcé leur présence, en particulier devant le siège de la télévision publique. Les frontières ont été fermées et un deuil de trente jours décrété. S’exprimant à la télévision en tant que « membre de la famille » et non comme ministre de la défense, Ali Ben Bongo, fils aîné du président décédé, a, lundi soir, « appelé au calme et à la sérénité des coeurs et au recueillement afin de préserver l’unité et la paix si chères à notre regretté père ». Un peu plus tard, son ministère annonçait « la mise en place de toutes les composantes des forces de défense sur tout l’ensemble du territoire ».

Ali Bongo, âgé de 49 ans et allié du ministre de l’intérieur, André Mba Obame, est, à l’évidence, candidat à la succession. Il a nommé des généraux à sa convenance et s’est fait élire vice-président du mouvement de son père, le Parti démocratique gabonais (PDG). Réputé moins proche de la France que sa soeur Pascaline, il a été reçu par Nicolas Sarkozy en décembre 2008. L’avocat Robert Bourgi, émissaire officieux du président français et proche du régime gabonais, soutient Ali Bongo, dont l’impopularité au Gabon est liée notamment à sa mauvaise maîtrise des langues locales.

L’un de ses concurrents pourrait être son propre beau-frère, ministre des affaires étrangères, compagnon de Pascaline Bongo, 52 ans, fille et directrice de cabinet du président défunt passée par l’ENA. Grande argentière du régime, « PDG de Bongo SA » selon un opposant, Pascaline est considérée comme l’avocate des grandes entreprises françaises implantées au Gabon. Elle détiendrait la clé de la fortune, probablement immense mais très disputée, de son père.

La rivalité entre ces deux enfants d’Omar Bongo pourrait être compliquée par le jeu du général Idriss Ngari, ministre de la santé, qui disposerait de soutiens dans l’armée. Les caciques du PDG, l’ancien parti unique, pourraient faire entendre leur voix, de même que les opposants modérés tels Pierre Mamboundou, chef de l’Union du peuple gabonais (UPG), et Zacharie Myboto, ancien proche d’Omar Bongo. Le discret Jean Ping, ex-époux de Pascaline Bongo et actuel président de la commission de l’Union africaine, ne devrait pas non plus rester inactif.

En vertu de la Constitution, l’intérim devrait revenir à la présidente du Sénat, Rose Francine Rogombé, jusqu’à une élection à organiser dans les quarante-cinq jours. Mais le caractère inédit de la situation, en près d’un demi-siècle d’indépendance, fait craindre un scénario moins policé. « Le Gabon est à la croisée des chemins entre respect de la Constitution et guerre civile », estime Bruno Ben Moubamba, porte-parole de l’association Acteurs libres de la société civile gabonaise. Franco-Gabonais proche des plaignants dans l’affaire des « biens mal acquis », il ne cache pas non plus son ambition politique et appelle la France à s’opposer à « une conspiration visant à imposer une succession dynastique ».

Cette ambivalence, qui conduit la plupart des acteurs politiques gabonais à réclamer la protection de la France tout en dénonçant son emprise sur le « système Bongo », ne simplifie pas le rôle de Paris.

« Les Gabonais vont devoir réaliser qu’ils ont changé de monde et d’époque. Ils avaient la quiétude d’esprit liée à la stabilité d’une personne. Ils vont devoir désormais s’appuyer sur des institutions, commente un responsable de l’exécutif français. La France ne se mêlera pas du gouvernement gabonais. »

L’accord de défense, qui permet à la France de participer au maintien de l’ordre au Gabon et a notamment été utilisé en 1990, appartient à « une autre époque », insiste-t-on. « La France est en pleine réécriture de sa relation avec l’Afrique. La disparition d’Omar Bongo ne nous facilite pas la tâche. Il nous faudra établir des rapports différents avec son successeur », analyse Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la coopération et proche du président français.

La disparition du président de la « Françafrique » replace brutalement Nicolas Sarkozy face à ses promesses de « rupture ». Un lourd défi à l’égard d’un Gabon touché par la crise économique, où l’avenir n’a guère été pensé, ni dans le domaine du pétrole, ni en matière politique.
Philippe Bernard

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2009/06/09/apres-la-mort-d-omar-bongo-la-bataille-de-la-succession-est-ouverte-au-gabon_1204639_3212.html

Posté par rwandaises.com