Quinze ans après, le génocide des Tutsis du Rwanda demeure l’objet de violentes controverses entretenues par des blessures toujours à vif et des arrière-pensées politiques multiples. L’audience opposant l’écrivain Pierre Péan à SOS-racisme devant la cour d’appel de Paris, mercredi 9 et jeudi 10 septembre, en a apporté un nouveau témoignage.

SOS-racisme poursuit M. Péan, et son éditeur Claude Durand, pour des passages de son livre Noires fureurs, Blancs menteurs (Fayard, 2005) qui relèvent selon l’association de la diffamation raciale et de l’incitation à la haine. On peut lire dans cet ouvrage que « la culture du mensonge et de la dissimulation domine toutes les autres chez les Tutsis » et que « cette race » est « l’une des plus menteuses qui soit sous le soleil ».

L’écrivain reprend à son compte ces citations d’auteurs d’inspiration notamment coloniale à l’appui de la thèse centrale de son livre : les rebelles tutsis dirigés par Paul Kagamé (l’actuel président rwandais) ont déclenché le génocide de leur propre peuple en abattant l’avion du président hutu, Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, tout en faisant croire que leurs ennemis, les extrémistes hutus, en étaient les auteurs. En arrivant à la même conclusion, le juge Jean-Louis Bruguière avait provoqué, fin 2006, la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda.

Pierre Péan, lui, suggère que cette « manipulation » procède de la « culture du mensonge » ancrée dans la tradition des Tutsis. En novembre 2008, le tribunal de grande instance de Paris a, contre l’avis du parquet, refusé de considérer les écrits de M. Péan comme diffamatoires ou incitant à la haine raciale.

Pour contester cette décision en appel, SOS-racisme et ses deux avocats, Léon Lef Forster et Bernard Maingain, ont cité plusieurs témoins : Christiane Taubira, député (PRG) de Guyane a qualifié les pages incriminées de « propagande reprenant des clichés utilisés par les génocidaires ». Bouleversante, Esther Mujawayo, rescapée du génocide, a affirmé que « ces mots-là » avaient « tué toute (sa) famille ». Et expliqué que pour un peuple persécuté, mentir n’est « pas un art, mais une question de survie ». Reprenant l’analyse de l’association antiraciste, l’avocat général a requis une peine d’amende.

« La patte de Kigali »

Mais MM. Péan et Durand ont une tout autre vision de ce procès. Derrière SOS-racisme, ils voient « la patte de Kigali » et une « énième tentative d’instrumentaliser la justice ». Sous prétexte de dénoncer le racisme, il s’agirait de porter un coup au livre de Pierre Péan afin d’affaiblir les conclusions similaires du juge Bruguière, accablantes pour le régime rwandais.

Leurs avocats – Muriel Brouquet-Canale, Florence Bourg et Jean-Yves Dupeux – ont fait défiler à la barre des témoins rwandais confirmant que le mensonge était « un fait culturel » chez les Tutsis. « Il existe une spécificité historique et culturelle rwandaise (le mensonge), qui explique pourquoi le génocide a eu lieu au Rwanda », a assuré Hervé Deguine de Reporters sans frontières (RSF) après avoir lancé : « Pourquoi le génocide juif a-t-il eu lieu en Allemagne et non en Italie ? »

Les avocats de Pierre Péan et Claude Durand se sont bien gardés de telles analogies, s’attachant à montrer que les écrits de M. Péan avaient été « caricaturés » et relevaient de la « liberté d’opinion ». Pour eux, l’écrivain n’a pas visé une ethnie mais analysé « un trait culturel inscrit dans l’histoire », et encore moins appelé à la haine. Arrêt le 18 novembre.
Philippe Bernard

 

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Posté par rwandaises.com