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Dans un Rebond intitulé «Ce que j’ai vu au Rwanda», publié dans le numéro du 14 avril de votre journal, Jean-Christophe Klotz, réalisateur, met gravement en cause mon travail d’enquêteur et prétend ainsi démolir les deux chapitres de mon livre le Monde selon K. («Bernard Kouchner s’intéresse tardivement au Rwanda» et «J’y étais, donc je sais») consacrés à l’action de Bernard Kouchner, qui cherche à renouer les relations diplomatiques de la France avec le Rwanda dirigé par Paul Kagame.

Après avoir écrit que je défendrais la thèse générale du double génocide, ce qui expliquerait «les erreurs, les approximations et les affirmations sans preuve» de mon livre, Jean-Christophe Klotz affirme : «Qui dit double génocide…dit finalement pas de génocide et donc pas de responsabilités ni poursuites.» Les tenants de la thèse du double génocide nieraient donc le génocide ! Or ceci n’a jamais été ma position, je n’ai jamais nié l’existence du génocide, ce que j’écris d’ailleurs clairement dans mon livre. Quant à l’expression «les massacres succèdent alors aux massacres» – le terme est, utilisé par le général Dallaire de la Minuar.

Contrairement à ce que Jean-Christophe Klotz pense, les tenants d’«une thèse générale» sur le génocide rwandais sont à chercher du côté de ceux qui diffusent une vision des plus simplistes de l’histoire : un déclenchement du génocide déconnecté de l’attentat, un FPR libérateur et sauveur des Tutsis rwandais, une France complice et bras armé des génocidaires… Mais les faits ne collent pas.

Klotz conteste ce que j’écris sur ce qui s’est passé à Kibagabaga, petite localité située au nord-est de Kigali. Si j’ai longuement enquêté sur Kigabagaba, c’est parce que ce lieu est le socle emblématique sur lequel Bernard Kouchner appuie sa politique, or je démontre qu’il n’est que sable mouvant. Il résulte en effet de mon enquête que les restes humains que Kouchner et Klotz ont vus à la mi-mai 1994 à Kibagabaga sont ceux de personnes massacrées non par des Hutus génocidaires, mais par des rebelles tutsis du FPR.

Klotz brandit, l’argumentation-massue du «J’y étais», et me dénie toute connaissance du lieu au prétexte que je n’aurais «pas en tête la topographie du terrain, fait de collines enchevêtrées», que je raisonnerais «en termes de distances « à vol d’oiseau »». Il n’est pas besoin d’avoir été sur les lieux pour connaître la topographie. Une carte d’état-major fait très bien l’affaire. Et c’est justement pour me rendre bien compte de cette réalité géographique que j’ai fait faire une carte (page 184) replaçant Kigabagaba dans son environnement : j’ai utilisé pour base la carte d’état-major du colonel Marchal qui commandait le bataillon des Casques bleus de Kigali à ce moment-là. Puis Klotz conteste ensuite le choix de mes sources affirmant que je serais «prisonnier de mes réseaux d’information». Moi, je ne choisis pas une source unique, contrairement à ce que voudrait laisser croire mon détracteur, lequel s’appuie sur les soldats du FPR, confirmés par les tribunaux populaires gacaca. Quels sont ceux qui attestent de la présence du FPR à Kibagaba ?

Le colonel Marchal, qui était jusqu’au 15 avril 1994 le patron du bataillon des Casques bleus basés à Kigali, me semble difficile à récuser. Itou pour le professeur belge Reyntjens que je considère comme un des meilleurs spécialistes du Rwanda ; Antoine Nyetera, Joseph Matata, Eugène Ndahayo, Valens Rurengaganizi, qui sont certes des opposants au régime de Kigali, mais je ne vois pas que Klotz puisse contester leur droit légitime à détenir des parcelles de vérité. Au contraire.

Ils ont tous, à des degrés divers, été en position de connaître ce qui s’est passé à Kibagabaga. Klotz me reproche également de citer Faustin Ntilikina, sous prétexte qu’il était à l’époque des massacres de Kibagabaga secrétaire à l’état-major de l’armée rwandaise, et probablement parce qu’il est hutu. Il faudrait que Klotz explique au nom de quelle déontologie je n’aurais pas le droit de citer un court passage de son livre. C’est en effet un homme libre et respectable qui ne fait l’objet d’aucune inculpation.

Je concède toutefois que Klotz a raison sur un point. Je lui ai attribué par erreur les extraits d’un carnet de notes qui n’est pas le sien, mais celui d’un témoin de la même scène que lui, le même jour. Ces passages proviennent d’un article de Jean-Paul Mari, publié dans Télé Obs, à l’occasion de la diffusion du documentaire de Klotz, Kigali, des images contre un massacre. Cette erreur factuelle d’attribution ne remet aucunement en cause le fond de mon enquête.

Jean-Christophe Klotz termine son acte d’accusation contre moi par un : «Ce n’est pas parce que cela se passe en Afrique qu’on peut écrire et dire n’importe quoi. Le devoir de vérité et son urgence sont les mêmes qu’ailleurs.» Les lecteurs de Libération ne me tiendront pas rigueur de reprendre à mon compte sa conclusion concise pour qualifier son propre Rebond.

Par PIERRE PÉAN

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