Avant de devenir acteur et auteur dramatique, ce jeune Rwandais fut un enfant- soldat, pendant le génocide. Sa pièce, Carte d’identité, est à l’affiche à Avignon.
Drapeau burundais au revers de la veste, le Rwandais Diogène Ntarindwa exulte de jouer sa nouvelle pièce avec Olivier Maloba, un partenaire congolais. Nous sommes à Bruxelles, dans la brasserie Le Verseau, un lieu de rendez-vous de la diaspora rwandaise. En quelques secondes, le comédien a fait le lien entre « ses » trois pays d’Afrique centrale et transcendé les conflits. Pourtant, le sang et la boue, il connaît. Avant d’être artiste, Diogène fut un enfant en exil, puis un enfant-soldat.
Né le 6 avril 1977, il grandit à Bujumbura, qui fut le dernier refuge de ses parents fuyant les massacres anti-Tutsis des années 1960. Son père, chimiste de formation, travaille dans une usine de peinture. Sa mère, pagne autour des hanches, garde la maison. Levée la première, couchée la dernière. « Aujourd’hui encore, sa volonté et son avis, même posthumes, déterminent mes décisions et mes choix », affirme Diogène, qui lui doit une enfance « exceptionnelle » jusqu’à ses 12 ans.
Surnommé « atome » en raison de son allure de gringalet, il devient le boute-en-train de l’école primaire du Bassin. Quand il s’agit de réciter Le lièvre et le lion, la fable de Jean Anouilh, nul ne rugit mieux que lui. À Bujumbura, il est dans son élément.
Le temps de l’innocence prend fin lors du concours national. Passage obligé pour pouvoir prétendre à des études secondaires, cet examen est d’autant plus redouté que les règles ne sont pas les mêmes pour tous. Un réfugié rwandais doit obtenir 60 % pour réussir, un Burundais 54,5 %. Si Diogène y parvient haut la main, son ami rwandais Éric n’atteint « que » 58 %. Et échoue. Pour la première fois de sa vie, Diogène comprend qu’il est en exil.
Dès lors, le sentiment de sa « rwandanité » le taraude. Il entre au collège Saint-Albert, fréquenté à une écrasante majorité par des Rwandais, y découvre la danse, l’histoire, la géographie de son pays d’origine. Au même moment, en 1990, le Front patriotique rwandais (FPR) lance une offensive contre le régime autoritaire de Juvénal Habyarimana. Tout un peuple en exil se prend à espérer. Des vidéos du front parviennent à Bujumbura. Les jeunes sont galvanisés. Diogène n’a que 13 ans. Il voit ses frères aînés partir pour le front. Lui est trop jeune. Bientôt, son tour viendra.
Le 6 avril 1994, il fête ses 17 ans quand l’avion du président rwandais Habyarimana est abattu. Le génocide commence. « Atome » s’engage dans les rangs du FPR, à l’insu de ses parents.
Un autobus se gare devant l’internat, embarque les recrues. Direction : la frontière rwandaise. Là, deux semaines d’entraînement transforment Diogène en soldat, troisième peloton, compagnie F101, stationnée à Gisenyi. C’est le début de la vie dans des campements de fortune, au mieux dans des écoles abandonnées, au pire dans les tranchées.
La page du génocide est sur le point de se tourner. La victoire du FPR semble assurée. Diogène fait son baptême du feu face à une armée gouvernementale en déroute. Son unité est en embuscade quand elle se fait mitrailler par des fuyards. Diogène et ses compagnons ripostent. A-t-il tué ? Bref silence. Les mains de l’acteur cessent de s’agiter. « Il est possible qu’une de mes balles ait fauché quelqu’un, mais honnêtement, je ne sais pas. »
Avec la victoire du FPR, les armes se taisent. La moitié des camarades de Diogène sont tombés au front, kalachnikov à la main. Les morts se comptent par millions. Diogène restera soldat deux ans encore. Il surveille les axes routiers et les postes de douane, accompagne des convois et, comme il est polyglotte, les visiteurs étrangers.
En 1996, il est démobilisé. Motif ? Il est un « Kadogo », un enfant-soldat. L’heure est à la réinsertion : il termine ses études secondaires, entame un cursus juridique à l’université de Butare. Mais Diogène ne se contente pas d’étudier. Il écrit, organise des conférences pour évoquer Senghor ou Lumumba. S’inscrit dans une troupe de théâtre amateur et participe au projet « Rwanda, écrire par devoir de mémoire », joué en Allemagne, en France, au Burkina. Et ressent de plus en plus le besoin de prendre la parole. Alors qu’il est en première année de licence, le directeur de l’université le convoque : « Diogène, combien de juristes sortent de cette université chaque année ?
– Une centaine ?
– Et combien d’artistes ?
– …
– Aucun. Pourtant, notre pays en a besoin. »
La seconde vie de Diogène commence. Il sera artiste. Conscient qu’il lui manque les compétences pour exprimer ses idées sur les planches, il sollicite un visa d’étudiant et se retrouve au conservatoire de Liège (Belgique). Pendant quatre ans, il découvre Molière et tous les classiques. Pourtant, la quintessence de son art se nourrit plutôt de ce qu’il a vécu et de l’actualité. Encore aujourd’hui, Diogène reste un gros lecteur de journaux : « C’est une partie conséquente de mon budget. »
En 2007, avec la complicité du metteur en scène Philippe Laurent, il écrit Carte d’identité. Son histoire dans l’Histoire. « Une première version avait été montée, raconte Laurent. Diogène y mettait de l’humour, des plaisanteries, en guise de pudeur. » Très vite, l’embryon d’œuvre convainc des producteurs. Philippe Laurent retrouve son comédien à Kigali et l’aide à développer le spectacle. « Diogène n’avait pas envie de s’exhiber en héros. Il ne voulait pas étaler sa vie pendant la guerre. Mon rôle a consisté à le faire accoucher de certains souvenirs, avec délicatesse. »
Carte d’identité devient une œuvre d’une heure et demie. Elle est représentée en Belgique, au Rwanda, au Burkina. Et sera à l’affiche, du 8 au 28 juillet, à La Manufacture, au festival off d’Avignon, en France. Colette Braeckman, journaliste spécialiste de l’Afrique centrale, voit dans cette pièce « un témoignage qui n’est ni celui d’une victime du génocide, ni celui d’un bourreau ou d’un héros, connu ou anonyme, mais celui d’un simple jeune Tutsi. »
Parallèlement à cette aventure, la compagnie liégeoise Groupov entame la deuxième tournée de son spectacle Rwanda 94. Diogène est de la partie. Il parcourt le monde depuis Bruxelles, où il s’est installé il y a un an avec sa compagne Burundaise. « Elle me donne envie de redécouvrir ce Burundi que j’ai mis de côté pendant mon adolescence. »
En juin, le jeune homme a joué dans L’Île, des Sud-Africains Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona. Avec son partenaire congolais, ils ont répété en avril, à Kisangani. Un symbole fort pour cette région. Après trois semaines de représentations à Bruxelles, Diogène repartira en 2010 pour une tournée à travers le Congo.
Peu importe qu’il soit rwandais ? « Je veux bien être considéré comme un citoyen du monde, mais je sais aussi que, pour s’asseoir, il faut savoir d’où l’on vient. » L’ancien Kadogo est devenu un artiste reconnu. Un enfant de la balle dépositaire d’une mémoire. Celle de l’Afrique centrale.
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Posté par rwandaises.com