Mis en cause par le prix Nobel de la Paix dans le cadre de son procès sur son livre consacré au génocide rwandais, Pierre Péan nous a fait parvenir la lettre suivante.
« Quel honneur pour un auteur de susciter la réaction d’un prix Nobel de la Paix!
Aurait-il écrit son papier quelques heures avant le début de mon procès pour influencer la Justice française? La chose serait indigne de lui. Je veux croire en revanche qu’en dépit de ce qu’il a écrit, il n’a pas bien lu mon livre, « Noires fureurs, blancs menteurs » et c’est pour cela qu’il le caricature de la sorte dans son article intitulé « Moralement déplorable et historiquement regrettable ».
Pour que les lecteurs de nouvelobs.com qui n’auraient eu connaissance de mon livre que par la critique d’Elie Wiesel, je tiens d’emblée à préciser que j’ai été relaxé par la décision de justice intervenue en première instance dans le procès que me fait SOS Racisme pour diffamation raciale et provocation à la haine raciale. Procès intenté pour quelques phrases, qui se trouvent aux pages 41 à 44 de mon livre qui compte 500 pages, qui font partie d’une présentation rapide de l’histoire politique du Rwanda depuis le début du XXe siècle: ces pages ont été écrites avec Antoine Nyetera, un Tutsi descendant de la famille royale.
Elie Wiesel travestit mon propos en cherchant à résumer d’une phrase mon livre: « Les chefs tutsis auraient été responsables de leur propre catastrophe qui, en fin de compte, est appelée génocide ». Pourquoi parler au pluriel de « chefs tutsis » quand c’est une organisation politique, le FPR, doté de sa branche militaire, que j’accuse? J’affirme que Paul Kagame, alors à la tête du FPR, est responsable de l’attentat perpétré le 6 avril 1994 contre Juvénal Habyarimana, président légitime du Rwanda. Or, aujourd’hui, tout le monde admet que cet acte de guerre a été le facteur déclenchant du génocide. A ce titre, il porte donc une part de responsabilité décisive dans le génocide des Tutsis au Rwanda. Depuis la parution de mon livre, en 2005, le juge Bruguière et un juge espagnol, Andreu Merellles, portent une appréciation semblable sur la responsabilité de l’actuel dictateur rwandais. Le juge espagnol a même lancé 40 mandats d’arrêt contre son entourage pour crimes de génocide.
Elie Wiesel parle à partir de son expérience de la Shoah. Or, les deux catastrophes historiques que sont la Shoah et le génocide des Tutsis n’ont strictement rien à voir, et ne peuvent être comparés. C’est le FPR qui, le 1er octobre 1990, franchit depuis l’Ouganda la frontière rwandaise et fonce avec 7.000 soldats rebelles tutsis en direction de Kigali: la guerre est déclarée contre le régime d’Habyarimana. Après quatre ans de conflit, après le génocide des Tutsi et des massacres de masse de Hutu, c’est Paul Kagame qui prend le pouvoir à Kigali.
« La vérité des victimes (…) mérite d’être privilégiée », dit Elie Wiesel. Paul Kagame n’est pas une victime, et la « vérité » qu’il cherche à imposer au monde est une terrible offense à la mémoire des victimes. Je respecte la compassion qu’Elie Wiesel témoigne aux victimes parce qu’elle est ancrée dans la mémoire de la Shoah, mais cette compassion n’est pas un moyen suffisant pour rechercher et cerner la vérité. L’histoire de la tragédie rwandaise n’est pas encore écrite; je crois y avoir apporté une modeste contribution, notamment en rappelant que les victimes ne furent pas exclusivement tutsies, qu’il y eut aussi des centaines de milliers de victimes hutues. Toutes les victimes méritent notre respect et notre compassion. Ne pleurer que les victimes tutsies est « moralement déplorable et historiquement regrettable ». »
Pierre Péan

 

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Posté par rwandaises.com